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ce que l'on compte la premiere parmi nos Poëtes Elégiaques : Quoiqu'il n'y ait qu'une ou deux de fes Piéces qui portent le titre d'Elégie, il y a beaucoup d'Elégiaque dans ce que nous avons d'elle, & beaucoup de délicateffe dans ce qu'elle a d'Elégia

que.

Pour Madame de la Sufe, c'eft celle qui en a le plus fait ; & bien des gens ont été jufqu'à dire que les fiennes n'ont d'autre défaut que celui d'être en Vers qu'elle faifoit très-mal, & que fouvent on ne faifoit pas mieux fous fon ncm. J'ai été auffi touché qu'un autre des beautés que j'y ai trouvées; j'avoue avec plaifir que j'y en ai trouvé plus que dans tous les autres. Je regarde fes Elégies comme les meilleures que nous aïons. Mais il ne me paroît pas qu'elles aprochent fi fort de la perfection. Si elles étoient. en Profe elles pourroient faire des Lettres amusantes, quelquefois même touchantes & voilà tout. Elles font

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plupart du ton de ce Vers-ci qui commence la premiere:

Trifteffe, ennui, chagrin, langueurs mélancolie.

Ses Descriptions font trop fréquentes, trop longues, quelquefois inutiles & fouvent les mêmes. Je ne doute pas cependant que fes Piéces n'euffent été excellentes fi elle nous eût peint l'amour tel qu'elle le connoiffoit elle-même c'étoit un grand avantage pour réüffir, que d'avoir un cœur auffi tendre que le fien l'étoit : Et Ion cefferoit de tant déclamer contre l'Elégie fi on en avoit qui fuffent auffi parfaites que les Eglogues de M. de Fontenelle & les Idilles de Me. Deshoulieres le font dans leur espè

ce.

Il n'y a pas long-temps que l'Ode s'eft perfectionnée parmi nous; celles de Malherbe font les feules qui ayent mérité de nous être transmises: & ce n'eft que depuis peu qu'on en a fait qui ont égalé les fiennes au fentiment de bien des gens, & qui les ont furpaffé au mien. On a vû un temps où tout le monde faifoit des Sonnets; dans la Province, comme à Paris on

en voïoit tous les jours paroître des Livres entiers ; il fembloit qu'on eut une espece de fureur pour ce Poëme. Cependant on compteroit bien aifément ceux qui ont eû quelque approbation. Les Maîtres de l'Art, les gens de goût ne laiffoient pas d'y trou ver matiere à leur critique, & du temps de Defpreaux le Phénix des Sonnets étoit encore à trouver. Les Italiens fe vantent de le pofféder, ils prétendent même que l'efpece en est commune parmi eux : Devenus plus raisonnables, nous ne leur difputons plus ce frivole honneur. Convaincus que la raifon perd trop à être refferrée dans des bornes fi étroites; nous lifons avec plaisir le peu que nous en avons de bons, & nous ne nous étonnons plus s'ils ne font point parfaits.

Il en eft de même des Elégies; elles étoient autrefois fort à la mode, & tant de gens n'en font dégoûtés que parce qu'elles font devenues plus communes fans devenir meilleures. Aujourd'hui même encore combien n'en voit-on pas paroître ? N'eft-ce pas par

que

là débutent tous les Novices du Parnaffe? On a du moins une obligation à l'Elégie, c'eft que c'eft elle qui forme les Poëtes. L'amour heureux ou malheureux fait d'ordinaire leur premiere occupation : c'eft en le traitant qu'ils effaïent leur talent: S'ils ont de l'amour ils fe font une gloire de le peindre, s'ils n'en ont pas, ils en font parade. De-là viennent les Iris en l'air, dont parle l'Auteur de la Satire.

La meilleure partie des Poëtes, pour ne pas dire prefque tous, ont fait des Vers Amoureux. L'amour feul donna lieu au grand Corneille de faire l'épreuve de ce rare talent qu'il avoit pour la Poëfie

* Charmé de deux beaux yeux, mon Vers charma la Cour,

Et ce que j'ai de Nom, je le dois à l'a

mour,

Dit-il, en parlant de lui-même. Pétrarque reconnoît la même chofe,& convient que fans l'amour il n'auroit jamais été

*Corneille.

Qu'un Roco

'Mormorator di corti un' huom' del vulgo.

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Enfin, Montagne remarque qu'au fein même des Cannibales l'amour a produit des Tibulles. Ainfi j'ofe l'affurer, nos plus grands Maîtres fe font tous effayés fur l'Elégie. Cependant elle eft encore auffi éloignée de la perfection que fi on ne faifoit que de s'y appliquer d'où cela peut-il venir? De ce que les véritables Poëtes n'en font que lorsqu'ils ne font encore qu'Ecoliers & croyent enfuite qu'il feroit au-deffus d'eux d'y travailler; & de ce que ceux qui ne le font pas fe flattent trop aifément d'y réüffir. Les premiers la regardent comme le Rudiment de la Poëfie, les autres comme l'Alphabet : Mais les uns & les autres fe trompent & l'aviliffent. Les véritables Poëtes en craignant de fe dégrader à faire des Elégies, c'estlà ce qui acquit tant de réputation aux Tibulles, aux Properces, &c. Les autres en préfumant trop de leur talent.

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