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Liv. I.

foit, une attention fi répétée prouve la néceffité de ces écrits, en même-temps que l'exactitude fcrupleufe qu'on apportoit à ces fortes de cérémonies.

La niche ou la décoration qui renferme la Déeffe, est chargée de tous les ornemens poffibles. Deux colonnes travaillées & féparées du corps d'Architecture font terminées par deux buftes de femme, & foutiennent l'entablement. Enfin on peut affurer que fi tous les membres d'Architecture ne font pas exactement traités felon nos conventions, on voit du moins que dans ces temps anciens, à notre égard, toutes les parties en général, & tout ce que nous regardons en ce genre comme des richeffes s'exécutoit & même avec profufion. La niche dont le plan eft fuppofé quarré, eft élevée fur un piedestal, ou plutôt fur un Autel décoré de moulures & d'ornemens qui s'affortiffent au refte de la décoration. On voit dans le milieu de cet Autel un Lion couché fur une plinthe unie; fa tête d'Epervier, formée par un chaperon, eft furmontée d'un croiffant, au milieu duquel est une étoile. Il fort de l'extrêmité de fes pattes un Canope qu'il femble préfenter; il eft pofé fur la même plinthe, & fa tête eft couronnée par deux cornes de Bouc, qui portent deux feuilles, au milieu defquelles eft placé un difque blanc. Au deffus du corps du Lion, que quelques Auteurs modernes, & entr'autre Pierius ont voulu regarder comme un emblême d'Hercule en fuivant Diodore de Sicile fur la métamorphofe des Dieux lorfqu'ils abandonnerent le Ciel, on voit un Scarabéc volant & portant un bâton dans fes antennes, on y a joint quelques caracteres ; un fymbole d'offrande formé comme un ornement de fleurs eft placé devant le Lion, & derriere ce même animal on a repréfenté une colonne furmontée d'une plume & d'une feuille recourbée.

Entre la niche & ceux qui la gardent, on diftingue deux petites colonnes qui ne portent fur rien, ce qui continue ainfi que les hiéroglyphes à indiquer un bas-re

lief, en cela même toujours mal étendu. Ces colonnes différent de forme & de grandeur, & fervent à porter deux ferpens d'une efpece que l'on voit fouvent repréfentée fur des monumens Egyptiens, & fréquemment fur cette table. Ils méritent trop d'être décrits pour craindre qu'on me reproche la longueur de la digreffion. Voici ce que m'a fourni Profper Alpin (a) à leur sujet, ce qu'il a vu dans fon voyage d'Egypte, & qu'on peut examiner plus en détail dans les pages 61 & 213 de fon ou

vrage.

Il y a, dit-il, un ferpent long de dix pieds, gros comme le bras, & dont la tête eft large & allongée. L'ouverture de fa gueule eft grande & garnie de dents fongues, & femblables à des aiguilles, fes yeux font brillans & fort ouverts. Lorfque cet animal rampe il paroît rond, mais quand on lui présente quelque obftacle il leve la tête dreffe le col, déploye une membrane qu'il a depuis le col jufqu'au ventre; celle-ci devient enflée, tendue & circulaire. J'en ai vu, continue Profper Alpin, qui vouloient pour ainfi-dire par le fecours de cette efpece de voile qui leur. fert à marcher en quelque façon debout, car alors ce Serpent ne fe foutient que fur la quatrieme partie de fon corps; il demeure même long temps dans cette attitude; du refte il gouverne cette membrane à fa volonté, il refpire fort, & fiffle. Cette efpece de Serpent eft blanchâtre fous le ventre, le refte du corps eft noir dans les uns, & couleur de cendre dans les autres. Les Egyptiens le nomment Theban Naffer, & nous, dit Profper Alpin, nous le nommons Ophilinus, c'cft-à-dire, Serpent à voile. Il est très-familier & fans venin, on le dreffe fi parfaitement qu'il paroît avoir l'ufage de la raifon. L'Auteur parle même de quelque tours que les Charlatans du

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(a) Profperi Alpini philofophi, medici, &c. rerum Ægyptiarum libri quatuor, &c. Lugduni Batavorum. Gerard Parulict. 1735. in-8°. I vol.

pays, & fur-tout à Memphis, leur faifoient faire; il ajoute qu'on les trouve ordinairement dans les anciens Tombeaux où ils font leur habitation, & fait des contes affez plats fur cette circonftance. Ces détails & la quantité qu'on en trouve en Egypte donnoient de grandes facilités aux Prêtres Egyptiens pour frapper d'étonnement le peuple, & fur-tout les Etrangers, d'autant que felon Profper Alpin, il y a un moyen des plus fimples pour les apprivoifer, & les rendre doux. Lorfqu'ils s'agitent ou qu'ils deviennent furieux, les Charlatans mettent de la falive fur leur doigt & l'appliquent à l'extrêmité du nez de l'animal qui tombe à l'inftant comme mort, dan's cet état on le touche on en fait ce qu'on veut ; il paroît profondément endormi, & demeure fouvent un jour entier fans reprendre fes efprits. Pour le tirer de cette létargie on preffe & on frotte fa queue jufqu'à ce qu'il revienne ou qu'il fe réveille. Je croyois d'abord (c'est toujours le même Auteur qui parle ) que les Charlatans pour produire cet effet avoient un antidote dans la bouche mais j'ai éprouvé par ma propre expérience qu'ils n'avoient aucun ingrédient.

