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TRAITE

DE LA

PRIERE,

SECONDE PARTIE

LIVRE TROISIE' ME.. Des divers états des ames, & de quelle maniere on s'y doit conduire.

CHAPITRE PREMIER.

Diverfes pensées qui peuvent naître fur
le jugement qu'on doit faire des divers
états des ames, & fur la conduite
qu'on y doit tenir ; & qu'il en faut
prendre les Peres pour Juges.

Cvelle que de reconnoître dans les
E N'EST pas une fpiritualité nou

ames juftes divers états de froideur &
de ferveur, de défolation & de con-

H

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folation, de fécher efle & de fentimens tendres, de tenebres & de lumiere d'infenfibilité & de dévotion, Les Peres ont reconnu ces viciffitudes, foit dans la priere, foit dans les autres Aug, exercices de la vie chrétienne. S, Au- in Pfal. guftin marque en divers endroits le 106. dégoût & les froideurs qui arrivent aux Juftes mêmes. Celui, dit-il, qui a furmonté la concupifcence & qui mene une vie reglée & irreprochable, eft attaqué par la troifiéme tentation qui eft celle du dégoût, en forte que quelquefois il ne prend plaifir ni à lire, ni à prier; ita ut aliquando eum nec legere nec orare deleclet. Et il dit la même chose dans la question feconde du premier livre à Simplicien.

ઃઃ

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Hugues & Richard de faint Victor, Bonavanture, Gerfon, l'Auteur de Imitation de J. C. parlent auffi de ces divers états où se trouvent les ames comme d'une chofe ordinaire. Et faint Bernard témoigne que fes Religieux fe plaignoient fouvent dans leurs confeffions de leurs féchereffes, de leur ftupidité & du défaut de ferveur qu'ils éprouvoient dans les chofes de Dieu, Plerique veftrum, dit-il, in privatis confeffionibus fuis conqueri folent de ejuf- 9. in 1

Bern

Serm.

Cant.

I.

Dom. modi arentis animi languore, quod Dei poft. fcilicet alta atque fubtilia penetrare neEpiph. queant, quòd de fuavitate Spiritus aut Scr.2. nihil aut parùm fentiant. Et il dit ailleurs, qu'étant touché de leurs plaintes il s'adreffoit fouvent à la Mere de miséricorde, afin qu'elle représentât à son Fils qu'ils n'avoient point de vin.

Mais il eft queftion de ce que l'on doit juger de ces differens états, quels font ceux qu'on doit préferer aux alltres, & quelle conduite on y doit tenir. Car les différentes faces par lefquelles on peut regarder la vertu chrétienne & les conféquences qu'on peut tirer de quelques principes imparfaitement compris, peuvent faire naître fur ce point une grande diverfité de pensées.

Si l'on fuit les premieres vûës & les premieres notions que l'Ecriture nous donne, on entrera d'abord dans ces pensées, que Dieu étant par lui-même & lumiere & charité, & la grace n'étant qu'une impreffion de cette lumiere & de cette charité qui eft Dieu même, elle produit toujours dans les ames & la lumiere & la charité. D'où l'on doit conclure que l'augmentation de la grace n'eft autre chofe qu'unc

augmentation de lumiere & de chari

té.

Or l'amour est toujours accompagné de quelque plaifir & de quelque joye ou fenfible ou fpirituelle, ce qui fait qu'il eft appellé même du nom de delectation, Car quand S. Auguftin diţ que la volonté fuit dans ces actions ce qui la delecte davantage, cela ne fignifie autre chole finon qu'elle foit ce qu'elle aime davantage. Et quand l'Ecriture dit: Mettez toute votre joye dans le Seigneur, & il vous accordera ce que votre cœur défire, cela veut dire: Aimez le Seigneur, & il vous accordera ce que vous défirez.

Aufli faint Augustin donne ordinairement à la grace le nom de delectation, & il marque l'abfence de la grace par l'abfence de la delectation. Les hommes, dit-il, ne veulent pas faire le bien, ou parce qu'ils ne le connoissent pas, on parce qu'il ne les delecte pas. NOLUNT homines facere quod juftum eft, five quia later an juftum fit, five quia non delec

tat.

Saint Paul même expliquant en quoi confifte le Royaume que Dieu établir en nous par la grace, dit que c'est dans la juftice, dans la paix & dans la joye

Pf. 36.

que donne le Saint-Elprit ; & de même dans l'Epître aux Galates, il joint encore la joye à la charité: Fructus autem fpiritus gaudium & pax.

Il exhorte les Romains à être fervens: Spiritu ferventes. Il rend graces à Dieu pour les Corinthiens de ce que Dieu les avoit comblez de fcience. Il fouhaite aux Ephefiens que les yeux de leur cœur fuflent éclairez. Il fouhaite aux Philippiens que leur charité croiffe de plus en plus en lumiere & en intelligence. Et il défire aux Coloffiens toute la fageffe, & toute l'intelligence fpirituelle.

Je fçai bien qu'on peut dire avec raifon que cette ferveur & cette joie ne font pas toujours fenfibles, & qu'il y a une joïe & une ferveur aufquelles les fens n'ont point de part. Mais quelque fpirituelles qu'elles foient elles ne laiffent pas d'animer l'ame, de la remplir de force & de courage, de lui faire goûter les chofes divines; & elles paroiffent incompatibles avec le dégoût, la lâcheté, la froideur, & la dureté du cœur.

L'Ecriture ne nous donne point d'autre idée de la grace chrétienne que celle-là; & fi elle nous repréfente

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