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C.24.

avec une grande integrité. Nebridius étoit d'au- . 10. prés de Carthage; & il avoit quitté fon païs, fa mere & une belle terre qu'il poffedoit, pour venir à Milan vivre avec Auguftin, & chercher la verité. C'étoit le plus grand defir de ces trois amis. Ils vouloient même vivre en commun; & ils fe trouvoient environ dix capables d'entrer dans ce deffein: quelques-uns étoient trés-riches, principalement Romanien, autre citoyen de Tagafte, & parent d'Alypius, que fes affaires avoient attiré à la cour. Auguftin le regardoit comme fon patron, Il l'avoit aidé dans fa jeuneffe à 11. Contr. foûtenir les frais de fes études, principalement Acad. c. 2. depuis la mort de fon pere; & l'avoit encore fecouru de fes biens & de fes confeils dans toutes fes affaires. Mais ce deffein de vie commune fut rompu; parce que quelques-uns avoient déja des femmes, d'autres comptoient d'en prendre: & ils ne crurent pas qu'elles puffent s'accommoder de cette focieté. Augustin étoit de 12. 13. ceux qui vouloient fe marier: fa mere avoit trouvé une perfonne qui lui pouvoit convenir; mais fi jeune qu'il falloit attendre environ deux ans. Cependant fa concubine l'avoit quitté, & s'en étoit retournée en Afrique, faifant vœu de continence pour le refte de fes jours; & lui laiffant un fils naturel, qu'elle avoit eu de lui, & qu'il nomma Adeodat, c'eft-à-dire Dieu-donné. Il prit une autre concubine, pour le peu de temps qu'il reftoit jufques à fon mariage: tant il étoit efclave de cette habitude. Le premier jour de Janvier 385. il prononça un panegyrique pour le conful Bauto, qui entroit en charge ce jourlà. En ce temps-là à l'âge de trente-un an, il VII. Conf. commença à fe défaire des images corporelles, devita bea aufquelles les Manichéens l'avoient accoûtumé ; %. 4• & prit des idées plus juftes de Dieu, de la nature fpirituelle & de l'origine du mal. Mais il ne

G. 15.

C. 16.

com

1.2.

comprenoit pas encore l'incarnation, ne regardant J. C. que comme un excellent homme : toutefois il goûtoit déja l'écriture fainte, partiVIII. Conf. culierement S. Paul. En cet état, il s'adeffa au prêtre Simplicien: qui depuis fa jeuneffe jufques à un âge avancé, avoit vêcu dans une grande pieté. Il avoit inftruit S. Ambroise, qui l'aimoit comme fon pere. Auguftin lui raconta tout le cours de fes erreurs ; & lui dit qu'il avoît quelques livres des Platoniciens, que le reteur Victorin avoit traduits en latin. Simplicien le felicita, de n'eftre pas tombé fur les écrits des autres philofophes pleins de feduction: au lieu que ceux-ci Sup.. xv. infinuoient par tout Dieu & fon Verbe.

23.5.

13.5.

LII.

Il lui

raconta la converfion de Victorin, à laquelle il avoit eu tant de part. Auguftin en fut fenfibles ment touché, & defiroit ardemment de l'imiter: non-feulement en recevant le baptême, mais en renonçant comme lui à la profession de la retorique.

Un jour qu'il étoit à fon logis avec Alypius, Conver- un Africain nommé Pontitien, qui avoit une fion de S. charge confiderable à la cour, vint les trouver. Auguftin. Quand ils furent affis pour s'entretenir, Ponti

tien apperceut un livre fur la table qui étoit devant eux: il l'ouvrit, & trouva que c'étoit S. Paul. Il fut furpris de trouver là ce feul livre; au lieu de quelque livre de lettres humaines : il regarda. Auguftin avec un foûris mêlé d'admiration & de joye: car il étoit Chrétien, & faifoit fouvent de longues prieres profterné devant Dieu dans l'églife. Auguftin lui ayant dit, qu'il s'appliquoit fort à ces fortes de lectures, la converfation fe tourna fur S. Antoine, dont Pontitien. raconta la vie, comme trés-connue aux fidelles. Auguftin & Alypius n'en avoient jamais oui parler: ils étoient furpris d'apprendre de fi grandes merveilles & fi recentes; & Pontitien n'étoit pas

moins étonné qu'ils les euffent ignorées jufques AN. 386. alors. Il leur parla de la multitude des monafte res qui rempliffoient les deferts, & dont ils n'avoient aucune connoiffance. Ils ne favoient pas même qu'à Milan où ils étoient, il y en avoit un hors les murs de la ville, fous la conduite de S. Ambroife. Enfin Pontitien leur raconta la converfion de deux officiers de l'empereur, qui fe promenant avec lui à Tréves, & ayant trouvé chez des moines la vie de S. Antoine, en furent tellement touchez, qu'ils embrafferent fur le champ la vie monaftique.

