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miers fentimens d'amour, il y a une infinité de divers degrez qui fervent tous à la difpofer à la juftification, comme depuis ce premier degré juftifiant jul qu'à la confommation de la fainteté il y a une autre infinité de degrez plus excellens les uns que les autres. L'Evangile nous apprend qu'il y aura la même diverfité dans le Ciel, & qu'il y aura de même divers degrez de beatitude; & S. Auguftin nous enfeigne que l'inégalité en fera mefurée fur l'inégalité de l'amour.

On fçait en general que cette inégalité de degrez fe rencontre fur la terre parmi les juftes & parmi ceux qui ne le font pas encore. Mais qui eft-ce qui fçait la mefure précife de fon amour puifqu'on ne fçait pas même s'il eft dominant ou non dominant, juftifiant ou non juftifiant.

C'est donc encore là une autre source d'illufion qui n'est pas moins ordinaire. Comme on croit quelquefois aimer effectivement Dieu fans l'aimer, on croit auffi quelquefois l'aimer beaucoup quand on l'aime peu; & de même qu'on fe trompe en prenant de pures pensées pour de vrais mouvemens d'amour de Dieu, on fe trompe auffi fou

vent lorfqu'ayant quelques fentimens veritables d'amour, on s'imagine qu'ils font auffi forts que notre penfée nous les reprefente; & c'eft ce que S. Auguftin nous fait remarquer expreffément avoir été dans faint Pierre, lorfqu'il difoit à Jefus-Chrift qu'il étoit prêt d'expofer fa vie pour lui: Animam. meam pro te ponam. Ĉar ce faint Docteur reconnoît dans les paroles de cer Apôtre un mouvement fincere de charité en même tems qu'il affure qu'il n'avoit pas cette grande charité qui eft néceffaire pour accomplir ce grand précepre de donner la vie pour JesusChrift:Ipfam charitatem Apoftolus Petrus nondum habuit, quando timore ter Dominum negavit, & tamen parva & imperfecta non deerat, quando dicebat Domino: Animam meam pro te ponam. L'illufion de cet Apôtre confiftoit donc en ce qu'il prenoit cette charité imparfaite pour une charité parfaite, cette volonté foible pour une volonté pleine, & qu'en un mot il croyoit pouvoir ce qu'il fentoit qu'il vouloit: putabat fe poffe, quod fe velle fentiebat.

Cette illufion fe rencontre très-four. vent dans les prieres de ceux qui fe propofent de faire pour Dieu des cu

vres excellentes hors de l'occafion de les faire,qu'ils fe reprefentent les tourmens des Martyrs & s'imaginent fur cela qu'ils auroient eu la force de les fouffrir, & enfin qui s'attribuent effectivement les difpofitions dont ils conçoivent l'idée. Car quoi qu'il fe puiffe faire que dans ceux qui ont quelque pieté,ces idées foient accompagnées de quelques mouvemens interieurs, il s'en faut bien neanmoins qu'ils n'aïent droit de croire fur ces fimples defirs, que ces difpofitions foient dans leur ame au degré de perfection qu'ils conçoivent, & ils n'en pouroient être perfuadez fans tomber dans l'illufion & dans la préfomption de S. Pierre. Et peut-être que cette préfomption fecrete eft un des défauts qui détruifent le plus ordinairement le merite de nos oraifons, & qui fait qu'après toutes ces belles idées on se trouve très-foible dans l'occafion.

Il n'y a que la tentation & l'experience qui faflent connoître à l'ame ce qu'elle peur: De quoi eft certain celui qui n'a point été tenté, dit le Sage? Qui Eccli. non eft tentatus quid fcit?

Après l'épreuve même, il ne faut pas nous attribuer la force qui nous a

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foutenus comme étant permanente en nous. Il la faut demander fans ceffe à Dieu en reconnoiffant qu'elle eft à lui & non à nous, bien loin de juger que nous ayons en nous le pouvoir de faire de grandes actions de pieté parce que nous en avons l'idée dans l'efprit, & qu'étant hors de l'occafion nous avons quelque defir de les pratiquer. Il faut fe tenir toujours dans la connoiffance & dans la conviction de fa pauvreté.

C'est ce qui donne lieu de douter de l'utilité d'une pratique de dévotion qui fe trouve dans quelques livres de pieté.

Cette pratique eft de former des fouhaits de chofes très-grandes & trèsdifficiles, & même moralement impolfibles, comme d'aimer Dieu autant que tous les Anges & tous les Saints, de le glorifier par chacune de ses actions autant qu'il le fera dans toute l'éternité par toutes les créatures,& de pouvoir foulager les miferes de tous les pauvres du monde, de fe charger de tous les maux de ceux qui fouffrent dans toute l'etenduë de la terre, d'endurer pour Dieu des tourmens plus grands que ceux des Martyrs, de s'i maginer même que l'on eft dans les

ccafions où l'on feroit obligé de confeffer la foi devant les tyrans, afin de former en même tems des actes de force pour rejetter leurs follicitations & méprifer leurs menaces.

La raifon qui pourroit perfuader quelques perfonnes de l'utilité de cette pratique eft, que par le moyen de ces objets que l'ame fe réprefente, on prétend qu'elle s'éleve au-deffus de fa foibleffe, & produit des actes dans une haute perfection,qui font par cons fequent beaucoup plus meritoires que: ceux qu'elle produit dans les petites occafions de la vie commune, & plus eapables d'augmenter les vertus & de les porter à un haut degré de perfec

tion.

Je ne prétens pas ici combattre generalement cette pratique mais il eft bon premierement d'avertir que ces actes interieurs des vertus peuvent fouvent n'être rien moins que des: actes de vertu, & que ce ne font pour l'ordinaire que de fimples penfées des vertus. Or nous nous devons bien gar der de croire que nous avons les vertus parce que nous y. penfons.

Secondement. Encore que ces penfées fuffent accompagnées de quelques

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