Imágenes de páginas
PDF
EPUB

tre chofe que la plainte d'un amour

mécontent.

Or on fe tromperoit bien de croire qu'une plainte amoureufe eft quelque chofe de froid & d'infipide; témoin celle de Didon dans le IV. Livre de l'Enéïde, qui eft peut-être le plus bel endroit de Virgile, & le Monologue d'Amarillis dans le Paftor Fido, qui feul eft plus eftimé que tout le refte de ce Poëme. Ce goût au refte a toûjours été le même: dès le tems d'Ovide les Amours de Didon étoient ce qu'on lifoit le plus dans Virgile, & il n'y a pas d'endroit qui faffe plus de plaifir dans les Metamorphofes que l'hiftoire de Pirame & Thisbé. Celle de Mirrha ne toucheroit guéres moins fans l'horreur qui l'accompagne.

On n'aime point les plaintes, dit-on; & nos Tragedies ne font autre chofe d'un bout à l'autre. Qu'on fépare de celles de Racine quelques. Monologues qui ne roulent que fur l'amour, çe feront autant d'Elégies; cependant quel interêt n'y prend-t-on pas? Juf

qu'à quel point ne s'en laiffe-t-on pas toucher? Bérénice n'eft autre chofe qu'une longue & magnifique Elégie que ce grand Poëte a mife fur le Théatre. Malgré cela quel fuccés n'a-t-elle pas eù? & fi ce n'eft pas une de fes plus belles Piéces, c'eft celle dont lui tiennent le plus de compte ceux qui fçavent pefer les difficultés d'un Ouvrage. On répond à cela qu'on ne s'intereffe fi fort aux Monologues des Tragédies,que parce que les Auteurs vous en font connoître les perfonnages, par ce qui précéde. Vous connoiffés Didon, vous connoiffés Bérénice avant que d'entendre leurs plaintes je conviens que cela rend l'interêt plus grand & l'action plus touchante. Mais je ne fçais fr F'on ne doit pas obferver la même chofe dans l'Elégie ; & ce qui peut être la rend fi difficile, c'eft qu'il faut que celui ou celle que vous y faites parler vous inftruise de tout ce qui peut vous intêreffer à fon malheur, fans qu'il femble le vouloir faire: il faut que fes malheurs paffés foient tellement liés aux préfens, que le récit

:

[ocr errors]

en paroiffe indifpenfable; fans cela ils ne peuvent attirer notre attention, Un homme malheureux dans fon amour, une femme traversée dans fa paffion fçauront toûjours nous attendrir, pourvû qu'ils fçachent fe plaindre. La raison en est naturelle. Tout le monde s'intêreffe au fort des malheureux fouvent même de ceux qui méritent leurs malheurs on ceffe de voir leurs crimes quand on voit leur mifere. Nous n'aimons pas qu'un autre nous vante fon bonheur parce qu'il fe met pour ainfi dire au deffus de nous; nous nous plaifons à lui entendre raconter les infortunes, parce qu'il femble par-là reconnoître notre fupériorité. H nous prend pour Juges entre le fort & lui. Voilà comme.notre amour propre eft la cause de tous nos mouvemens & la fource de tous nos plaifirs. Mais quand on eft malheureux fans l'avoir mérité,on fe fait gloire de le paroître, on trouve du plaifir à le dire. Un honnête homme malheureux eft fûr d'être plaint, d'être aimé, souvent même d'être admiré. Je dirois vo

lontiers que pour un honnête homme. c'eft une espece de bonheur que d'ê tre malheureux.

Voilà ce qui caufe l'interêt que l'on prend à la Tragédie, & ce qui doit caufer celui de l'Elégie. C'eft-là ce qui nous attache, je dis plus, ce qui nous procure une certaine fatisfaction. qu'on reffent bien mieux qu'on ne l'exprime. S'il y a une forte de plaifir à répandre des larmes, il y en a encore. plus à les effuïer; ce qui fait que les hommes fe portent fi naturellement à la plainte, c'eft qu'on fe reffouvient avec joie des maux paffés & qu'on trouve du foulagement aux maux préfens en s'en plaignant aux autres: il femble que ces malheurs diminüent quand un Ami s'y montre, fenfible. Mais le malheur des autres, outre qu'il nous attendrit, nous fait encore ouvrir les yeux fur nous-mêmes, & nous fait appercevoir la difference qu'il y a de leur état au nôtre. Les plaintes nous font toûjours penfer à nos maux ou à notre félicité. Ces réflexions nous font goûter davantage le bon

heur de notre état, fentiment qui nous porte à partager le malheur de celui des autres. La peinture des malheureux fait voir que le bonheur est plus rare que nous ne le penfons. Agréable réflexion pour ceux qui font heureux! Réflexion confolante pour ceux qui ne le font pas! Voilà quels doivent être les effets de l'Elégie; voici les conditions qu'elle doit avoir pour les produire.

Premiérement la nature dans l'Elégie plus que dans tous les autres Poëmes de fi peu d'étendüe fe doit faire. fentir. Il faut fe plaindre, mais fe plaindre comme les malheureux se plaignent. L'affectation en doit être bannie, l'art doit en être caché. Le but de la plainte eft de toucher, elle n'y peut arriver fi elle n'eft pas. naturelle fans cela même ce n'eft pas une véritable plainte.

Pour me tirer des pleurs, il faut que vous pleuriez.

Secondement elle doit être remplie de fentimens. Je dis de fentimens & "Defpreaux Art. Poët.

« AnteriorContinuar »