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Les révolutions semblent toujours arriver brusquement, et toujours elles sont préparées; elles naissent de dispositions qui, dans l'ordre moral comme dans l'ordre physique, se forment lentement et par des gradations insensibles, ou qui, si elles s'annoncent par quelques signes toujours équivoques, laissent assez d'incertitude, pour que le coup éclate sans qu'on puisse dire qu'il ait été véritablement prévu. De là vient qu'on trouve si peu de proportion entre les causes apparentes et certains effets, de là vient peut-être cette erreur philosophique, qui attribue de si grands évènemens à de si petites causes. La cause apparente est rarement la cause véritable; ce n'est souvent qu'une occasion qui développe des dispositions que le temps mûrissoit en silence. Quand la mesure est comblée, un atome peut occasionner un grand renversement, mais il ne l'a point produit.

« Non, dit Galba, ce n'est pas moi avec ma seule Tacit. Hist légion, ce n'est point Vindex avec sa province sans lib.1.cap.16. défense, qui a détruit Néron; ce sont les crimes de ce monstre qui l'ont perdu, c'est la nature rassasiée d'outrages, c'est la patience des hommes poussée à bout. »

L'esprit ne saisit aucun rapport entre l'humeur d'une femme aigre et jalouse qui renverse une jatte d'eau sur la robe d'une favorite de la reine Anne, et la pacification d'une partie de l'Europe à Utrecht; mais en

effet cette tracasserie de femmes ne fut point la vraie cause de la paix d'Utrecht, elle n'en fut que l'occasion; la cause véritable étoit dans les dispositions générales d'une nation fatiguée de la guerre, épuisée par ses succès, inquiète de la grandeur de Marlborough et de l'ascendant de sa femme, opposée enfin à la réunion de la monarchie d'Espagne, avec la couronne impériale, réunion qui eût rendu à l'Autriche la puissance de Charles-Quint; les mêmes principes d'équilibre qui avoient armé l'Angleterre contre la France devoient alors l'en rapprocher, et il falloit que tôt ou tard ces considérations produisissent leur effet, même sans le trait d'humeur de la duchesse de Marlborough.

C'est ainsi qu'à travers les causes apparentes et particulières, au delà desquelles le vulgaire ne remonte point, il faut s'élever jusqu'aux causes éloignées et générales, qui sont presque toujours les seules réelles.

C'est dans ce point de vue qu'on doit considérer les grands changemens que nous allons retracer. Ce ne sont ni les insolences de Luther, ni les insinuations de Mélancthon, ni les subtilités de Bucer, ni les durs sophismes de Calvin, qui ont enlevé à l'église Romaine la moitié de l'Europe. Les succès de ces réformateurs ne sont pas dus non plus à l'aicendant de leur mérite, ni à la magie de leur éloquence, Erasme les surpassoit tous en lumières et en génie, Erasme ne fit point de secte; et, si l'on répond que c'est parce qu'il n'en voulut point faire, il semble du moins que son exemple devoit avoir autant de force pour retenir les peuples dans la communion Romaine, que l'autorité de ces nouveaux apôtres pour les en séparer. Les papes sous qui éclata ce grand schisme ne méritoient pas non

plus que leur pontificat servît d'époque à l'abaissement du Saint-Siège. Depuis l'âge d'or de l'Eglise on n'en avoit guère vu de plus irréprochables. Léon X, pontife un peu profane peut-être, mais grand prince, protecteur magnifique des arts, homme éclairé, surtout aimable jusqu'à la séduction, possédant éminemment et l'art de plaire et l'art de gouverner, embellit et polit Rome; on lui en fit un crime; le vertueux Adrien VI se contenta de l'édifier, on lui en fit un crime encore; on en fit un à Clément VII de ses malheurs, et à Paul III de sa tendresse pour sa famille ; mais Clément se distingua par sa prudence et par sa piété, Paul par sa modération et son impartialité. Tous les quatre eurent des vertus, quelques foiblesses, peu ou point de vices; ils furent punis des vices et des torts de leurs prédécesseurs. L'irrégularité de Formose ou le scandale de son exhumation; l'irrégularité plus réelle de Jean XII et le plus grand scandale de son exaltation, de sa vie et de sa mort; les hauteurs inflexibles d'un Grégoire V, d'un Grégoire VII, d'un Urbain II, d'un Innocent II, d'un Alexandre III, d'un Innocent III, d'un Grégoire IX, d'un Innocent IV, d'un Urbain IV, d'un Nicolas III, d'un Boniface VIII, d'un Clément V, d'un Jean XXII, implacables Sleidanus, ennemis de la puissance séculière, qui déposent les lib. 2. rois, qui soulèvent les peuples, qui ébranlent les états, qui quelquefois les envahissent; l'empire bouleversé par la querelle des investitures, l'Italie déchirée par les factions des Guelphes et des Gibelins, la France troublée par des interdits téméraires, l'Eglise défigurée par des schismes si fréquens et si scandaleux; l'effrayant spectacle des crimes d'Alexandre VI, Néron

