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celui qu'il a fur elles. Tous les avantages font de notre côté. En amour il eft bien plus aifé d'attaquer que de fe défendre, & le Sexe le plus foible y joue le rôle qui demande le plus de force. Nous devons l'admirer lorfqu'il a celle de réfifter, nous ne pouvons que le plaindre lorfqu'il fuccombe. On doit regarder de même mes Elé. gies cè font autant d'armes contre l'amour, ou du moins contre fes excès. Ovide avertit les perfonnes chaftes & févéres de ne point lire ses Vers: je puis leur confeiller tout le contraire à l'égard des miennes; Elles n'y trouveront rien de dangereux, & fûrement elles y apprendront mieux à fè défier de leur foibleffe & à dompter leur penchant que dans fon Livre Du Remede de l'Amour. C'eft pour elles que j'ai travaillé, & j'ai cherché à plaire aux Hommes en devenant utile aux Femmes.

Car je prévois qu'il y en aura qui condamneront mon Ouvrage, qui regarderont comme une infulte les fentimens que je leur attribüė, la lis

berté que je prend de démafquer leur cœur, de leur ôter ce voile d'infenfibilité dont elles affectent de fe couvrir, d'humilier en quelque fortë cet orgueil qui les fait fouvent fouffrir plus qu'elles ne le difent; enfin de mettre au jour toutes leurs foibleffes. Mais je m'en confolerai par le grand nombre de celles qui plus fenfées me rendront justice, & qui reconnoiffant dans les peintures que je fais du cœur, celle du leur propre, me sçauront quelque gré du but que je me fuis propofé. Comment ne les toucherois-je pas? Je peins les malheurs d'une Amante, ce font ceux qu'elles éprouvent ou qu'elles craignent. Pourrontelles fe reconnoître dans ces portraits fans être attendries? pourront elles reconnoître les autres fans pitié. Une Dame d'efprit à qui je récitai un jour la neuviéme de mes Elégies m'avoia que dans les mêmes circonftances elle avoit eu les mêmes fentimens, & qu'elle ne fe feroit pas autrement exprimée fi elle avoit pû les mettre au jour; Mais c'eft ce qu'on ne doit pas

y

Elles ceffe

attendre des Femmes.

roient de l'être, fi elles ceffoient d'être déguifées.

J'ajoûte que je ferois fâché d'attribuer à toutes les Femmes ce que j'ai dit d'elles en général. Il n'y a perfonne qui n'en connoiffe à qui l'on ne peut imputer aucun de ces excès. Combien même n'en voit-on pas tous les jours qui de même que cellé que je peins dans ma onzième Elégie, n'ont de la tendreffe que pour leur Mari, & qui Filles ont toûjours eu plus de vertu que d'amour? Tout ce qui fe dit des Hommes & des Femmes en général eft fujet à de grandes exceptions. Ainsi je conseille à chacune de celles qui me liront & pour leur profit & pour le mien de fe mettre du nombre des exceptées.

Quant aux Hommes, j'ai crû qu'en faifant parler des Femmes, je trouverois une matiere plus fertile pour moi & pour eux plus intereffante. Il est naturel qu'ils fe laiffent attendrir si j'ai assez bien fait parler mes perfonnages pour qu'ils m'aïent perdu de vûë, je puis

efpérer

efpérer d'en être applaudi fi j'ai fçû les attendrir,

Je dois prévenir une Objection que les gens difficiles ne manqueront pas de me faire. Peindre l'amour, & le peindre toûjours malheureux, felon Horace, c'eft faire comme un Joueur d'inftrumens, qui toucheroit toûjours une même corde. Mais il faut prendre garde que ce n'eft pas attaquer mes Elégies, c'eft attaquer le genre même que j'ai affez juftifié.Peut-être m'accuféra-ton encore, mais avec plus de fondement d'avoir péché moi-même contre les Regles que je prefçris: Et qui font ceux qui he l'ont pas fait ? On travaille d'abord & les Reflexions viennent après. Outre qu'on ne fent pas dans fes Ouvrages tous les défauts & même ceux qu'on reproche aux autres. Je répare¬ rai mes fautes autant qu'il eft en moi en foufcrivant de bonne foi à toutes 'celles dont on me fera appercevoir : Et je ne demande pas mieux que d'avoir lieu de les corriger.

Après cela je laiffe le champ libre à

M. de Fontenelle, Difcours fur l'Eglogue.

E

66 DISCOURS SUR L'ELEGIE la Critique, fi cependant on m'eftime affez pour prendre la peine de me contredire; Ce fera du moins une preuve qu'on m'aura lû ; Et que fi on n'a pas trouvé mes raifons affez bonnes pour s'y rendre, du moins ne les aura-t-on pas crû affez mauvaises pour les méprifer. Tout homme qui marche par une nouvelle route, rifque de s'égarer: il eft trop heureux quand il en eft quitte pour être contredit.

D

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