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& de-là à Tagafte voir l'évêque Alypius. Melanie l'ancienne retourna à Jérufalem, avec fon petit-fils Publicola, & y mourut quarante jours après qu'elle y fut arrivée. S. Auguf tin ne put aller à Tagafte, comme il le fouhaitoit ardemment, voir Albine, Pinien & la jeune Melanie étant à Hippone pour le falut de fon peuple. Sans cela, les pluies & la rigueur de l'hyver, auquel il étoit très-sensible, même en Afrique, ne l'auroient pas retenu.

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Ils vinrent quelque tems après le voir à Hippone, & comme ils étoient dans l'églife, le peuple fe jetta fur Pinien, demandant avec grands cris à S. Auguftin de l'ordonner prêtre de leur églife. S. Auguftin dit qu'il ne l'ordonneroit point malgré lui : mais le peuple fe mit à crier plus fort qu'auparavant. Pinien & Melanie fon époufe, avec laquelle il vivoit depuis longtems en continence, prétendoient que le peuple d'Hippone n'agiffoit ainfi que par intérêt, pour acquérir à l'églife & aux pauvres d'Hippone, ces richeffes qu'il diftribuoit avec profusion.

S. Auguftin voyant ce défordre, s'avança, & dit à fon peuple: Si vous prétendez l'avoir pour prêtre, contre la parole que j'ai donnée, vous ne m'aurez point pour évêque; après quoi il quitta la foule, & revint à fon fiége. Cette réponse furprit le peuple, & le retint un peu: puis ils recommencérent à s'échauffer davantage, croyant forcer S. Auguftin à rompre fa parole, ou faire ordonner Pinien par un autre évêque. S. Auguftin difoit à ceux qui pouvoient l'entendre, c'est-à-dire aux plus confidérables de la ville, qui étoient montés vers le fanctuaire : Je ne puis manquer à ma parole, & Pinien ne peut être ordonné par un autre évêque dans l'églife qui m'eft confiée, fans mon confentement; fi je le permettois, je manquerois encore à ma parole. Que fi vous le faites ordonner malgré lui, tout ce que vous gagnerez, c'eft qu'il fe retirera après fon ordination. Cependant la multitude qui étoit devant les dégrés du fanctuaire, perfiftoit dans la même volonté avec des clameurs horribles, & s'emportoit contre S. Alypius qui étoit préfent, comme s'il eût voulu garder Pinien pour fon églife de Tagaste, afin de profiter de fes richèffes. S. Auguftin craignoit qu'il n'arrivât pis, & qu'il ne fe mêlât dans la foule des gens perdus, qui priffent occafion de ce tumulte pour commettre quelque violence par le defir de piller ; & il ne fçavoit quel

parti prendre. Il vouloit fortir de l'églife, de peur qu'elle AN. 410 ne fût profanée : & il craignoit que, s'il en fortoit, ce malheur n'arrivât plutôt, le peuple étant encore plus irrité & moins retenu par le refpect. Dailleurs s'il paffoit au travers de cette foule avec Alypius, il étoit à craindre que quelqu'un ne fût affez hardi de mettre la main fur lui : & il n'y avoit pas d'apparence de le laiffer expofé à la fureur de ce peuple. Comme S. Auguftin, étoit dans cet embarras, tout d'un coup Pinien lui envoya dire qu'il vouloit jurer au peuple, que fi on l'ordonnoit malgré lui, il fortiroit abfolument d'Afrique. Il croyoit que le peuple cefferoit d'infifter fur une prétention qui ne pourroit avoir autre effet que de le chaf-. fer car on étoit bien perfuadé qu'il ne fe parjureroit pas ; mais S. Augustin, qui craignoit que ce ferment n'aigrît encore plus le peuple, n'en dit mot, & alla auffi-tôt trouver Pinien qui l'avoit demandé. Comme il alloit, Pinien lui fit encore dire qu'il demeureroit, fi on ne l'engageoit point à entrer malgré lui dans le clergé. S. Auguftin commença un peu à refpirer: & fans lui rien répondre, il alla promp tement trouver S. Alypius, & lui rapporta ce que Pinien lui avoit dit. S. Alypius, craignant de choquer la famille de Pinien, dit : Qu'on ne me confulte point là-deffus. S. Auguf tin revint au peuple, & ayant fait faire filence, il dit ce que Pinien promettoit de jurer. Comme ils ne fongeoient qu'à le faire ordonner prêtre, ils n'en furent pas contens mais après avoir un peu confulté entre eux, ils demandérent qu'il ajoutât à fa promeffe, que fi jamais il confentoit à entrer dans le clergé, ce ne feroit que dans l'églife d'Hippone. S. Auguftin le rapporta à Pinien: il y confentit fans héfiter, &. le déclara au peuple, qui en fut content, & qui demanda. le ferment qu'on avoit promis.

