LETTRE LXXXIII.

LE MÊME A Mes DE SÉVIGNÉ & DE GRIGNAN.

A Paris, le 22 Juin.

'ARRIVAI avant-hier de S. Martin; je paffai hier tout le jour à Choifi; je m'en vais coucher à Verfailles, pour m'en aller demain matin à Evreux avec tous les Bouillons du monde, qui fe mettent à m'aimer à l'exemple du Cardinal, & qui veulent auffi m'avoir à leur tour; & puis, dites, Mefdames, que votre petit-coufin n'eft pas un homme fort confidéré; ce qui eft encore à fçavoir, eft que je ne vais point d'un côté, qu'on ne crie miféricorde de l'autre ; car Me de Louvois étoit hier dans une fi terrible colère de ce que je l'abandonnois encore pour huit ou dix jours, & me fit des reproches fi tendres que peu s'en fallût que je ne lui facrifiaffe mon voyage d'Evreux; mais auffi je lui fis voir

1695.

des lettres fi honnêtes & fi touchan. tes & fi menaçantes de M. & de Mlle de Bouillon, que Me de Louvois s'y rendit à la fin, à condition qu'à mon retour je ne la quitterois pas d'un moment pour cogner & recogner à Choifi depuis le matin jufques au foir; mais il faudra bien pourtant placer encore une petite partie de S. Martin; car Me de Chaulnes, qui veut fe tuer à quelque prix que ce foit, par tous les tourmens qu'elle fe donne fans rime ni raison, n'a pu y venir la femaine paffée, comme elle l'avoit réfolu avec Me de Coulanges, à qui le Cardinal veut faire voir comme je fuis le maître dans ce délicieux féjour; & combien, quand j'y fuis, il y eft peu queftion de lui. Ce voyage n'eft que différé, & mon amour-propre prendra foin de le renouer, dès que la fanté de la Ducheffe le permettra; voilà déja une grande épine hors de fon pied; car l'affaire du Ménil-montant vient d'échouer une feconde fois ; vous jugez bien que les embarras ne viennent que de la part du Premier Préfident, qui eft homme difficultueux,

Comme je n'ai point vu M. de Chaulnes depuis que je fuis ici, parce qu'il a toujours la rage de Vertailles, je ne fçais point les tenans & les aboutiffans de la rupture de ce marché; mais je les fçaurai tantôt; car le Duc vient dîner à Paris

, parce

que le Roi s'en va à Marli pour neuf jours; & je me propofe d'aller diner avec lui pour lui dire adieu, & voir un peu comme fe porte cette grande Ducheffe, qui a pour garde par préférence à toute autre, Me de S. Germain avec une quenouille à fon côté & le fufeau à la main. Je viens encore de paffer les plus aimables jours du monde à S. Martin; M. de Chaulnes nous y eft venu voir avec Me de Guénegaud. Vous demandez, Mefdames, toutes les folies que produiront, le voyez-vous? Non. Ni moi non plus. En voici de toutes nouvelles ; mais les dernières, pour ne pas pouffer à bout cette plaifanterie qui en deviendroit mauvaise à la fin. M. le Cardinal de Bouillon pour adoucir la deftinée de fes niéces qui font dans des Couvens, au moins les deux dernières, car l'aînée eft à

la Cour, les méne à S. Martin, & fe charge plus volontiers encore de Mlle d'Albret, que de Mlle de Châteauthierri, enforte que nous appellons la petite d'Albret Me de S. Martin, & que c'eft elle qui en fait les honneurs; & même en ce tempsci elle préfére à Port Poyal de Paris, une maifon de Religieufes de Pontoife, où elle demeure pendant les petits féjours que fon oncle eft obligé d'aller faire à Verfailles & à Marli; enforte qu'à l'heure préfente, elle eft dans fon Couvent de Pontoife, le Cardinal étant à Verfailles pour s'en aller aujourd'hui à Marli avec S. M.: mais revenons à nos moutons, M. de Chaulnes s'ap priyoifa avec la petite d'Albret ; il la trouva jolie, & ne put même s'empêcher de le lui dire; en forte qu'en même temps je m'avifai de lui propofer de la prendre pour fa bellefille; plût à Dieu, dit le Cardinal! plût à Dieu, dit M. de Chaulnes! Mais hélas ! Voyez-vous ce ma, ri, ce Duc de Picquigni, ce fils uni

La plaifanterie confifte en ce que le Duc

de Chaulnes n'avoit point d'enfans,

quie? Non. Ni moi non plus ; & de rire. M. de Chaulnes s'en alla à Patis, & moi, je me mis à faire ces couplets, que je lui envoyai le lendemain; c'est encore fur l'air de Joconde.

La belle d'ALBRET pour certain
Dans deux jours fe marie,
Tout fe prépare à Saint Martin
Pour la cérémonie.

Elle époufe un joli garçon

Fait, comme une peinture;
Le voyez-vous ? vous dites, non
Ni moi, je vous le jure.

Il eft fils d'un fort grand Seigneur,
Homme de conféquence ;

Trois fois à Rome Ambaffadeur,

Et Duc & Pair de France.

Son époufe dans Trianon
Fera bonne figure.

Le voyez-vous ? vous dites, non:

Ni moi, je vous le jure.

Le petit Comte de Nicé

Qui bien loin d'être bête,
Pour fon âge eft fort avancé,
Doit venir à la fête.