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permettoit à ses disciples de le défendre et de le venger; Carlostad, jaloux de cet honneur, disputoit à toute 1519. outrance contre.Eckius, mais par écrit seulement; en`fin il lui présenta un cartel pour une dispute publique ; Eckius l'accepta, le duc George de Saxe, cousingermain de l'électeur, qui n'avoit pas pris parti comme l'électeur, mais qui, se sentant ébranlé, vouloit s'instruire, leur offrit son château à Leipsick; il honora de sa présence ce duel théologique : c'étoit là ce qu'on appeloit alors protéger les sciences. Le duc, son conseil, les magistrats, l'université, une foule de peuple accourue de toutes les villes voisines, la chaleur des deux partis, la réputation des deux contendans, et, plus que tout le reste, la présence de Luther, qui voulut veiller sur son défenseur, et le défendre à son tour s'il en étoit besoin, tout concourut à rendre cette scène éclatante. Carlostad disputa pendant quelques jours, au bout desquels les poumons ou les raisons lui manquèrent, Luther entra en lice; Eckius, déja épuisé, n'eut pas si bon marché du maître que du disciple. Cette dispute eut le sort de toutes les autres, les actes qu'on en publia confirmèrent les deux partis dans leurs opinions; tous les deux s'attribuèrent la victoire ; le duc George sembla pourtant la décider en faveur d'Eckius, en s'affermissant dans la foi catholique, l'électeur resta luthérien. Eckius courut à Rome publier sa gloire et presser la condamnation de Luther. Trop de papes ont cédé trop aisément à de pareilles instances, et leur autorité en a souffert.

Léon X donna, le 15 juin 1520, une bulle, par laquelle il condamna quarante et une propositions de Luther, sous ces qualifications vagues qui deviennent une nou

1519.

1520.

lib. 1.

velle source de dispute pour les esprits indociles. Eckius Sleidanus, vint lui-même en triomphe porter cette bulle à l'électeur de Saxe et à l'université de Vittemberg; mais cela même décrédita la bulle en rendant Eckius odieux; on ne vit en lui qu'un théologien intrigant, qui se vengeoit de la raison par l'autorité. D'abord cette bulle ne fut ni reçue ni rejetée; on n'en parla pas plus que de la première, et l'on continua de s'attacher à Luther; mais le nonce Aléandre ayant présenté cette seconde bulle à Charles-Quint, les démarches que cet Empereur fit en conséquence, et celles que Luther fit en opposition donnèrent à cette bulle l'éclat le plus funeste.

Des politiques ont examiné s'il ne convenoit pas aux intérêts de Charles-Quint de favoriser les progrès de la secte luthérienne en Allemagne. Nous ne voyons pas ce qu'il auroit pu y gagner. Il auroit soulevé contre lui le parti catholique, qui, même en Allemagne, resta toujours le plus fort; et en Italie, les papes, devenus ses ennemis nécessaires, eussent traversé tous ses projets sur le Milanès et le royaume de Naples. François I, qui, en faisant brûler par zèle les luthériens en France, s'allioit avec eux par intérêt en Allemagne, affranchi de cette politique contradictoire, se seroit intimement uni avec les catholiques d'Allemagne, dont l'alliance lui eût été beaucoup plus agréable. Ceux-ci n'auroient eu aucun reproche à lui faire, au lieu que les protestans devoient servir avec bien peu d'ardeur le persécuteur de leurs frères, et l'ennemi de leur religion. D'ailleurs Charles-Quint, nourri aux Pays-Bas et en Espagne dans les principes de l'autorité absolue, et qui trouvoit déjà le gouvernement Germanique trop républicain, pouvoit-il approuver une secte qui soumettoit

toute autorité à l'examen, et qui, pour élever la liberté humaine, la portoit jusqu'à la licence? Pouvoit-il ne pas voir que la même audace qui auroit renversé l'autorité ecclésiastique en seroit mieux armée pour attaquer l'autorité royale?

