joint à l'Art de verfifier. Nous enten dons par Fable, l'invention, la conduite & l'execution d'un Ouvrage, & Ariftote n'a pas voulu dire autre chofe.

Si vous choififfez un fujet moins trifte, & qu'il ne s'agiffe que de vous plaindre des rigueurs d'une Belle, évitez deux écueils; le ridicule & le forcé. N'allez pas comme un Poëte Grec lui dire : Que vous allez vous coucher devant fa porte puifqu'elle ne veut pas vous l'ouvrir, & que les loups vous y mangeront. En vain diton pour l'excufer que felon Platon l'Amour est un indigent qui demande toûjours l'aumône; c'est justifier l'idée baffe d'un Poëte par une autre qui tout au moins eft puérile dans un Philofophe. Il ne feroit guéres moins abfurde de lui jurer que vous allez vous pendre, comme dit le même Poëte. Les notres plus polis croyent fauver ce ridicule, en difant qu'ils fe plongeront dans le fein un poignard, & plus fouvent qu'ils fe laifferont mourir de faim,

*Théocrite:

B

Car de fe poignarder la chofe eft trop tôt faite,

Dit fort bien la Fontaine. Le récit extravagant de toutes ces morts métaphoriques ne fait qu'exciter la rifée du Lecteur.

Relevez le pouvoir des charmes de cette Belle; vantez vos affiduités l'ardeur de votre amour; plaignezvous de vos ennuis de vos tourmens, de fon injustice; combattez sa réfiftance; faites-lui appréhender les fuites d'un amour que l'indifférence peut réduire au defefpoir, & que le defefpoir rend capable de tout.

Vous pouvez encore au lieu de vos paffions peindre celles des autres ; & en ce cas peut-être feroit-il mieux de fuivre l'exemple d'Ovide, & de faire parler des perfonnages connus: des Cléopatres, des Antoines, &c. Car dès qu'il y aura de l'amour, vous pouvez faire entrer dans l'Elégie les plus grands traits de l'Hiftoire, bien plus aifément que dans la Tragédie où l'on eft obligé d'imaginer des circonftances qui multiplient les Scénes & pro

longent l'action. J'aurois moi-même pris ce parti, fi d'abord j'euffe fait affez de cas de mes Ouvrages pour les deftiner au Public.

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Le fujet des Elégies peut être plus varié qu'on ne penfe; car bien què toutes les Eglogues ne foient pas des Elégies, il y a bien des Elégies qui peuvent être en même tems des Eglogues: Il fuffit pour cela d'y faire parler des Bergers amoureux d'un ton. plaintif. La difference qu'il y a de l'Eglogue à l'Elégie, c'eft que l'Eglon'admet que des Bergers, & qu'el le peut peindre également leur bonheur & leur malheur; dès qu'elle fe plaint elle devient Elégiaque. Ce genre feroit peut-être le plus convenable, mais peut-être auffi eft-il le plus difficile Nous avons perdu l'idée de cette vie paftorale fi familiere autrefois. Cependant comme la raison fut la même de tout tems, & qu'elle nous fait comprendre le bonheur d'un état fi paisible, ceux mêmes qui ne voudroient pas mener une pareille vie en aprouveront la defcription. Ce n'est

que l'ambition & nos autres paffions qui nous rendent cette tranquillité fade & infipides nous voulons être picqués par le changement & la varieté. Toutefois les defcriptions les plus pompeufes des plaisirs & des magnificences de la Cour nous flattent moins que ces idées fimples d'une vie douce & champêtre : C'eft qu'elle devoit être celle de tous les hommes. Mais pour écrire des amours de Bergers il faut une imagination auffi riante que féconde nous n'en avons pas les inclinations, comment les peindre? Où trouver des génies capables de fe transporter au Siecle d'Or, pour faire parler des Bergers que nous ne connoiffons plus que fur les portraits que nous en ont laiffé nos plus grands Maîtres? Il n'y avoit qu'un Fontenelle qui pût les faire revivre.

On peut encore y faire parler des Femmes,&je ne fçais fi on ne le devroit pas; j'en dirai les raifons ailleurs à l'occafion de mes Elégies, afin d'obferver quelqu'ordre en ce difcours. Voyons à préfent fi ceux qui ont

fait des Elégies ont fuivi ces principes. Il m'a toûjours femblé que les Anciens ont eû tort de mettre Catulle au rang des Auteurs Elégiaques. Ce Poëte qui au jugement de fes contemporains & des connoiffeurs qui ont fuivi, a toûjours paffé pour un des plus fçavans & des plus élégans de P'Antiquité, eft plus Epigrammatique. qu'Elégiaque.

Le ftile de Tibulle eft auffi très-élégant; mais ce n'eft pas à quoi l'on doit s'arrêter, c'eft au fond: il y a de la tendreffe & même de la délicateffe dans fes Ouvrages; ils font d'un homme voluptueux & qui connoiffoit trop bien le plaifir pour ne pas le peindre avec fuccès. Dèspréaux dans le jugement qu'il en porte a moins cherché à caractériser ce Poëte qu'à faire un beau vers : s'il eft vrai que Tibulle pouffe des foupirs, ce font le plus fou vent de ceux qui nous échapent au fein du plaifir même.

La plupart des Critiques donnent la préférence à Properce; il eft vrai que s'il y a de la délicateffe dans le pre