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1701.

LETTRE LVIII.

LA MÊME A LA MÊME.

Ja

A Paris, le 12 Septembre.

E fuis fi peu dans le monde, Madame, & fi peu inftruite de ce qui s'y paffe, que je n'oferois vous agacer; mais quand vous m'honorez de votre fouvenir, j'y répons avec un empreffement, qui vous doit faire connoître la fenfible joie que j'en ai, & juger en même temps que mon filence doit s'appeller de la difcrétion toute pure. Il eft vrai, Madame,que vous êtes bien expofée aux grandeurs de ce monde; vous réusfiffez fi bien, qu'il feroit malheureux que vos talens ne paruffent point; vous ne payez pas feulement d'invention; on n'a parlé ici que de la magnificence avec laquelle vous avez reçu les Princes; ce n'étoit qu'en attendant la Reîne d'Efpagne : Me de Bracciane fera ravie de vous préfenter à fa jeune Reine; je la trouve,

trouve, comme vous, bien digne de l'emploi qu'elle a ; mais la façon de penfer de quelqu'un qui n'eft plus jeune, ne laiffe rien imaginer d'agréable*; j'ai déja tant vêcu qu'il me paroît peu poffible d'envifager un long avenir; ainfi ce peu qui me refte, j'aimerois à le paffer dans le repos. Je n'ai jamais eu de goût pour les perfonnages, qui n'étoient point les jeunes dans les Comédies; cela m'eft demeuré pour le théatre du monde ; ma pareffe naturelle, une foible fanté fans doute, me donnent de telles penfées, qui s'accommodent fi bien avec ma médiocre fortune, que je n'en puis affez remercier Dieu. J'ai trop aimé le monde ; mais il me femble que je n'ai pas perdu le temps que j'ai paffé à m'en détromper; car il eft certain que je préfére la vieilleffe aux belles années , par la grande tranquillité dont elle me laiffe jouir; mais je veux répondre à vos queftions, Madame. Le voyage que Me de Lou. vois devoit faire en Bourgogne, eft

*Me de Bracciane étoit fort vieille.

H

rompu; elle eft à Choisi pour toute l'automne; M. de Coulanges y eft avec elle, & je compte y aller dans fept ou huit jours; comme je n'ai point encore de maifon de campagne,je prens patience à Paris. Sije vis jufqu'à l'année qui vient, j'aurai Ormeflon, qui n'eft plus reconnoissable que par le bois; la maifon eft auffi blanche qu'elle étoit noire; les fenêtres font coupées jufques en bas; enfin, il y aura pour se coucher, pour fe promener; &, grace à Dieu, je n'en defire pas davantage; pardonnez moi, je defire paffionnément de vous y recevoir; les cabarets plaifent quelquefois, quand on eft accoûtumé aux délices des grands palais. Oui, Madame, M. de Cou langes ira voir M. le Cardinal de Bouillon, lequel, à ce que j'apprens, eft bien plus heureux qu'il n'a jamais été. Je fuis tout-à-fait fenfible au malheur qui vient d'arriver à M de Chatelus; fon fils, bien fait, bien riche, qu'elle alloit marier à une héritière de Bourgogne, a été tué à cette dernière occafion * i je

Au combat de Chiari,

crois que M. le Maréchal de Villeroi juftifiera tout-à-fait la conduite de M. le Maréchal de Catinat; il eft fi honnête-homme qu'il ne dira que des véritez. Votre amie Mc de Lefdiguières a été bien-heureufe ; vous ne m'aviez jamais confié que ce qu'elle a pour vous, Madame eft une paffion très vive. Me de Louvois & moi, paffames avec elle, il y a quelques jours, une partie de l'après-dînée; elle nous montra un affortiment pour prendre du caffé d'une magnificence & d'une perfection, comme il n'y en a point; on propofa d'en faire ufage, elle nous affura que perfonne ne s'en ferviroit avant votre retour; elle l'attend avec une impatience que je comprens mieux que perfonne; en un mot, Madame, vous lui avez inspiré des fentimens qui lui feroient inconnus fans vous. Son palais eft plus beau & plus tranquille que jamais ; je m'y trouve à merveilles; il me paroît qu'on ne fe peut ennuyer dans un lieu, où vous êtes fi chérie. L'Abbé Têtu a été ravi de l'honneur de votre fouvenir, auffi bien que Me de Fronte

nac & Mlle d'Outrelaife; ce premier eft plus jeune que jamais; il feroit tout prêt à conduire le Roi d'Efpagne *; chaque année lui en ôte deux, de façon qu'il eft affurément trop jeune. Il y a long-temps que je n'ai vu Me votre belle-four; elle a des vapeurs ; & quand cela eft ainfi, elle eft feule fur fon lit. Je lui ferai vos reproches. Je crois que M. de Sévigné reviendra bientôt de Bretagne:à propos de la Bretagne,perfonne ne doute que M. de Beaumanoir n'époufe Mile de Noailles. Me de Simiane accouchera bientôt ; je voudrois bien pouvoir lui être bonne à quelque chofe; mais je fuis très-peu habile fur les accouchemens; & comme vous fçavez que je ne jouë point, vous voyez bien qu'il m'arrive encore de lui être inutile,quand elle fe porte bien; j'aurai cependant l'honneur de la voir, & de vous mander de fes nouvelles, quand elle ne fera point en état de vous écrire. Me de Sanzei eft à Autri. La Cour eft à Marli

* Allufion à Mc de Bracciane, qui malgré fon âge avancé, conduifoit la Reine d'Es pagne.

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