de me faire voir la nécessité de ce mariage affreux. Aufli étois-je inconfolable. Inés ne sçavoit plus que me dire, lorsque tout-à-coup nous entendîmes sur le tillac un grand bruit qui attira toute nôtre attention. Ce bruit que faifoient les gens de Don Alvar, étoit causé par la vûë d'un gros Vaisseau qui venoit fondre fur nous à voiles déploiées. Comme le nôtre n'étoit pas si bon voilier que celui-là, il nous fut im. poffible de l'éviter. Il s'aprocha de nous, & bien-tôt nous entendîmes crier: Arrive, arrive. Mais Alvaro Ponce & ses gens aimant mieux mourir que de se rendre, furent aflez hardis pour vouloir combattre. L'action fut très vive. Je ne vous en ferai point le détail.. Je vous dirai seulement que Don Alvar & tous les fiens y périrent, après s'être battus comme des de... fefperez, Pour nous, l'on nous fir: passer dans le gros Vaisseau qui apartenoit à Mezomorto, & que commandoit Aby Aly Ofman un de ses Officiers. Aby Aly me regarda long-tems avec quelque surprise, & connoiffant à mes habits que j'étois Ef pagnole, il me dit en langue Ca stillane: Moderez vôtre affliction. Consolez-vous d'être tombée dans l'esclavage. Ce malheur étoit inévitable pour vous. Mais, quedisje, ce malheur? C'est un avantage dont vous devez vous aplaudir. Vous êtes trop belle pour vouss borner aux hommages des Chrétiens. Le Ciel ne vousa point fait: naître pour ces miférables mortels. Vous méritez les vœux des premiers hommes du monde. Les seuls Musulmans sont dignes de vous posseder. Je vais, ajoûta-t-il,, reprendre la route d'Alger. Quoi-que je n'aie point fait d'autre pri.. fe, je suis perfuadé que le Dey mon Maître sera fatisfait de ma course. Je ne crains pas qu'il condamne l'impatience que j'aurai eûë de remettre entre ses mains une beauté qui va faire ses délices & tout l'ornement de son Sérail. A ce discours, qui me faifoit connoître ce que j'avois à redouter, je redoublai mes pleurs. Aby Aly qui voioit d'un autre œil que moi le sujet de ma fraieur, n'en fit querite, &cingla vers Alger, tandis que je m'affligeois fans modération. Tantôtj'adressoismes foûpirs au Ciel & j'implorois son secours: Tantôt je fouhaitois que quelques Vaisseaux Chrétiens vinffent nous attaquer, ou que les flots nous engloutissent. Aprés cela, je souhaitois que mes larmes & ma douleur me rendissent si effroiable, que ma vûë pût faire horreur au Dey. Vains souhaits que mapudeur allarmée me faisoit former. Nous arrivâmes au Port. On me conduisit dans ce Palais. Je parus devant Mezomorto. Je ne sçai point ce que dit Aby Aly en me presentant à fon Maî tre, ni ce que fon Maître lui ré. pondit, parce qu'ils se parlérent en Ture, mais je crus m'apercevoir aux gestes & aux regards du Dey que j'avois le malheur de lui plaire, & les choses qu'il me dit ensuite en Espagnol, achevérent de me mettre au desespoir en me confirmant dans cette opinion. Je me jettai vainement à ses pieds & lui promis tout ce qu'il voudroit pour ma rançon : J'eus beau tenter son avarice par l'offre de tous mes biens, il me dit qu'il m'estimoit plus que toutes les richesses du monde. Il me fit préparer cet apartement, qui est le plus magnifique de fon Palais, & depuis en tems-là il n'a rien épargné pour bannir la tristesse dont il me voit accablée. Il m'améne tous les esclaves de l'un & de l'autre sexe qui sçavent chanter, ou joüer de quelque instrument. Il m'a ôté Inés dans la pensée qu'elle ne faifoit que nourrir mes chagrins, & je suis fervie par de vieilles esclaves qui m'entretiennent sans ceffe de l'amour de leur Maître & de tous les différens plaisirs qui me font réservez. Mais tout ce qu'on met en usage pour me divertir, produit un effet tout contraire. Rien ne peut me confoler. Captive dans ce détestable Palais qui retentit tous les jours des cris de l'innocence opri. mée, je souffre encore moins de la perte de ma liberté, que de la terreurque m'inspire l'odieusetendresse du Dey! Quoique je n'aie trouvé en lui jusqu'à ce jour qu'un Amant complaisant & refpectueux, je n'en ai pas moins d'effroi, & je crains que laflé d'un respect qui le gêne déja peut être, |