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mier, il y a du feu dans le second, & le feu eft l'ame de la Poëfie & la marque caractéristique du Poëte. Outre qu'il eft plus Elégiaque que Tibulle.

Mais il me paroît qu'Ovide doit occuper le premier rangi j'avoue que ce n'eft que pour le fond, par le ftile il eft inferieur à tous les deux. Les véritables Elégies d'Ovide font celles qui n'en portent pas le nom & qu'il a intitulées Héroïdes. C'eft-là qu'il a peint l'amour tel qu'il doit être pour faire la matiere de la belle Elégie : l'infortunée Didon, la fidelle Pénéloppe, la furieufe Médée s'y plaignent de leurs malheurs s'y plaignent de leur amour. Le plus grand défaut que l'on puiffe lui reprocher, c'eft d'y avoir mis trop d'efprit, défaut qui regne dans tous fes Ouvrages, & plus encore dans ceux-ci, quoi qu'il fût plus contraire à leur nature. Chaque Diftique eft terminé par une pensée faillante qui reffemble un peu trop à l'Epigramme la néceffité de finir le fens de deux Vers en deux Vers pourroit bien y avoir contribué. Quoiqu'il

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en foit il eft peu d'Auteurs à qui l'on puiffe faire un pareil reproche.

J'avouerai avec la défiance que j'ai de mes propres lumiéres, que je penfe la même chofe des quatre Lettres * en Vers de M. de Fontenelle. Il s'eft impofé le joug des Stances, & chacune femble exiger à la fin ce qu'on appelle une pensée. Comme Elégies, je les trouverois défectueufes pour s'éloigner trop de la nature par tout l'efprit qu'il y a mis; je les admire comme des Ouvrages où il n'a cherché qu'à faire briller fon talent pour la Poëfie. Mais de même que les Stances ne conviennent pas à la véritable Elégie, il me femble auffi que les Anciens ont eû tort de choisir les Vers Elégiaques, comme les plus propres à peindre les paffions amoureuses; ils font trop affectés, & trop badins, je ne les trouve bons que pour les Elégies de l'Art d'Aimer, dictées plûtôt par l'efprit que par le cœur ; mais pour les autres je crois que le Vers Héroïque ou l'Iambe étoient les feuls qui leur puffent convenir..

* Flora à Pompée, Cléopatre à Augufte, &C.

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Quant aux autres Ouvrages d'O vide, excepté fes Metamorphofes & fes Faftes, ils portent tous le titre d'Elégies, mais le fond n'y répond pas: Ce n'eft pas qu'ils ne foient tous ou plaintifs ou amoureux; mais dans fes Triftes il n'eft pas queftion d'amour, & dans fes Ouvrages amoureux l'amour triomphe au lieu de fe plaindre. Ils n'ont pas laiffé de paffer pour des Elégies parmi les Anciens ils faifoient fouvent plus d'attention à la forme qu'au fond; & pour qu'une Piéce fût autrefois une Elégie, il fuffifoit qu'elle fût écrite en Vers Héxa¬ metres & Pentametres. Ce genre de Vers y étoit tellement néceffaire qu'ils n'auroient pas permis d'appeller Elégie la plainte de Bion fur la mort d'Adonis, ou celle de Mofchus fur la mort de Bion, parce qu'elles ne font pas écrites en Vers Elégiaques.

Parmi nous il n'y a aucun genre particulier de Vers affecté à l'Elégie : le Vers Alexandrin eft celui dont on fe fert le plus communément. Elle ne doit être diftinguée des autres efpeces

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de Poëfie que par le fond, par l'a mour & par l'amour malheureux. Il eft vrai que dans la plupart de celles que nous avons, ce fond est très-mal rempli. On n'y parle que d'ombrages frais & de gazons verdoians. L'Aurore brillante & vermeille, ou pâle & mourante, ouvre toûjours fa Scéne, & Morphée la termine. Les Oiseaux en font fouvent les Acteurs. Les Ruiffeaux qui partagent la peine par leur murmure plaintif,les Arbres qui témoignent leur fenfibilité par l'agitation de leurs vertes feuilles. Voilà les Episodes ou pour me fervir des termes d'un de nos Poëtes François. * C'est une Amarillis dont l'éclat fans pa

reil

Eft toujours préférable à l'éclat du Soleil, Que Son Mirtil attend fur l'herbette & la mouffe ;

Doux moment! moment doux ! Que ta douceur eft douce!

On la divinife, on fe plaint de fa cruauté, on la traite de Tigreffe, & néanmoins on veut mourir pour elle. Voilà le dénoüment. Tel eft le cannevas de *M. Piron dans les Fils ingrats

la plupart de nos Elégies: je n'ai pas befoin de dire comment il eft brodé, le mépris qu'on en fait en rend un assez bon témoignage.

*

En effet on ne peut s'empêcher de rire lorfqu'on entend un Amant dire à un Ruiffeau que s'il va dans la Mer qui va par tout le monde, il la faffe reffouvenir d'apprendre à l'Univers qu'il n'y a rien de plus beau que celle qu'il ai

me.

Quel eft l'homme de bon fens qui puiffe fupporter de pareilles extravagances, je dis même dans la bouche d'un Chevalier errant, c'eft-à-dire d'un fou! On en trouve néanmoins de plus grandes & ce n'en eft là qu'un échantillon. Je n'aurois pas de peine à le prouver en citant des Auteurs plus modernes, fi je ne m'étois plutôt propofé d'apprendre quelle doit être P'Elégie, que de relever les défauts de celles que nous avons.

J'avoue qu'on ne peut pas faire les mêmes reproches à Mefdames Defhoulieres & de la Sufe. C'eft avec jufti

* Théophile.

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