Il craint peut-être, il craint que je ne le trahif R fe; Mais eft-ce le trahir que pleurer en fecret L'Amant que je lui viens d'immoler à regret? C'eft fouffrir trop long-tems, trop long-tems fe contraindre: Libre, goûtons au moins la douceur de me plaindre: Mes foupirs ne font point écoutés, & mon cœur Peut fans crainte du Sort acufer la rigueur. Hé même plût au Ciel, cher Objet que j'adore, Que tu pûfles favoir l'ennui qui me dévore! Quel changement! L'Amour fe venge bien fur moi. L'Amour me fait fouffrir mille fois plus que toi. Nous, acufons le Sort. Et fouvent de nousmêmes Dépend notre bonheur. Cher Clitandre, tu m'aimes, Je t'aime; Et pour trop fuivre un tirannique Honneur J'ai moi-même caufé ta perte & mon malheur. L'Honneur dans ce haut rang où le Ciel nous fait naître, Eft toûjours de nos cœurs le Tiran ou le Maître. Il me fait renoncer à tes forns les plus doux Moi qui n'en puis un jour espérer d'un Epoux. Peuples , que fans raifon nous apellons fauvages, Vous êtes mille fois plus heureux & plus fages. monte. On nous fépare. Adieu bonheur, plaisirs, efpoir. On ceffe de s'aimer en ceffant de fe voir. Si je n'apréhendois ce malheur, hé peut-être Mon cœur de fon fecret ne feroit plus le maître! Le plus léger foupçon trahiroit nos amours: Il faudroit te quitter,fans doute pour toûjours; Que je fouffre moi-même à t'en faire un miftere! Mais il m'en coute trop. Je ne puis plus le taire; Viens-le lire en mes yeux, & pour toi fi c'eft peu, Viens de ma bouche même en recevoir l'aveu. Ne me crois pas un cœur infenfible & farouche: Mes yeux plus d'une fois ont démenti ma bouche. Reviens donc, Cher Amant. Souvent c'est nous trahir, Que d'apréhender trop de nous défobéir. Quoi je pourrois trahir mon rang & ma Et l'amour fur mon coeur auroit tant de puiffance! Eloignons-nous plûtôt de ces funeftes Lieux : D'un aveu fi honteux quelle feroit la fuite? Fuïons.... S'il me venoit peindre encor fes malheurs Fuions.... Je ne pourrois résister à fes pleurs ; Les miens me trahiroient, mon cœur eft trop fenfible; Eloignons-nous. Grands Dieux ! quel penchant invincible Me retient en des lieux que je devrois quitter! Je connois le péril & ne puis l'éviter. Mais plûtôt demeurons. Armons-nous de conftance: Décourageons fes feux par tant de résistance Que las de redoubler des efforts fuperflus, A tenter ma foibleffe il ne s'expofe plus. C'eft de tous les partisle feul que je dois prendre, Le plus für. Tôt ou tard il me faudroit l'enten dre; Peut-être fans pouvoir y préparer mon cœur. Un coeur furpris fe rend bientôt à fon vainqueur. Ainfi quand je me pers moi-même je m'excufe! Ma foibleffe, mon cœur, mon amour, tout Et je me flatte encor de résister au fien, Je cherche en vain.... Qu'entens - je? Ah! Je me trouble. Grands Dieux! Je ne fuis plus à Pourfuit égallement l'Innocence & le Crime, Rougiffés Car enfin que peut votre courroux Contre un Cœur qui s'eft mis au-deffus de vos coups? D'un tirannique amour je n'ai pû me deffendre, Et ce n'eft qu'à vous feuls, Dieux ! que je dois m'en prendre: Vous féduifés nos cœurs, & vous les puniffés Des maux où quelquefois vous les avés forcés Que ne me laiffiés-vous toûjours dans l'in nocence Goûter tout le bonheur de mon indifférence! |