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tres ont pu fe paffer de parler des Genres où ils fe font effaïés, il n'en eft pas de même à mon égard : la vérita ble nature de l'Elégie n'eft pas affez connue, il faut la déveloper. On est plus touché des beautez d'un Art quand on en connoît les principes.

Le Public eft un Juge équitable & éclairé, mais qui cependant fe laisse quelquefois prévenir, & alors il n'eft plus en état de faire ufage ni de fes Tumiéres, ni de fon équité. Ainfi le Divin Milton a été pendant près d'un Siécle méprifé d'une partie de fa Nation & ignoré de l'autre : quel que fut le mérite du Paradis Perdu,il a fallu que M. Addiffon ouvrît les yeux au Public pour en faire connoître le prix: j'aurai peut-être le même fort fans avoir le même merite.

Le feul titre d'un Livre fuffit quelquefois pour indifpofer tout Lecteur: je le crains fi fort, que fi j'étois capable de me diftinguer par la fingularité puérile d'un Titre, j'aurois ufé de cette fupercherie pour épargner à mes Lecteurs celui d'Elégies qui peut

les rebuter. Je conviens qu'il y a du rifque à faire imprimer aujourd'hui des Vers, & de la témérité à donner des Elégies. Jamais la Poëfie n'a été fi mal reçûë. Les Vers ne trouvent plus d'accès favorable qu'au Théatre; partout ailleurs on les néglige.

Ce qui a caufé le dégoût de quelques gens pour l'Elégie en particulier, c'eft que malgré le grand nombre qu'on en a fait, on en trouve peu que l'on puiffe lire fans ennui. Cependant puifque la même raison qui a lieu à l'égard des Poëmes Epiques François, n'a pas empêché quelques Auteurs de nos jours d'en produire de nouveaux, j'ai crû ne devoir pas fuprimer l'ouvrage que je donne aujourd'hui au Public.

Car enfin, ce n'eft pas par fa nature même que ce Poëme péche; la plainte fi naturelle à l'homme eft un grand fond pour la Poëfie; & qu'est-ce qu'une Elégie? c'eft un Poëme trifte & plaintif. C'est par cette raison qu'Ovide a intitulé Elégies toutes les Epitres qu'il a écrites pendant fon

éxil. Les Poëtes François ont restraint les Elégies aux plaintes amoureuses; prefque toutes les nôtres font de ce genre: nous en avons néanmoins quelques-unes fur la mort d'un Ami, d'un Prince, d'un Héros. Telle eft celle de M. de la Monnoïe fur la mort de M. De Turenne, fans parler de plufieurs autres qui n'ont d'Elégiaque que le nom.

Il y a des gens qui au fujet de l'Elégie donnent dans une erreur à mon avis bien finguliére; ils s'imaginent qu'une Epitre amoureufe, quoique trifte, n'eft pas une Elégie, fur tout fi elle eft héroïque : Comme fi l'Elégiaque n'étoit pas auffi fufceptible de l'héroïque que du familier. D'ailleurs les Lettres ne peuvent-elles pas être en même tems des plaintes? Les Epitres de Didon à Enée, de Medée à Jafon ne font-elles pas de véritables Elégies? J'en dis autant de celles d'Abélard & d'Héloïfe depuis qu'on les a mises en Vers. Faut-il fuivre les Anciens jufques dans leurs erreurs? Et n'ofera-t-on apeller Elégies les vé

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ritables & les plus naturelles, parce qu'Ovide ne l'a pas fait avant nous? Je dis les véritables & les plus naturelles, car ce n'eft que contre tou te vrai-semblance que nous admettons les autres. Il eft naturel que nous nous plaigniïons de nos malheurs à un Ami, à une Maîtreffe de fes infidélités; mais l'eft-il que nous nous en plaignïïons feuls retirés dans un Cabinet, ou couchés fur le gazon? Il ne nous peut alors échapper que, des difcours vagues & des plaintesconfuses: N'est-il pas plus ordinaire que nous confiïons au papier le récit de nos peines, & par conféquent n'eft-il pas plus fenfé de faire faire la même chofe aux Héros de nos Elégies? Ne ririons-nous pas fi nous entendions une perfonne fe plaindre aux rochers & leur confier fes réfolutions? Cependant on nous à paffé cette licence: A la bonne heure, fervons-nous-en; mais n'allons pas jufqu'à nous interdire ce qui eft plus raisonnable & plus fenfé.

S'il m'eft permis de penfer autre

ment que nos Maîtres, & pourquoi ne le feroit-il pas ? Leurs préceptes ne peuvent rien contre le bon fens; je ne fuis pas non plus du fentiment de Defpreaux qui dit, en parlant de PElégie.

* Elle peint d'un Amant la joie ou la trifteffe.

Nous n'en reconnoiffons point d'autre que celle qu'il appelle lui-même la plaintive Elégie ; & il eft étonnanɛ qu'il n'ait pas pris garde à cette contradiction, le Nom feul fuffifoit pour F'en avertir, puifque le mot Grec dont il eft formé ne fignifie autre chofe que deuil & lamentation. Mais parce qu'Horace a dit que les Vers Elégiaques ont d'abord fervi à éxprimer la plainte & enfuite de la joïe, Defpreaux pour ne pas s'écarter des Anciens donne le même privilege à nos Elégies. Cependant je ne crois pas qu'on doive s'en fervir. Enfin le fentiment univerfel eft que l'Elégie doit être une plainte, & le mien qui ne laiffe pas d'avoir fes partifans, qu'elle n'eft au

Art Poët.

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