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l'ouvrage projetté par M. Colbert, & de le dédier à la mémoire de ce grand Miniftre. Il avoit tellement à cœur cette glorieufe entreprise, qu'il s'en occupoit encore la veille de fa mort, & qu'il la recommanda inftamment à M. Mariette. Ses intentions feront fidelement fuivies. Prefque toutes les planches font déja gravées d'une maniere qui rend le lavis & la propreté des deffeins de Mignard; & s'il ne furvient aucun obftacle, l'ouvrage fera conduit à sa fin avec une précision & une noblesse, qui ne laiffera aucun avantage aux nations étrangeres. M. Mariette employe actuellement fur les lieux un architecte intelligent, occupé à mesurer les edifices qui ont échappé aux recherches précédentes, & à vérifier en même-temps les deffeins de Mignard.

La confiance que toute l'Europe avoit dans les lumieres de M. le Comte de Caylus, a contribué à la décorer & à l'embellir. Les Puiffances du Nord ont plus d'une fois confulté fon goût; elles s'en font plus d'une fois rapportées à lui sur le choix des Artistes, dont elles avoient befoin pour exécuter de grands ouvrages. C'eft à la protection déclarée, c'eft au crédit du Comte de Caylus, que Bouchardon, ce sculpteur immortel, dont le nom accompagnera déformais celui des Phidias & des Praxiteles, devoit les occafions brillantes qui ont fait éclater fes talens. C'eft à ce même crédit que la ville de Paris doit les chef-d'œuvres, qui font

aujourd'hui deux de fes plus fuperbes ornemens ; la ftatue équestre du Roi, & la fontaine de la rue de Grenelle. C'est le Comte de Caylus, dont la recommandation a procuré à notre Académie le plus grand deffinateur de l'Europe.

Il fuyoit les honneurs ; il rechercha cependant par un attrait invincible celui d'être admis au nombre des Honoraires de cette Académie, il y entra en 1742, & il parut alors avoir trouvé fa place naturelle. L'étude de la Littérature devint auffitôt fa paffion dominante; il y confacra fon temps & fes biens: il renonça même aux plaisirs, pour se livrer tout entier à celui de faire quelque découverte dans le vaste champ de l'antiquité. Mais il fe renferma prefque toujours dans la sphere des Arts. A l'aide de fes lumieres nous vîmes les Egyptiens embaumer leurs Mumies, & changer les lames du Papyrus en feuilles légeres propres à recevoir l'écriture. Nous vîmes cette nation patiente & infatigable, attachée pendant des années entieres à des roches de granit, trancher & cerner à l'entour des blocs d'une grandeur énorme, & creuser dans une feule pierre des Temples de quarante coudées dans toutes leurs dimenfions. Nous fuivimes fur le Nil ces masses effrayantes dans l'espace de deux cens lieues depuis Eléphantine jusqu'à Saïs & à Butos ; & par les efforts d'un Art, presque auffi puiffant que la Nature, nous les vîmes fortir de def fus leurs radeaux, & s'avancer fur la terre jufqu'au

lieu deftiné à leur affiette. Il fit fervir les connoiffances que lui avoit procurées lui avoit procurées la pratique du deffein, à l'éclairciffement des paffages où Pline le naturaliste paroît obfcur aux lecteurs qui n'ont pas le même avantage. Il développa dans plufieurs mémoires ces traits profonds & expreffifs, fous lefquels cet auteur univerfel a peint avec une brieveté énergique les talens divers des peintres & des fculpteurs diftingués. Il fit plus, il nous transporta, fi j'ofe le dire, dans les ateliers antiques, & fit travailler fous nos yeux les Artistes de la Grece. Il retrouva dans Paufanias le pinceau de Polygnote, & fit revivre la compofition des tableaux, dont ce grand peintre avoit décoré le portique de Delphes. Il reconstruifit le théâtre versatile de Curion, & fous la conduite de Pline il nous fit voir encore cette étonnante machine, & tout le peuple Romain tournant fur un pivot. Rival des premiers architectes de la Grece, fans autres matériaux qu'un paffage du même Pline, il ofa relever le magnifique tombeau de Maufole, & rendre à cette merveille du monde ses proportions & fes ornemens.

Non content de rappeller les connoiffances des anciens dans les Arts, il en ajoutoit de nouvelles. Tandis qu'il retrouvoit dans les laves des Volcans la pierre Obfidienne, méconnue des plus habiles naturalistes, il inventoit le moyen d'incorporer les couleurs dans le marbre, & d'en fixer le trait. Mais nulle découverte ne lui sembla plus flatteuse,

que celle de la peinture encauftique. Une defcription de Pline trop concife pour développer clairement ce procédé, lui en fit naître l'idée. Profitant de l'amitié & des lumieres de M. Majault, médecin de la Faculté de Paris, & très - verfé dans la chymie, à force d'effais & d'expériences, il crut avoir trouvé le fecret de marier la cire avec les couleurs & les teintes diverses, de la faire obéir au pinceau, & de rendre les peintures immortelles.

C'eft ainfi qu'entre les mains de M. le Comte de Caylus les Arts & les Lettres fe prêterent au fecours mutuel; il leur affocioit même les fciences phyfiques. M. Majault & M. Roux, habiles chymiftes, s'empreffoient de le feconder. M. Juffieu ce fçavant profond, ce confident univerfel, mais trop difcret, des myfteres de la nature, lui ouvroit les trésors ; & M. le Comte, qui avoit autant de facilité que perfonne de fa condition, de paffer pour fçavant aux dépens d'autrui, se faifoit un honneur & un devoir de déclarer hautement dans fes ouvrages, ce qu'il devoit aux lumieres des

autres.

Je ne finirois pas, fi j'entreprenois de rendre compte de toutes les differtations qu'il a répandues dans nos mémoires. Elles paffent le nombre de quarante, Jamais cette Compagnie ne vit d'Académicien plus zélé pour fa gloire. Affidu à nos assemblées, attentif aux lectures, les plus vifs aiguillons de la goute lui caufoient à peine un moment

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de distraction. Toujours prêt à obliger chacun de fes confreres, il s'étoit fait de notre Académie une nouvelle famille. Ne perdant jamais de vue les Artistes, pour leur épargner les fautes dans lesquelles l'ignorance du coftume a quelquefois fait tomber les plus habiles, il fonda un prix de 500 liv. dont l'objet eft d'expliquer par les auteurs & par numens les ufages des anciens peuples.

les mo.

C'est encore dans cette vue qu'il raffembloit avec beaucoup de foin & de dépenfe les antiquités de toute efpece. Rien de ce qui étoit antique, ne lui sembloit indifférent. Depuis les dieux jufqu'aux reptiles, depuis les plus riches métaux & les plus beaux marbres jufqu'aux fragmens de verre & de vases de terre cuite, tout trouvoit place dans son cabinet. L'entrée de fa maifon annonçoit l'ancienne Egypte; on y étoit reçu par une belle ftatue Egyptienne de cinq pieds cinq pouces de proportion. L'escalier étoit tapiffé de médaillons & de curiofités de la Chine & de l'Amérique. Dans l'appartement des antiqués on fe voyoit environné de dieux, de prêtres, de magiftrats Egyptiens, Etrufques, Grecs, Romains, entre lefquels quelques figures Gauloifes fembloient honteufes de fe montrer. Lorsque l'espace lui manquoit, il envoyoit toute sa colonie au dépôt des antiques de Sa Ma-jesté; & bien-tôt la place étoit remplie par de nouveaux habitans, qui s'y rendoient en foule de toutes les contrées. Cette peuplade s'eft renouvellée

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