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rapportoit toutes les affaires à Sa Majesté.

De plus il avoit deux de fes fils le fixiéme & le douzième, qui étoient continuellement à la fuite de l'Empereur. Le fixiéme qu'on appelloit Leffihin étoit fans contredit l'homme de la Cour, qui s'expliquoit le mieux dans l'une & l'autre langue Tartare & Chinoife, & qui y brilloit le plus par la beauté de fon efprit.Il étoit entré fi avant dans les bonnes graces de l'Empereur, qu'il fut honoré coup fur coup de cinq ou fix Charges, lefquelles avoient été poffedées auparavant par autant de Grands Seigneurs; il en rempliffoit les différentes fonctions avec tant d'exactitude qu'on étoit furpris qu'il pût fuffire à tant d'occupations; en forte qu'on ne ceffoit d'admirer l'étenduë & la fuperiorité de fon génie.

Le Regulo fon pere crut dèslors que ce fixiéme fils feroit infailliblement choifi par l'Empereur à l'exclufion de fes autres freres, pour fucceder à fa dignité. Il n'avoit garde de foupçonner que lui & fon frere qui étoit Officier des Gardes du Corps, euffent conçu le deffein d'embraffer le Chriftianifme: cependant l'un & l'autre étudioient continuellement les principes de notre fainte Religion: à la vérité celui-ci s'inftruifoit plus fecretement. Toutes les fois qu'il me rencontroit feul ou un peu écarté de la foule, il me propófoit fes difficultez mais dès que quelqu'un se joignoit à nous, il interrompoit auffi-tôt le discours. Il me pria même de ne point l'entretenir des chofes de laReligion en présence d'autres perfonnes. Son aîné au contraire, quoi

que moins avancé dans la voie du falut, parloit par tout avec éloge de la Religion Chrétienne, & même jufqu'à la porte de P'Empereur, où affis avec les Grands, il ne fouffroit point qu'on l'attaquât fans prendre auffi-tôt fa défenfe; il tournoit en ridicule les différentes Sectes de la Chine; il établiffoit l'unité d'un Dieu, la néceffité de la rédemption après le péché origi nel, enfin il annonçoit librement & fans crainte les véritez de la Religion que le Prince Jean lui avoit enfeignées : il pouffa fi loin fon zéle, & tant de perfonnes 's'offenferent de la liberté avec laquelle il parloit, que quelque dif ficulté qu'il y ait d'accufer un favori, il fe trouva un Prince, qui fous prétexte d'amitié pour ce jeune homme son parent, en porta fes plaintes à l'Empereur

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mais Sa Majefté n'y fit qu'une médiocre attention, & fa réponfe fut en termes figénéraux, qu'el lene fignifioit rien : c'est un fait que je n'ai appris que long-tems après qu'il étoit arrivé.

Le Prince Leihin ne ceffa pas pour cela de donner des preuves de fon attachement au Chriftianifme; quand il étoit de retour à la maifon, il rendoit compte à fes freres chrétiens des raisonnemens qu'il avoit employez pour confondre fes adverfaires, & il les prioit de lui fournir de nouvelles armes, afin de mieux combattre les ennemis de la Foy.

Mais la mort lui ayant enlevé affez fubitement fon fils unique. qui étoit âgé de deux ans ; cette perte inattenduë rallentit fon courage; il s'échapa même en des plaintes & des murmures contre la divine Providence ;

m'ayant rencontré un jour dans le fort de fa douleur, il ne put retenir ni fes larmes, ni fes mur» mures. « Où eft donc la justice » de Dieu, me dit-il, qui fait "profperer les méchans, tandis "qu'il nourrit de pleurs & d'a» mertume ceux qui croyent en » lui Faut-il que les ennemis de "son nom infultent à ma difgra» ce?

Je l'interrompis en lui témoi gnant la furprife où j'étois de lui entendre tenir un pareil langage; "ne dites-vous pas tous les jours, » lui ajoutai-je, que l'Empereur » n'est responsable à perfonne de fa » conduire ? Que nul de fes sujets » n'a droit de lui demander compte » de fes actions? qu'on doit fe fou» mettre à ses volontez avec ref» pect & fans murmure? qu'on doit » croire qu'il ne fait rien fans de » bonnes raisons cependant vous

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