S. Auguftin retourna trouver Pinien que l'on gardoit dans un lieu féparé, & le trouva embarraffé fur le choix des paroles du ferment, à caufe des néceffités de fortir qui pourroient arriver, comme une incurfion d'ennemis. Sainte Melanie fon époufe vouloit ajouter le mauvais air. S. Auguftin craignoit que toute reftriction ne fût fufpecte au peuple. On convint d'en faire l'expérience. Le diacre lut à haute voix les paroles de Pinien, & le peuple en fut content mais à ces mots de néceffité furvenante, il fe récria il fe récria, & recommença à faire du bruit, croyant qu'on le vouloit tromper.Tome IV.

F

AN. 410.

XXIV.

Lettres de S. Auguftin fur le ferment de Pinien, Ep. 125. al. 274.

Ce que voyant Pinien, il fit ôter le mot de néceffité; & le peuple reprit fa premiére joie. Pinien vint alors trouver le peuple, & confirma ce que le diacre avoit dit de sa part, & le ferment qu'il avoit lu. On demanda qu'il fouscrivît, & il le fit. Quelques-uns des principaux demandérent que les évêques foufcriviffent auffi. S. Auguftin ayant commencé d'écrire, fainte Melanie s'y oppofa. Saint Augustin s'étonna qu'elle s'en avifat fi tard; comme fi, en ne foufcrivant pas, il eût pu annuller le ferment. Toutefois il eut cette complaifance pour elle, il laiffa fa foufcription imparfaite, & perfonne ne le preffa de l'achever. Pinien fortit d'Hippone le lendemain, & retourna à Tagafte; ce qui caufa de l'émotion parmi le peuple: mais il s'appaifa, quand il fçut qu'il conservoit toujours l'intention de revenir.

Cependant Albine fa belle-mere, qui apparemment n'étoit pas à Hippone lors de ce tumulte, fe plaignit de la violence qu'on lui avoit faite; foutenant que l'on n'en vouloit qu'à fon bien, & que le ferment qu'il avoit fait par force & par la crainte de la mort, ne le pouvoit obliger. S. Auguftin en écrivit à Alypius, pour le prier de guérir de ce foupçon Albine & fes enfans, c'est-à-dire, Pinien fon gendre & fa fille Melanie; car, dit-il, quoiqu'ils ne fe plaignent que du peuple, on voit bien que ces foupçons tombent fur le clergé, & principalement fur les évêques, qui paffent pour être les maîtres du bien de l'églife. Et nous ne devons pas nous contenter du témoignage de notre confcience: mais fi nous avons quelque étincelle de charité, nous devons avoir foin. de bien faire, non feulement devant Dieu, mais devant les hommes. Comme Pinien doutoit s'il étoit obligé à garder ce ferment, qu'il n'avoit fait que pour éviter la violence du peuple d'Hippone; S. Auguftin donne ces maximes fur la matiére des fermens. Un ferviteur de Dieu doit plutôt s'expo7.3. fer à une mort certaine, que de promettre avec ferment une action défendue, parce qu'il ne pourroit accomplir fon ferment que par un crime: mais celui qui a promis une chofe permife, par la crainte d'un mal incertain, comme Pinien doit accomplir fa promeffe, plutôt que de commetre un parjure certain. On doit obferver le ferment, non felon la ri7.4. gueur des paroles dans lefquelles il eft conçu, mais felon l'attente de celui à qui on le fait, connue par celui qui jure. Ainfi l'absence de Pinien n'étoit point contraire à fon fer

ment, tant qu'il avoit l'efprit de retour.