Auguftin fut profondément touché de ce dif. 7. cours. Il y avoit douze ans que la lecture de l'Hor tenfius de Ciceron l'avoit excité à Fétude de la fageffe. Il avoit cherché la verité, il l'avoit trouvée; il ne manquoit qu'à fe determiner, & il ne voyoit plus d'excufe. Pontitien s'étant retiré, . 3. Auguftin fe leve, & s'adreffant à Alypius, lui dit avec émotion, le vifage tout changé, & d'un ton de voix extraordinaire: Qu'est-ceci? que faifons-nous? des ignorans viennent ravir le ciel, & nous avons nos fciences, infenfez que nous fommes, nous voilà plongez dans la chair & le fang? Avons-nous honte de les fuivre? & n'eftil pas plus honteux de ne pouvoir même les fuivre? Alypius le regarda fans rien dire, étonné de ce changement, & le fuivit pas à pas dans le jardin, où Pemporta le mouvement qui l'agitoit. Ils s'affirent le plus loin qu'ils purent de la maifon. Augustin fremiffoit d'indignation de ne pouvoir fe refoudre à ce qui fembloit ne dépendre que de fa volonté : il s'arrachoit les cheveux, il fe frappoit le front, il s'embraffoit le genou avec les mains jointes. Alypius ne le quittoit point, & attendoit en filence l'évenement de cette agitation extraordinaire. Auguftin fe fen- . 1. tant preffé de répandre fa douleur par des cris &

par

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AN. 386. par des pleurs, fe leva pour s'éloigner de lui, & le laiffant au lieu où ils étoient affis, alla fe coucher sous un figuier, où ne se retenant plus, il verfoit des torrens de larmes, & crioit : Jufques à quand Seigneur, quand finira vôtre colere? pourquoi demain ? pourquoi non maintenant? Alors il entendit d'une maifon voisine, une voix comme d'un enfant, qui repetoit fouvent en chantant ces deux mots latin : Tolle lege, tolle lege: c'est-à-dire : Prenez, lifez. Il changea de vifage, & penfa trés-attentivement, fi les enfans avoient accoûtumé de chanter ainfi en quelque lieu: mais il ne fe fouvint point d'avoir oui rien de femblable. Il retint fes larmes, & crut que Dieu lui recommandoit d'ouvrir le livre, & le lire le premier article qu'il trouveroit: fe fouvenant que S. Antoine avoit été converti à la lecture de l'évangile. Il revint donc promptement au lieu où Alypius étoit demeuré. Il prit le livre de S. Paul qu'il y avoit laiffé: l'ouvrit & leut tout bas le premier article où il jetta les yeux. Rom.XIII. C'étoit celui-ci: Ni dans les feftins & l'yvrognerie, ni dans les couches & les impudicitez, ni dans les querelles & la jaloufie; mais revêtezvous du Seigneur J. C. & ne cherchez pas à contenter la chair & fes defirs. Il n'en leut pas davantage; & aussi-tôt toutes ses incertitudes se diffiperent.

13.

If ferma le livre aprés avoir marqué l'endroit; & d'un vifage tranquille dit la chofe à Alypius, qui demanda à voir le paffage, & lui en fit reRom.XIV.1. marquer la fuite: Recevez celui qui eft foible

dans la foi; s'appliquant à lui-même ces paroles. Ils rentrerent, & vinrent dire cette heureufe nouvelle à fainte Monique, qui fut tranfportée de joye. Auguftin refolut en même tems de renoncer au mariage, & à toutes les esperances du fiecle, & premierement de quitter fon école

de

de retorique. Mais il le voulut faire fans éclat; AN. 386. & comme il ne reftoit qu'environ trois femaines 1x.Conf.c.z. jufques aux vacances, que l'on donnoit pour les vendanges, il remit à ce temps-là à fe declarer: ayant même un pretexte plaufible devant le monde: parce que fa poitrine s'étoit échauffée le même été, enforte qu'il eût été obligé de quitter fa profeffion, ou du moins de l'interrompre quelque temps.

de S. Au

Quand il fut libre, il fe retira à la campagne, LIII. en un lieu nommé Cafficiac, dans la maison d'un Premiers ami nommé Verecundus, citoyen de Milan & ouvrages profeffeur de Grammaire. Auguftin s'y retira guftin. avec fa mere, fon frere Navigius, fon fils A-VIII. Conf. deodat, Alypius & Nebridius, & deux jeunesc.6. hommes fes difciples, Trygetius & Licentius :1x. 3. 4. dont le dernier étoit fils de Romanien. Pendant cette retraite, il compofa fes premiers ouvrages, qui font écrits trés-poliment; mais ils fe fentent encore, comme il le reconnoît, de la vanité de l'école. Le premier eft contre les Academiciens, Lib. 1. qui pretendoient que tout étoit obfcur & dou-Retract.c.1 teux, & que le fage ne devoit rien affurer com-111. Contr me manifefte & certain. Plufieurs touchez de Acad, c.20 leurs argumens, defefperoient de trouver laverité. S. Auguftin lui-même en avoit été ébranlé, & il fit ce traité, principalement pour s'affermir contre cette erreur. Le fecond ouvrage est le traité de la vie heureufe: compofé d'un entretien, dont il regala la compagnie comme d'un feftin fpirituel, le jour de fa naiffance treziéme de Novembre, & les deux jours fuivans. Le fu- De be, vita jet eft de montrer que la vie heureuse ne fe trou- . 6. ve que dans la connoiffance parfaite de Dieu. Le troifiéme ouvrage eft le traité de l'ordre où il examine la grande queftion, fi l'ordre de la p vidence divine comprend toutes chofes, bonnes & mauvaises: mais voyant que la matiere étoit trop

1. Retr.c. 2.

a pro-Ibid. c. 3.

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