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a donné au Théatre un grand nombre de Comédies pleines de gravelures & de gros fel, mais il s'en est repenti avant sa mort; & pour expier le scandale qu'elles ont caufé, il a fait peindre sur son tombeau une espece de bucher compofé de Livres qui reprefentent, quelques-unes de ses pièces, & l'on voit la Pudeur qui tient un flambeau allumé pour y mettre le feu.

• Outre les Morts qui font dans les Mausolées que je viens de vous faire observer, il y en a une infinité d'autres qui ont été enterrez ici fort simplement. Je vois errer toutes leurs ombres. Elles se proménent, passent & repassent fans ceffe les unes auprès des autres, fans troubler le profond repos qui regne dans ce lieu Saint. Elles ne se parlent point; mais je lis dans leur filence toutes leurs penfées. Que je fuis mortifié, s'écria Don Cléofas, de ne pouvoir joüir comme vous du plaisir de les apercevoir! Je puis encore vous donner ce contentement, lui dit Af modée. Rien n'est plusfacile pour moi. En même-tems ce Démon lui toucha les yeux & par un préstige lai fit voir un grand nombre de Phantômes blancs.

A l'aparition de ces Spectres Zambulo fremit. Comment donc,, lui dit le Diable, vous fremiflez! Ces Ombres vous font-elles peur? Queleur habilementne vous épou. vante point; accoûtumez-vous-y dès-à-présent. Vous le porterez à vôtre tour. C'est l'uniforme des Mânes. Rafsurez-vous donc & ne craignez rien. Pouvez-vous manquer de fermeté dans cette occafion! Vous, qui avez eu l'assurance de foûtenir ma vûë. Çes Gensci ne font pas fi méchans que moi. L'Ecolier, à ces paroles, rap pellant tout fon courage, regar

da les Phantômes affez hardiment. Confiderez attentivement toutes ces Ombres, lui dit le Boiteux. Celles qui ont des Mausolées sont confondues avec celles qui n'ont qu'une miférable biere pour tout monument. La fubordination qui les diftinguoit les uns des autres pendant leur vie, ne subsiste plus. Le grand Sommelier du Corps & le premier Minif tre ne font pas plus presentement que les plus vils. Citoiens enterrez dans cette Eglife. La grandeur de ces nobles Mânes a fini avec leurs jours, comme celle d'un Heros de Théatre finit avec la pièce..

Je fais une remarque, dit Léandro; je vois une Ombre qui se promene toute seule & semble fuïr la compagnie des autres. Dites plutôt que les autres évitent la fienne, répondit le Démon & vous direz la vérité:

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Sçavez-vous bien quelle est cette ombre-là? C'est celle d'un vieux Notaire lequel a eu la vanité de fe faire enterrer dans un cercueil de plomb. Ce qui a choqué tous les autres Mânes bourgeois dont les cadavres ont été mis en ter. re ici plus modestement. Ils ne veulent point pour mortifier fon orgueil, que fon ombre se mêle parmi eux.

Je viens de faire encore une obfervation, reprit Don Cléofas: deux ombres en passant l'une devant l'autre, fe font arrêtées un moment pour se regarder ? enfuite elles ont continué leur chemin. Ce font, repartit le Diable, celle de deux amis intimes, dont l'un étoit Peintre, & l'autre Muficien. Ils étoient un peu ivrognes; à cela prés, fort honnêtes gens. Ils cefférent de vivre dans la même année. Quand leurs Mânes se rencontrent, frapez du

fouvenir de leurs plaisirs, ils se disent par leur triste filence: Ah! mon ami, nous ne boirons plus! Mifericorde, s'écria l'Ecolier, qu'est-ce que je vois? Je découvre au bout de cette Eglife deux ombres qui se promenent ensemble. Qu'elles me paroissent mal apareillées. Leurs tailles & leurs allures font bien différentes ! L'une est d'une hauteur démesurée & marche fort gravement, au lieu que l'autre est petite & a l'air évaporé. La grande, reprit le Boiteux, est celle d'un Allemand qui perdit la vie pour avoir bû dans, une débauche trois fantez avec du tabac dans son vin. Et la perite est celle d'un François, lequel suivant l'esprit galand de sa Nation s'avisa en entrant dans une Eglise de presenter poliment de l'eau-benite à une jeune Dame qui en fortoit: dès le même jour, pour prix de sa politeffe, il fut

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