Ce récit d'un homme que l'on peut croire, fert à rendre raifon de plufieurs inftans de la table Ifiaque ; mais cet Auteur ajoute, il paroît que ce Serpent n'a point été connu des Anciens, puifqu'ils n'en ont fait aucune mention. Profper Alpin veut apparemment parler des Auteurs Grecs qui ont écrit fur les Animaux & fur l'Histoire naturelle. Il étoit affez naturel aux Prêtres Egyptiens de ne point communiquer un pareil fecret aux étrangers, & de s'oppofer à l'examen fcrupuleux qu'ils auroient voulu faire de ces animaux, & par cette raifon de leur intérêt, il feroit affez vraisemblable qu'ils n'en euffent point écrit. Cependant Eufébe ajoute a ce qu'il rapporte de Sanchoniaton, un fragment de Philon de Biblos, tiré de ce même Auteur : il nous fait connoître non-feulement la Divinité que les Phéniciens & les Egyptiens avoient ac

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cordée aux Serpens, mais il ajoute que EПEIE fameux
Egyptien nommé par eux le plus grand des Hierophantes
& le premier des Ecrivains facrés, Auteur dont le livre
avoit été traduit par Arius d'Heracleopolis, que cet
ΕΠΕΙΣ, dis-je, décrit fort au long les qualités de ce Ser-
pent, ou plutôt de cette Divinité.

L'autenticité de Sanchoniaton eft inutile ici, Philon
de Biblos eft fuffifant pour faire voir l'erreur de Profper
Alpin. Il eft vrai que l'on pourroit reprocher à Philon de
donner à l'Auteur qu'il cite un nom qui ne paroît pas.
Egyptien, aussi M. Fourmont dans fes réflexions fur l'ori- Pag. 38.
gine des anciens peuples, le nomme Ephei, Serpentarius,
& il ajoute qu'on a pris le livre pour l'Auteur.

J'ai voulu rapporter cette longue explication, nonfeulement pour rendre compte d'une figure qui pouvoit d'autant plus embarraffer dans les pofitions où ce monument la présente, qu'elle paroît clairement deffinée d'après la nature, & j'ai été bien-aise de prouver, par un exemple auffi marqué, combien les connoiffances phyfiques feroient utiles pour l'intelligence des monumens Egyptiens.

Au refte le Serpent réveré aujourd'hui en plufieurs endroits de l'Afrique, & dont on tire à peu près le même parti, peut être le Theban Naffer, ou du moins un Serpent de la même efpece.

Je reviens à la description du monument; les deux Serpens arrangés & placés fur ces colonnes, préfentent quelques légeres différences de grandeur & de trait, ils pourroient être le mâle & la femelle; le plus grand est placé en face de la Déeffe, l'un & l'autre portent des coëffures qui n'ont aucun rapport entre elles. Le grand a fur la tête un bonnet blanc, orné de petits cercles, fa forme échancrée fur le devant & applatie fur le milieu, s'éleve fur le derriere, tandis que l'on voit un crochet qui part en fens contraire de ce même milieu. Le moins grand de ces deux Serpens a la tête furmon

tée d'un petit vafe blanc, formé en efpece de caraffe, au milieu duquel eft une boule blanche.

Il est aifé de tirer de ces parures étrangeres à l'animal, une induction favorable à mon sentiment sur l'objet fuperftitieux des coëffures Egyptiennes; car ne pouvant douter que ces Serpens n'ayent été divinifés, ou du moins réverés, & les ornemens de leurs têtes fe trouvant portés par des hommes & par des femmes, comme on le verra plus bas, la répétition d'une pareille circonstance, donne, ce me femble, une des plus fortes preuves des rapports qui fe trouvent entre les Divinités & la fuperftition liée parure des Egyptiens.

à la

Les deux figures qui fuivent ces deux gardes doivent être regardées comme des Divinités, puifqu'elles font afsifes; il faut cependant les croire très-inférieures à Isis, car elles paroiffent non-feulement la révérer, mais la garder. Si nous étions inftruits des circonftances de la vie de cette Déeffe, nous ferions au fait de ces deux figures d'hommes, elles nous rappelleroient l'idée de deux perfonnages qui lui ont rendu des fervices, & dont la préfence agréable à la Déeffe engageoit à les rapprocher d'elle comme fes propres gardes ou ceux de fon Temple. Quelque motif que l'on ait eu dans la représentation de ces figures, elles font placées à une distance égale de la niche, elles en font également occupées, & leur rapport eft général, de quelque côté qu'on les veuille confidérer, voici les différences particulieres qu'elles préfentent.

La figure placée derriere la niche porte une coëffure, ou plutôt un chaperon fort avancé & qui couvre absolument fa tête; on en voit fortir à la hauteur du col, le col d'un oifeau, dont le bec pointu & recourbé eft celui d'un Ibis. Cette figure me paroît fimplement con

*Tous les Ibis ont le bec courbé, ce font des efpeces de courlis : Belon en a décrit deux cfpeces, l'une blanche, l'autre noire, pag. 199 & 200. La premiere eft felon lui répandue par toute l'Egypte la noire ne fe trouve que vers

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