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1695.

LETTRE LXXIX.

LE MÊME A LA MÊME.

M

A Paris, le 21 Janvier.

ON Dieu, les bonnes lettres que les vôtres, ma trèsaimable gouvernante, & que les détails me font plaifir ! J'ai vu toutes vos noces, comme fi j'y avois affifté; j'ai vu ce beau château illuminé, toute la compagnie qui le rempliffoit, les belles hardes, & tous les ajuftemens de la mariée ; ces trois tables fomptueufement fervies dans la galerie; tous les appartemens richement meublez & éclairez; j'ai même entendu la mufique; en un mot, par vos détails aimables je n'ai rien perdu, & ils m'ont tiré de la peine où j'étois de voir les tables fervies dans la galerie en ce temps-ci; j'en trouvois la féance bien froide ; mais les deux cheminées dont vous me parlez,

m'ont

m'ont réchauffé l'imagination; & je me fuis trouvé à ce feftin nuptial fans autre incommodité que d'y avoir trop mangé; car jamais je ne fis meilleure chère. Vous vous êtes, en vérité, acquittée des détails à merveilles; mais qui m'apprendra fi véritablement nous avons une Marquife de Grignan, & fi nous pouvons efpérer des neveux dignes de leurs ancêtres? qu'on m'affure au moins que la première nuit des noces du Marquis ne reffembla point à la première nuit des noces de M. fon père, & je me le tiendrai pour dit. Pour moi, je fais toujours la même vie, ma très- aimable Marquife, tantôt à Verfailles, & tantôt à Paris, & toujours en bonne compagnie. Je partage à Paris mes nuits entre mes deux femmes; car j'en paffe bien autant au quartier de Richelieu * , que dans la rue des Tournelles; bien m'en a pris par les temps horribles que nous avons eus; car il n'y alloit pas moins que de la vie à courir les rues, & principalement la

* C'est-à-dire, à l'hôtel de Louvois.

N

nuit. Nous avons enfin ici les bons Chaulnes tout comme vous les avez jamais vus, & toujours auffi difpofez à faire bonne chère à leurs amis, ils font arrangez à merveilles dans leur hôtel; & la Ducheffe toujours fi opposée aux changemens qu'on y veut faire, est toujours ravie, quand elle arrive de Bretagne, de les trouver faits, & eft toute la première à les approuver. MONSIEUR, que vous fçavez qui eft paffionné pour elle, la vint voir hier, & lui fit une vifite la plus aimable qu'on puiffe faire. Me de Coulanges fut invitée pour aller faire les honneurs, & elle n'y manqua pas, comme vous pouvez croire. Pour moi, je ne me trouvai point à l'hôtel de Chaulnes, quand MONSIEUR y vint, parce que je dînois au fauxbourg S. Germain mais j'y arrivai affez tôt pour trouver encore des feux d'un très-bon air dans toutes les cheminées & toutes les marques d'une riche maifon, où l'on fçait vivre à la grande, MONSIEUR fut voir encore Me la Princeffe de Rohan, qui eft en cou, che; & la Princeffe d'Epinoi la

;

doüairière, qui a été malade. La mort de la Princeffe d'Orange* fait toujours faire beaucoup de raisonnemens; mais hier encore il y avoit des parieurs, qui foûtenoient qu'elle n'étoit point morte; quoiqu'il en foit, il eft réfolu par le Roi, fon père, qu'il ne recevra point de vifites, & qu'on n'en portera point le deuil. Mlle d'Hocquincourt époufe le Marquis de Feuquières ; & Mc de Bracciane donne de petits bals qui finiffent à dix heures du foir; on y voit toutes les héritières à marier; & c'est à ceux qui y prétendent, à les aller faire danfer. Voilà toutes nos nouvelles. Je m'en vais de ce pas dîner à l'hôtel de Chaulnes ; le mari & la femme s'en vont après-dîné à Versailles; pour moi, je fuis fort prié d'aller à S. Martin, & je ne fçais fi je n'irai point dimanche avec M. le Duc de Montmorenci qui a fait efpérer au Cardinal qu'il m'y méneroit; c'est toujours une très-bonne maifon en quelque faison que ce foit, & quelque temps qu'il * Fille de Jacques II, Roi d'Angleterre, morte le 7 Janvier 1695.

ni

faffe. Adieu, ma très-adorable, je vous remercie d'avoir fi bien diftribué tous mes complimens; je vous fupplie de continuer, & d'être trèsperfuadée que perfonne au monde n'eft plus à vous que j'y fuis avec un plus tendre attachement, Me d'Armagnac m'a envoyé fon portrait, & ceux de fes deux filles *; vous croiez bien qu'il a fallu leur faire place; mais ne foyez point en peine pour votre portrait, il occupe toujours le même lieu, & tient à mon cœur, ce qui eft bien plus vous dire qu'à fer & à clou. Me de Coulanges fe porte affez joliment; elle commence à manger un peu plus qu'elle ne faifoit.

*Me la Ducheffe de Valentinois, & Mile d'Armagnac.

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