de la chrétienté, et des fureurs guerrières de Jules II; l'ambition, la simonie, le luxe, l'ignorance, tous les vices de la cour de Rome, trop bien imités par tous les ordres du clergé; les richesses des moines attestant leurs fourberies et démentant l'austérité de leurs vœux; l'inquisition allumant ses flammes impies pour étouffer la raison, pour punir jusqu'à la pensée; les enfans des saints, les successeurs des martyrs, transformés en bourreaux; les loups, sous la voix et l'habit de pasteurs, égorgeant les agneaux et désolant la bergerie; la haine osant offrir à un dieu d'amour des sacrifices humains et consoler ses victimes par le signe de la rédemption et par le langage de la charité. Voilà les sources éloignées, mais les sources véritables des révolutions du seizième siècle (1). « C'est, dit M. Préface de « Bossuet, faute de pasteurs éclairés et exemplaires, << que le troupeau racheté d'un si grand prix, a été si indignement ravagé. »

PHistoire des

Variat.

«

Dieu, qui a donné à son Eglise l'infaillibilité et qui lui a promis l'indéfectibilité, permet quelquefois que de bien honteuses plaies l'affligent et la flétrissent. En voyant tant de chefs corrompus présider à tant de membres pouris, on oublioit ou l'on ignoroit que la

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(1) Paul Jove, (Hist. lib. 13.) attribue à une maligne conjonction des astres les révolutions qu'il voit arriver de toutes parts dans la religion, au seizième siècle. En Perse, Ismaël Sophi donne à l'Alcoran une interprétation nouvelle; le christianisme s'introduit chez divers peuples païens des Indes tant Orientales qu'Occidentales; Luther partage l'Europe par sa doctrine. Paul Jove met tous ces changemens sur la même ligne. Florimond de Remond, (Hist. de l'Hérésie, liv. 1. chap. 4. ) applaudit fort à l'idée de Paul Jove sur l'influence des astres; Juste-Lipse ne s'en éloigne pas. Lips. Civilis Doctrinæ. lib. 4, cap. 3. Oper. . t. 4.

liste respectable de ces chefs commence par plus de trente martyrs ou confesseurs, suivis d'une foule de saints, et que, même dans des siècles moins purs et où la corruption se faisoit déjà sentir, un Saint-Innocent, un Saint Zosime, un Saint Boniface, un Saint Célestin, un Saint Léon, un Saint Gélase, un Saint Grégoire le Grand, avoient consolé l'Eglise, illustré le Saint-Siège et honoré l'humanité.

Mais si l'on se rappeloit ces grands noms et ces grands exemples, que pouvoit-on penser d'une si triste décadence? que pouvoit penser le peuple qui ne sait rien distinguer, et qui croit que tout doit être saint dans ce qui est essentiellement saint? Comment pouvoit-il reconnoître l'Eglise a travers tant de voiles et de nuages, et quelle facilité les prophètes les plus menteurs ne trouvoient-ils pas à se faire croire, lorsque, se couvrant du manteau de la réforme, ouvrant d'une main l'Evangile, offrant de l'autre le double attrait de la nouveauté, de la liberté, ils publioient que Rome n'étoit plus dans Rome, qu'elle étoit toute dans leur nouvelle Eglise, qu'il falloit rallumer au flambeau de leur doctrine, la foi éteinte et la vérité expirante?

Diverses conjonctures concouroient depuis quelque temps à favoriser la réforme. 1°. Les désordres de la cour de Rome étoient vus de plus près, parce que les guerres dont l'Italie étoit devenue le théâtre, attiroient dans cette contrée toutes les nations de l'Europe, dont la moitié étoit ennemie des papes. 2°. Ces désordres étoient plus généralement connus, parce que l'imprimerie, nouvellement découverte, répandoit dans toute l'Europe les déclamations de ces ennemis du Saint-Siège.

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