Cependant la Dame devenuë plus tranquille après l'éloigne ment de Don Alvar, fongeoit as vec quelque douleur, qu'elle veu noit de s'engager à souffrir les foins d'un Amant, dont à la vérité elle estimoit le mérite; mais pour qui son cœur n'étoit point préve nu. Seigneur; Don Fadrique, lui ditelle, j'espére que vous n'abuserez pas de la préférence que je vous ai donnée. Vous la devez à la né ceffité où je me fuis trouvée de prononcer entre vous & Don Alvar. Ce n'est pas que je n'aie toû jours fait beaucoup plus de cas de vous que de lui. Je sçai bien qu'il n'a pas toutes les bonnes qualirez que vous avez. Vous êtes le Ca valier de Valence le plus parfait. C'est une justice que je vous rends. Je dirai même que la recherche d'un homme tel que vous peut Hâter la vanité d'une femme; mais quelque glorieuse qu'elle foit pour moi, je vous avouërai que je la vois avec si peu de goût, que vous êtes à plaindre de m'aimer aussi tendrement que vous le faites paroître. Je ne veux pourtant pas vous ôter toute espérance de tou. cher mon cœur. Mon indifférence n'est peut-être qu'un effet de la douleur qui me refte encore de la perte que j'ai faite depuis un an, de Don André de Cifuentes mon. mari. Quoi-que nous n'aions pas été long-tems ensemble, & qu'il fût dans un âge avancé, lorsque mes parens ébloüis de ses richesses m'obligérent à l'épouser, j'ai été fort affligée de sa mort. Je le regrette encore tous les jours. Eh! n'est-il pas digne de mes regrets, ajoûta-t-elle ? Il ne ref.. sembloit nullement à ces vieillards chagrins & jaloux, qui ne pouvant se perfuader qu'une jeune femme foit affez sage pour leur pardonner leur foiblesse, sont eux-mêmes des témoins assidus de tous ses pas, ou la font observer par une Duégne dévoüée à leur tirannie. Helas: il avoit en ma vertu une confiance dont un jeune mari adoré seroit à peine capable. D'ailleurs, sa complaifance étoit infinie, & j'ofe dire qu'il faifoit fon unique étude d'aller au-devant de tout ce que je paroissois fouhaiter. Tel étoit Don André de Cifuentes. Vous jugez bien, Mendoce, que l'on n'oublie pas aisément un homme d'un caracte-re si aimable. Il est toûjours present à ma pensée, & cela ne contribuë pas peu fans doute à dé tourner mon attention de tout ce que l'on fait pour me plaire. Don Fadrique ne pût s'empêcher d'interrompre en cet endroit Doña Theodora: Ah! Madame, s'écria-t-il, que j'ai de joie d'aprendre de vôtre propre bouche que ce n'est pas par aversion pour ma personne que vous avez mé. prisé mes foins. J'espere que vous vous rendrez un jour à ma constance. Il ne tiendra point à moi que cela n'arrive, reprit la Dame, puisque je vous permets de me venir voir & de me parler quelquefois de vôtre amour. Tâchez de me donner du goût pour vos gaalanteries. Faites enforte que je vous aime. Je ne vous cacherai point les sentimens favorables que j'aurai pris pour vous; mais fi malgré tous vos efforts vous n'en pouvez venir à bout, souvenez-vous Mendoce, que vous ne serez pas en droit de me faire des reproches. Don Fadrique voulut repli. quer; mais il n'en eut pas le tems, parce que la Dame prit la main du Tole dan, & tourna brusquement ses pas du côté de fon équipage. Il alla détacher fon cheval qui éroit attaché à un arbre, & le ti 1 rant après lui par la bride, il suivit Doña Theodora, qui monta dans fon caroffe avec autant d'agita. tion qu'elle en étoit décenduë. La cause toutefois en étoit bien différente. Le Toledan & lui l'accompagnérent à cheval jusqu'aux portes de Valence, où ils se séparérent. Elle prit le chemin.de fa maifon, & Don Fadrique emmena dans la sienne le Toledan. Il le fit reposer, & après l'avoir bien régalé, il lui demanda en particulier ce qui l'amenoit à Valence, & s'il fe proposoit d'y faire un long séjour. J'y serai le moins de tems qu'il me sera poffible, lui répondit le Toledan. J'y passe seulement pour aller gagner la Mer & m'embarquer dans le premier vaifleau qui s'éloignera des côtes d'Espagne, car je me mets peu en peine dans quel lieu du monde j'acheverai le cours d'une vie infortunée, pourvû que ce |