joüé leurs rôles. Mais les voilà qui levent le masque & le préparent à faire des actes d'héritiers, après avoir fait des grimaces de parens. Ils vont foüiller par tout. Qu'ils trouveront d'or & d'argent! Quel plaifir, vient de dire tout à l'heure un de ses héritiers aux autres, quel plaisir pour des neveux d'avoir de vieux ladres d'oncles qui renoncent aux douceurs de la vie pour les leur procurer! La belle Oraison funébre, dit Léandro Perez! Oh! ma foi, reprit le Diable, la plupart des Peres qui font riches & qui vivent long-tems, n'en doivent point attendre une autre de leurs propres enfans. Tandis que ces héritiers pleins de joie cherchent les trésors du Défunt, la Mort vole vers un grand Hôtel où demeure un jeu. ne Seigneur qui a la petite vérole. Ce Seigneur le plus aimable de dela Cour va périr au commencement de ses beaux jours, malgré le fameux Médecin qui le gouverne, ou peut-être parce qu'il est gouverné par ce Docteur. Remarquez avec quelle rapidi té la mort fait ses operations. Elle a déja tranché la destinée de ce jeune Seigneur & je la vois prête à faire une autre expédition. El. le s'arrête sur un Convent, elle décend dans une Celulle, fond fur un bon Religieux, & coupe le fil de la vie pénitente & mortifiée qu'il méne depuis quarante ans. La Mort, toute terrible qu'elle est, ne l'a point épouventé; mais en récompense elle entre dans un Hôtel qu'elle va remplir d'effroi Elle s'aproche d'un Licencié de condition, nommé depuis peu à l'Evêché d'Albarazin. Ce Prélat n'est occupé que des prépara tifs qu'il fait pour se rendre à fon Diocése avec toute la pompe qui Tome II. B 1 accompagne aujourd'hui les Princes de l'Eglife. Il ne fonge à rien moins qu'à mourir. Néanmoins il va tout à l'heure partir pour l'autre monde, où il arrivera sans fuite comme le Religieux, & je ne sçais s'il y sera reçû auffi favorablement que lui. O Ciel: s'écria Zambullo, la Mort va passer par dessus le Palais du Roi! Je crains que d'un coup de faux la barbare ne jette toute l'Espagne dans la consternation. Vous avez raison de trembler, dit le Boiteux; car elle n'a pas plus de considération pour les Rois que pour leurs Valets de pied: Mais rafsurez-vous, ajoûta t-il un moment après; elle n'en veut point encore au Monarque; elle va tomber sur un de ses Courtisans, sur un de ces Seigneurs dont l'unique occupation est de le suivre & de faire leur Cour. Ce ne sont pas les hommesde l'Etat les plus difficiles à remplacer. Mais il me semble, repliqua l'E. colier, que la mort ne se contente pas d'avoir enlevé ce Courtisan; elle fait encore une pause sur le Palais du côté de l'apartement de la Reine. Cela est vrai, repartit le Diable, & c'est pour faire une trèsbonne cœuvre: Elle va couper le chiflet à une mauvaise femme, qui se plaît à semer la division dans la Cour de la Reine ; & qui esttom. bée malade de chagrin de voir deux Dames qu'elle avoit broüil. lées se réconcilier de bonne foi. Vous allez entendre des cris perçans, continua le Démon. La Mort vient d'entrer dans ce bel Hôtel à main gauche. Il va s'y passer la plus triste Scéne que l'on puisse voir sur le Théâtre du monde. Arrêtez vos yeux sur ce déplorable spectacle. Effectivement dit Don Cléofas, j'aperçois une Dame qui s'arrache les cheveux & se débat entre les bras de ses fem mes. Pourquoi paroît-elle si affligée? Regardez dans l'apartement qui est vis-à-vis de celui-là, répondit le Diable, vous en découvrirez la cause. Remarquez un homme étendu sur ce lit magnifique; c'est son mari qui expire. Elle en est inconfolable. Leur hi. stoire est touchante & mériteroit d'être écrite. Il me prend envie de vous la conter. Vous me ferez plaisir, repliqua Léandro; le pitoiable ne m'attendrir pas moins que le ridicule me réjoüit. Elle est un peu longue, reprit Afmodée; mais elle est trop intéressante pour vous ennuier. D'ailleurs, je vous l'avoüerai, tout Démon que je fuis, je me lasse de suivre la Mort. Laissons-là chercher de nouvelles victimes. Je le veux bien, dit Zambullo. Je plus curieux d'entendre l'histoiredont vous me faites fête, que de voir périr tous les humains l'un fuis |