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à celles qu'elle a de ce qui rend Diea effectivement aimable, elle s'y trompe facilement & s'imagine aimer Dieu, au lieu qu'elle n'aime en effet que les propres avantages qui lui reviennent de fon amour.

Celui-là, dit Saint Auguftin, plaît à Dieu à qui Diea plaît. Ille placet Deo, cui placet Deus. Il faut donc voir ce qui nous plaît dans l'amour de Dieu. Si c'eft fa verité, fa justice, sa fainteté, la fageffe; c'eft Dieu qui nous plaît, parce que cette verité, cette juftice, cette fainteté, cette fageffe font certainement en Dieu & Dieu même. Mais ce n'eft pas fe plaire en Dieu que d'aimer fimplement les avantages qui nous en reviennent: Et ainfi comme l'amour de la justice de Dieu eft toûjours pur & définteref fé, l'amour des avantages que cet amour nous apporte, peut être l'objet d'un amour de cupidité & d'interêt, c'est-à-dire d'amour propre. Ainfi dans ce mélange d'idées qui peuvent être animées par differens amours, il n'eft pas étrange que l'ame s'y trompe, & qu'étant intereffée dans le jugement qu'elle porte d'elle-même, elle s'attribuc les mouvemens les plus purs,

lorfqu'elle

lorfqu'elle n'en a en effet que de grol

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fiers & d'intereffez.

L'ame trouve de plus dans ces oraifons où l'efprit eft frappé de differentes idées & de divers mouvemens, plufieurs autres chofes qui lui font agréables, & qui peuvent produire en elle un goût & un contentement humain. Cette facilité de paffer de pensée en pensée, & de tirer des confequences des veritez qui fe prefentent à l'efprit, donne déja quelque fatisfaction, parce que l'ame aime tout ce qu'elle fait fans peine: Il s'y mêle de plus affez aifément de certaines vûës qu'on éprouve ce que les Saints ont éprouvé, & qu'on eft éclairé & fpirituel. Car on fait infenfiblement de la pieté un certain métier dans lequel on veut réüssie comme dans les autres, & l'on prend pour marque de ce fuccès le goûr & les lumieres que l'on a dans ces prieres, On en tire des conféquences favorables pour l'état de fon ame. On s'en fert pour appaifer fes fcrupules, & pour établir en foi une paix humaine que le diable n'a garde de troubler, parce que cette paix empêche qu'on ne reconnoiffe & qu'on n'approfondiffe plufieurs devoirs importans.

Tome II.

B

On conçoit facilement qu'un Prédicateur qui s'applique à penfer à un fujet de pieté dans le deffein d'en entretenir les auditeurs, peut avoir un contentement fort humain des belles perfées qui fe prefentent à fon efprit, & des mouvemens même avec lesquels il fe propofe de les exprimer : Et il eft ailé de comprendre que ces mouvemens dont il a l'idée, ne font point effectivement dans fon cœur, qu'ils ne font que fur la furface de fa penfée, & qu'ils ne le fatisfont que dans la vûë fecrete qu'il a que ces mouvemens étant exprimez, exciteront dans fes auditeurs des fentimens qui lui feront favorables.

On comprend de même fans peine que lors qu'on s'entretient de quelque fujet dans la priere, avec la vûë qu'on fera obligé d'en rendre compre, cette vûë nous peut faire trouver du plaifir dans la facilité que nous y avons, & dans la penfée que ces mouvemens dont nous concevons l'idée, feront approuvez par ceux à qui nous devons les découvrir.

Mais il faut concevoir de plus que fans ce retour même que la vanité fait faire fur le jugement de ceux qui

connoîtront nos penfées, il fuffit pour en avoir une vaine complaifance qu'on y faffe foi-même réfléxion, & que l'on foit comme l'auditeur & l'approbateur de ce que l'on fait dans cet

exercice.

Car on s'imagine souvent, comme nous avons dit, que l'on aime les objets, quoique notre amour se termine à nous-mêmes qui regardons ces objets. On n'aime pas Dieu, on n'aime pas la dévotion; mais on s'aime comme dévot, comme fpirituel, comme avancé dans les voyes de Dieu. Co perfonnage nous plaît. On aime à fe regarder en cet état. Et pour nous donner lieu à nous mêmes de nous y concevoir avec quelque fondement, on aime la facilité de s'entretenir avec Dieu dans l'oraifon. On aime ces mouvemens humains qu'on y éprouve & l'on fe livre par là à toutes les illufions qui flattent notre amour propre.

CHAPITRE IV.

Autre illufion qui naît de ce que l'amour de Dieu étant d'un merite fort inégal felon fes differens degrez, on s'attribue les plus grands lorsqu'on n'est que

dans les moindres.

O

N fe trompe encore d'une autre maniere par cette confufion des idées qu'on a dans l'efprit ; c'eft que l'on prend ailément les plus petits dégrez d'amour pour les plus grands, parce qu'ils conviennent en plufieurs chofes, comme dans le nom, dans l'idée & la définition generale, & fouvent dans les motifs qui les excitent. Car les plus foibles dégrez d'amour naîtront des mêmes idées que les plus forts.

Cette erreur eft donc d'une grande confequence, parce qu'il y a une extrême inégalité de merite entre ces divers degrez d'amour. Il y a même des degrez d'amour qui ne font pas incompatibles avec l'etat du peché & la domination de l'amour du monde. Ainfi depuis le degré où la charité commence à juftifier l'ame, jufqu'aux pre

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