AN. 407

S. Auguftin écrivit auffi à Albine, non pour fe plaindre Ep. 126. du foupçon qu'elle avoit de lui, mais pour fe juftifier & la confoler. Il lui rend un compte exact de tout ce qui s'étoit paffé à Hippone au fujet de Pinien. Puis il montre que l'on ne doit pas foupçonner le peuple d'Hippone de l'avoir voulu retenir par intérêt. Ce n'eft pas, dit-il, votre argent qui 7.7. les a touchés, mais le mépris que vous avez pour l'argent. Ce qui leur a plu en moi, c'eft qu'ils fçavoient que j'avois quitté pour fervir Dieu quelques petits héritages de mon patrimoine ; & ils ne les ont pas enviés à l'églife de Tagafte où je fuis né mais comme elle ne m'avoit point engagé dans la cléricature, ils m'y ont fait entrer quand ils ont pu. A combien plus forte raison ont-ils été touchés de voir en notre cher Pinien le mépris de tant de richeffes & d'efpérances? Plufieurs trouvent que, loin de quitter les richeffes, j'y fuis parvenu mon patrimoine feroit à peine la vingtiéme partie des biens de cette églife. Mais Pinien, quand il feroit évêque en quelque églife que ce foit, principalement d'Afrique, ne fçauroit être que pauvre, en comparaifon des biens qu'il poffédoit. Le foupçon d'intérêt ne peut donc tomber que fur les clercs, & principalement fur l'évêque; car c'eft nous que l'on regarde comme les maîtres du bien de l'églife. Or n.9. Dieu m'eft témoin que loin d'aimer, comme l'on croit, cette administration, elle m'est à charge; & que je ne m'y foumets que par la crainte de Dieu, & la charité que je dois à mes freres: "enforte que je voudrois m'en pouvoir décharger, fi mon devoir me le permettoit. Il ajoute, en parlant des apôtres : Nous ne pouvons travailler de nos mains comme eux pour notre fubfiftance; & quand nous le pourrions, nos grandes occupations, dont je ne crois pas qu'ils fuffent chargés, ne nous le permettroient pas. Il traite enfuite la matiére du ferment prêté par force, comme il avoit fait dans la lettre à Alypius; ne permettant pas de douter qu'on ne doive l'accomplir, & dans le fens de ceux à qui on l'a fait.

S. Auguftin avoit encore montré fon défintéreffement en une affaire que l'on croit être arrivée quelques années auparavant. Les habitans de Thiave ayant renoncé aù fchifme des Donatiftes, il fallut leur donner un prêtre pour les gouverner. Ce fut Honorat, que l'on tira du monaftére de Tagafte. La coutume étoit, que ceux qui entroient dans les monafté

n.8.

n. 10:

XXV. Défintéreffement de S. Auguftin.

AN. 410.

res, commençoient par fe défaire de tout leur bien au profit des pauvres, ou du monaftére même. Si quelqu'un se préfentoit qui ne pût encore difpofer de fon bien, on ne laiffoit pas de le recevoir, pourvu qu'il parût fincérement réfolu à le quitter fitôt qu'il pourroit. Honorat étoit dans le cas, & avoit encore fon bien, quand on l'ordonna prêtre de l'églife de Thiave. La question fut à qui ce bien demeureroit. Ceux de Thiave y prétendoient, par la règle de ce temslà, que les biens des clercs appartenoient à l'église où on les Aug. ep. 83. n. 4. ordonnoit. Alypius évêque de Tagafte prétendoit que le bien d'Honorat devoit aller au monaftére de Tagafte & craignoit que s'il alloit à l'églife de Thiave, comme étant encore à Honorat, cet exemple ne fervit d'occation à ceux qui entreroient dans les monaftéres, pour différer à quitter leurs biens. S. Auguftin croyoit que le bien d'Honorat devoit appartenir à l'églife de Thiave. S. Alypius vouloit partager le différend, garder la moitié pour le monaftére de Tagafte, & laiffer l'autre moitié à l'églife de Thiave; à condition que S. Auguftin feroit trouver d'ailleurs au monaftére de Tagaste la valeur de l'autre moitié : & S. Auguftin en convint.

Dep. 83. al. 239.

Depuis y ayant penfé plus à loifir, il écrivit à S. Alypius que ce partage ne lui plaifoit point. Car, dit-il, fi nous leur ôtions le total, ils croiroient que nous l'aurions trouvé juste fi nous entrons en compofition, il femblera que nous n'aurons regardé qu'à l'argent; & le même inconvénient en arrivera: ceux que nous voulous convertir garderont la moitié de leur bien en entrant dans le monaftére. Il conclut donc de laiffer tout le bien d'Honorat à l'églife de Thiave, fuivant la règle générale, pour éviter le fcandale & le foup-. çon d'avarice, principalement à l'égard des nouveaux réunis. J'ai conté l'affaire, dit-il, à notre confrere l'évêque Samfucius il a été fort étonné que nous euffions été de cet avis, fans s'arrêter à autre chofe qu'à l'apparence honteuse & indigne, non feulement de nous, mais de qui que ce foit. S. Auguftin convient toutefois de donner au monaftére de Tagafte la moitié qu'il avoit promife. Vers ce tems-là un des amis de S. Auguftin, nommé Constantin, lui donna, comme ils étoient ensemble à la campagne, un livre de Petilien évê11. Retract. c.34. que Donatifte, & le pria inftamment d'y répondre. Le tiDe un. bapt. c. 1. tre étoit du baptême unique; & le fujet, de montrer que le vrai baptême n'étoit que chez eux. Saint Augustin le ré

4.9. P. 527.

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