Il suffisoit de jeter les yeux sur la conduite de Luther, pour voir que ce rebelle en vouloit à toute puissance. Il sera bon de s'arrêter un moment à l'époque de sa condamnation, pour comparer ses actions et ses discours dans les temps qui la précédèrent et dans les temps qui la suivirent; on y verra premièrement la marche générale de l'esprit humain, rampant devant ses juges tant qu'il lui reste quelque espérance de les séduire, plus furieux contre eux que contre ses adversaires, quand il a succombé; on verra secondement la trempe particulière du génie de Luther, ses fougues, ses disparates, son despotisme, son impudence; et les hommes pourront se convaincre d'une vérité importante, c'est que, quand on s'est une fois engagé dans ces grandes disputes de religion ou de politique, on ne sait plus où l'on pourra s'arrêter. Si, dès le premier pas qu'on fait dans cette carrière, on pouvoit voir tout l'espace qu'on va parcourir, toutes les bornes qu'on va franchir, toutes les barrières qu'on va renverser, reculeroit d'horreur et d'effroi; si l'on eût dit aux premiers parlementaires Anglois, qui, en 1640, attaquèrent avec force, mais avec respect, la prérogative royale, aux Pym, aux Hambden, aux S. Jean, aux Hollis, aux Vanes, que, neuf ans après, ces mouvemens aboutiroient au régicide, ils ne l'eussent pas cru; Luther en 1517 n'eût pas prévu d'avantage de quoi il seroit capable en 1520.

on

Il n'attaqua d'abord, comme nous l'avons dit, que les abus des indulgences, il respecta la chose; ce n'étoit encore qu'un augustin qui combattoit des jacobins, non un hérétique qui outrageât l'Eglise. Si quelqu'un, Prop.1517. disoit-il, nie la vérité des indulgences du Pape, qu'il soit anathème. L'anathème retomba sur lui, car il ré

71. t. I. Viteb.

duisit d'abord ces indulgences à rien, et il finit par en nier entièrement la vertu.

Il avançoit, les sujets l'entraînoient par leur connexité, et la dispute par sa violence. La matière de la justification et des sacremens touchoit à celle des indulgences. Bientôt il ébranla tous les principes de l'Eglise sur ces deux objets. Mais nous n'entreprenons pas encore d'exposer ses innovations dans la foi; nous donnerons dans la suite une idée des principales, c'est-àdire, de celles qui distinguent sa secte, et nous comparerons sur les articles les plus importans la foi de l'église catholique avec les opinions des diverses églises protestantes; ici nous ne montrons que les procédés de Luther, que la marche de son esprit, nous n'exposons, pour ainsi dire, que la partie historique de ses idées.

Il respectoit toujours l'Eglise en la contredisant toujours; il entassoit les erreurs, mais il les lui soumettoit; s'il ne s'en tenoit à la décision de l'Eglise, il consentoit Hist. des d'être traité comme hérétique. Jésus-Christ conservoit Variat. 1. 1. sur la terre cette Eglise unique par un grand miracle, et qui seul peut montrer que notre foi est véritable; jamais elle ne s'est éloignée de la vraie foi par aucun décret. Est-il possible que Jésus-Christ ne soit pas avec ce grand nombre de chrétiens?

Disp. Lips.

t. I.

Il condamnoit hautement ceux qui s'étoient séparés de la communion Romaine; jamais il ne lui arriveroit

de tomber dans le schisme, le consentement de tous les fidèles le retenoit dans le respect pour l'autorité du Pape. TU ES PIERRE, PAIS MES BREBIS, tout le monde confesse, disoit-il, que l'autorité du Pape vient de ces passages.

Il demandoit pardon de ses emportemens au cardinal Cajetan, dont il se plaignoit d'ailleurs avec tant d'amertume Daignez, lui disoit-il, rapporter l'affaire au Saint-Père. Je ne demande qu'à écouter la voix de l'Eglise et qu'à la suivre. Il ne s'agit pas de ce que j'ai dit, mais de ce que dira l'Eglise. Je ne prétends pas lui répondre comme un adversaire, mais l'écouter comme un disciple.

Il écrivoit au Pape lui-même le jour de la trinité 1518: Donnez la vie ou la mort, appelez ou rappelez, approuvez ou réprouvez, j'écouterai votre voix, comme celle de Jésus-Christ même.

Epist. ad Luth. t. 1.

Léon X,

Appellat.

Lut. ad Con

Cependant le dimanche 28 novembre de la même année, le Pape ayant déja préjugé l'affaire contre Lu- cil. ther par la première bulle donnée en faveur des indulgences, Luther appelle du Pape au concile, mais en observant quelques ménagemens; car enfin la sentence définitive du Pape pouvoit encore lui être favorable; il proteste donc qu'il ne prétendoit ni douter de la primauté et de l'autorité du Saint-Siège, ni rien dire de contraire à la puissance du Pape, mais du Pape bien conseillé et bien instruit, distinction chère aux hérétiques, et qui signifie seulement : soyez pour moi, je

me soumettrai à vous.

Le 3 mars 1519, il écrivoit encore au Pape : Qu'il ne prétendoit aucunement toucher à sa puissance, ni à Lut. ad Léon celle de l'église Romaine.

X. Ep. 1519

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