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Ne forçons point notre talent ; Nous ne ferions rien avec graces Dit la Fontaine dans une de fes Fables.

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On a dû s'apercevoir qu'il n'eft pas fi aifé de réüffir dans l'Elégie. Comme on n'y parle que d'amour, & qué l'amour et une paffion que tout le monde connoît on s'imagine que rien n'eft fi facile que de la bien exprimer. Erreur auffi groffiere qu'elle eft commune. Il ne fuffit pas d'aimer pour être Poëte: à ce prix qui ne le feroit pas ? Il ne faut qu'avoir de l'amour pour toucher celle qui vous l'inspire; fi votre cœur s'accorde avec votre bouche, vous la perfuaderés ai fément. De tous les Dieux l'Amour eft le plus éloquent, il communiqué le don de perfuafion aux plus ftupides. Et d'ailleurs les Vers d'une perfonne que l'on aime peuvent-ils être mauvais ? Cent fois on m'a voulu forcer d'en admirer d'auffi ridicules que ceux qui échauffent la bile du Mifantrope de Moliere. Mais pour en faire

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faire qui méritent d'être expofés aux yeux du Public, il faut des talens que tous les Amoureux n'ont pas. Le premier eft le génie Poëtique, que je ne fais pas confifter dans l'art de fçavoir rimer: c'est le plus commun de tous, & les Côtins le fçavoient auffi-bien que les Defpreaux; mais dans l'art de s'exprimer avec autant de force que de nobleffe, d'inventer, de créer même & d'être original jufques dans les imitations. C'eft dans l'imagination enfin que je le fais consister : C'est le fentiment des Anglois & ce devroit être celui de tout le monde. Le fondement de la Poëfie eft l'invention le jugement ne fert de rien fans cela, parce qu'il n'eft fait que pour arranger ce que l'imagination lui fournit. Après le génie, j'exige encore d'un homme qui veut plaire, de l'art & du goût. Qu'on ait l'efprit juste; l'imagination vive, on trouvera des pensées, on les mettra dans tout leur jour, on donnera de la cadence à fes expreffions; mais le naturel de l'Elé gie, le grand art de cacher l'art

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qu'on y employe, celui de n'être Poëte qu'en ne le paroiffant pas; le file ou fimple ou relevé felon la paffion que l'on dépeint; le tour aifé & facile qu'on doit donner à fes expreffions, cette perfuafion que doivent opérer les fentimens, toutes ces conditions fupofent bien des talens qui ne font pas communs, fans lefquels cependant il eft prefque impoffible de réüffir dans l'Elégie.

L'Elégie doit être naturelle, tout le monde peut parler naturellement; je puis donc faire une Elégie. Voilà comme on raifonne, & voilà comme on fe trompe. Ce qui rend la Comédie fi difficile, c'eft la neceffité d'imiter la nature & de faire parler fes perfonnages comme les hommes parlent d'ordinaire. Ceux qui parlent le plus naturellement, ceffent fouvent de le faire dès qu'ils fe mêlent d'écrire. Rien n'eft plus difficile aux Auteurs qui écrivent en Profe, & à plus forte raifon aux Poëtes: On en trouvé peu qui l'ayent fait, & on ne prend pas garde que pour toutes fortes d'Au

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teurs, l'imitation de la nature eft l'effet de la perfection de l'art. Nous en avons un grand exemple dans Defpreaux: il fe mocquoit des Opera de Quinault & il fe fit fifler pour avoir voulu faire une douzaine de Vers dans ce genre. Combien ne lui en apas coûté pour faire des Vers aifés ? j'ofe affurer que ceux qui paroiffent le plus naturels font ceux qu'il a le plus travaillés. Ce Paradoxe n'étonnera pas quiconque fçait ce que c'est que le métier de la Poëfie. Je connois un Auteur qui a mis quinze jours à faire deux Vers, que tout homme fans être Poëte, auroit cru pouvoir faire fur le champ. L'habileté du Poëte confifte à cacher à fon Lecteur la peine que fes Vers lui coûtent" à lui faire croire que la nature les lui dicte, & à leur donner un tour fi aifé, que celui qui les lit fe flatte qu'il en auroit pu faire de femblables. Il me femble quand je lis les Vers de Racine que j'aurois pû les faire, & voilà ce qui rend Racine inimitable. Après tout ce que je viens de dire,

on s'étonnera fans doute de ce que j'ai la témérité de faire imprimer ces Elégies. On me traitera d'infenfé de courir une carriére fi funeste à tant d'autres: fi je craignois leur fort, il ne falloit pas m'y expofer; fi je ne l'ai pas appréhendé, je fuis un préfomptueux. Deux mots fuffiront pour me tirer d'une alternative fi embarassante. J'ai cru qu'en évitant les écüeils où tant d'autres ont échoué, je pourrois, quoiqu'avec un génie bien inférieur, mieux réüffir dans l'Elégie; & fi je l'ai fait, c'est à eux-mêmes que j'en fuis redevable leurs fautés m'ont tenu lieu d'inftruction, & quand même je remporterois la Couronne, je leur aurois toûjours l'obligation de m'avoir aidé à la mériter.

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Du moins je me fuis flatté qu'on me tiendroit quelque conte de ce qu'en peignant les paffions amoureufes, je ne l'ai pas fait d'une maniere qui fut capable de féduire. Au lieu de ces tableaux attrayans des foibleffes de l'amour, j'en expofe de vrais, peut-être d'auffi touchans, mais qui

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