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généralement excitées dans leur Auditoire; de fe rappeller les tours d'expreffion, & s'il eft poffible, jufqu'aux expreffions mêmes qu'ils ont employées. J'appellerois cette méthode une Rhétorique expérimentale; & par elle on feroit peut-être autant de progrès dans la véritable éloquence, qu'on en a fait depuis un fiécle dans la Phyfique. La connoiffance, & si j'ofe m'exprimer ainfi, l'Anatomie du cœur humain, de fes penchans, de fes goûts, de fes affections, & le fecret de les réveiller ou de les affoupir, de les animer ou de les calmer, toujours cependant en faveur de la vérité & de la vertu, feroient-ils moins dignes de l'attention de l'homme, que la notion exacte de la ftructure & des fonctions des nerfs, des muscles, & des autres parties du corps? C'eft par de femblables expériences rapprochées des principes, que l'on concevroit clairement pourquoi tel Orateur

ne fait que plaire, & pourquoi tel autre intereffe ; comment l'un a perfuadé réellement, tandis que l'autre n'a excité que l'admiration, & par quel art d'autres font parvenus à maîtrifer les coeurs par des voies différentes, mais non pas contraires. Les regles font, pour ainfi dire, mortes, & de nulle utilité, fi l'on ne les anime par une forte d'exercice & d'application fur les difcours qu'on doit fuppofer faits d'après elles. Toute production d'efprit où l'on n'en retrouve pas des traces, peut ébloüir; mais il eft de toute impoffibilité qu'elle fe foutienne à l'examen, & mérite les fuffrages des connoiffeurs. Une oreille délicate faifit une diffonance dans une compofition de mufique; & un efprit exercé à penfer, remarquera du premier coup d'œil qu'une paffion n'eft qu'effleurée, qu'elle eft même totalement manquée dans un discours qui

De l'unité du difcours.

pas moins défectueux dans l'Éloquence que dans la Peinture, d'affoiblir ou d'ou trer une paffion: on fent bientôt ce qu'elle a de trop ou de trop peu; & le pathétifi admirable quand il eft vrai, de vient ridicule fous le mafque.

que

En général, on ne peut trop infifter fur l'unité qui doit regner dans un difcours, en forte que toutes les parties aient entre elles une jufte proportion, tendent à un feul & même but, forment un tout régulier: unité qui doit dominer non-feulement dans le deffein général de la piéce, mais encore dans les mœurs, les paffions, les fentimens, le ftyle, le tour, l'expreffion, l'harmonie, & qui dans les ouvrages d'efprit eft la fource du vrai beau :

Horat. Art. Denique fit quodvis fimplex dumtaxat & unum.

Poët.

Or cette unité regne dans les écrits des grands Orateurs anciens & modernes

Orat.

mais d'une maniere différente. On trouve à la vérité dans les oraifons de Cicéron un ordre & des divifions,moins marquées toutefois que dans nos Auteurs, où la méthode fe fait fentir à chaque pas. Les Anciens ont un but fixe vers lequel ils s'avancent par cette gradation de raifons & de preuves dont Cicéron a fait un précepte, Semper augeatur & crefcat ora- Cicero, de tio. Les Modernes au contraire divifent & fubdivifent leurs fujets en plufieurs propofitions, s'attachent à prouver chacune féparément, en forte néanmoins que toutes concourent à établir la même vérité. C'est peut-être de part & d'autre le même ordre ; mais il fe montre plus à découvert dans les Modernes ; il eft plus caché dans les Anciens qui règardoient comme une partie de l'art, de foutenir l'attention de leurs Auditeurs, en ne leur dévoilant pas d'abord toute l'œconomie

leurs mieux copier la nature, en paroiffant s'abandonner au fujet qu'ils traitoient, & propofant leurs moyens de fuite, mais avec fubordination.

Au refte, ce qui prouve la difficulté de prononcer fur la prééminence d'une de ces méthodes fur l'autre, c'eft qu'elles font également éloignées de la confusion qu'on a vû regner dans notre éloquence avant l'établiffement de l'Académie Françoife. Les Oraifons funébres compofées par Renaud de Beaune, Archevêque de Bourges, & par le Cardinal du Perron, les hommes de leur fiécle eftimés les plus éloquens; les Plaidoyers des plus célébres Avocats; les Harangues des premiers Magiftrats de ce tems-là hériffées d'érudition, femblent ne tendre précisément à rien : nulle méthode, nulle justesse, rien qui ne foit amené de bien loin & comme par force au fujet, qu'on démêle difficilement au travers de

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