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l'honneur. Mais les graces de l'efprit de la Comtesse prirent dans celui de fon fils une teinture hardie & militaire : il tira de fon propre fonds la gayeté, le goût des plaisirs, l'amour. de l'indépendance, & avec un refpect inaltérable pour la personne du Prince, un éloignement invincible pour la fervitude de la Cour.

Après avoir achevé fes exercices, il entra dans les Moufquetaires, & dès fa premiere campagne en 1709, il se diftingua par fa valeur. Le Roi lui donna des éloges en présence de toute la Cour, & le récompenfa d'un Guidon de Gendarmerie. En 1711 il fut Mestre de Camp d'un Régiment de Dragons de fon nom, à la tête duquel il fe fignala en Catalogne. Il fe trouva en 1713 au fiége de Fribourg, ou il courut de grands rifques à l'attaque du chemin couvert, qui fut très meurtriere. La faveur de Madame de Maintenon, qui pouvoit même suppléer au mérite, auroit fait valoir avantageufement celui du jeune Comte, s'il eut été de caractere à se prêter aux vues de sa famille. Sa bravoure naturelle trouvoit une pente aifée & commode pour monter aux plus grands honneurs. Mais la paix de Raftadt le laiffoit dans une inaction, dont fa vivacité ne s'accommodoit pas.

Il fit le voyage d'Italie. Sa curiofité fe promena fur toutes les merveilles de cette contrée, où l'antiquité préfente tant de membres épars, & toujours féconde, quoiqu'enfevelie, fort quelquefois

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de ses tombeaux pour enfanter des Artistes, qui par une heureuse imitation produifent eux-mêmes de nouveaux modeles. Les yeux du Comte n'étoient pas encore fçavans, mais ils s'ouvroient à la vue de tant de beautés, & apprenoient à les connoître. Il parcourut les côtes de Sicile. L'approche d'un noble péril l'attira dans l'ifle de Malte, que la Puissance Ottomane menaçoit alors de foudroyer. Les Chevaliers s'y rendoient de tous les pays de l'Europe. Le Comte offrit fon épée, qu'on accepta. Mais l'allarme fut vaine. Il revint à Paris au mois d'Octobre 1715, après une année d'absence. Le goût des voyages & des recherches d'antiquités le fit renoncer au fervice.

Huit mois après il faifit l'occafion de passer dans le Levant. Il partit avec M. de Bonac, qui alloit relever M. Defalleurs à la Porte Ottomane. Arrivé à Smyrne il profita d'un délai de quelques jours pour vifiter les ruines d'Ephefe, qui n'en font éloignées que d'environ une journée. Vainement s'efforça-t-on de l'en détourner en lui repréfentant les dangers qu'il alloit courir. Le redoutable Caracayali à la tête d'une troupe de brigands s'étoit rendu maître de la campagne, & por

toit l'effroi dans toute la Natolie. Mais dans le Comte de Caylus la crainte fut toujours plus foible que le défir. Il s'avisa d'un ftratagême qui lui réussit. Vêtu d'une fimple toile de voile, ne portant fur lui rien qui put tenter le plus modeste voleur

il fe mit fous la conduite de deux brigands de la bande de Caracayali, venus à Smyrne, où par crainte on les fouffroit. Il fit marché avec eux fous la condition qu'ils ne toucheroient l'argent qu'au retour. Comme ils n'avoient d'intérêt qu'à le conserver, jamais il n'y eut de guides plus fideles. Ils le conduifirent avec fon interpréte vers leur chef, dont il reçut l'accueil le plus gracieux. Inftruit du motif de fon voyage, Caracayali voulut fervir fa curiofité; il l'avertit qu'il y avoit dans le voisinage des ruines dignes d'être connues; & pour l'y tranfporter avec plus de célérité, il lui fit donner deux chevaux Arabes, de ceux qu'on appelle chevaux de race, qui font eftimés les meilleurs du monde, tant leur allure a de viteffe & de douceur. Le Comte fe trouva bien-tôt comme par enchantement fur les ruines indiquées ; c'étoient celles de Colophon. Il y admira les reftes d'un théâtre, dont les fiéges pris dans la masse d'une colline qui regarde la Mer, joignoient autrefois au plaifir du fpectacle celui de l'afpect le plus riant & le plus varié. Il retourna paffer la nuit dans le fort qui fervoit de retraite à Caracayali; & le lendemain il se transporta fur le terrein, qu'occupoit anciennement la ville d'Ephese.

Je ne dirai rien de l'état où il trouva cette Ville, & le fameux Temple de Diane : il en a rendu compte dans un Mémoire. On me permettra d'en citer un trait ingénieux. La vue des rui

nes d'Ephéfe, dont les Turcs ont enlevé, coupé, fcié, renversé, placé fans ordre & fans regle les. colonnes & les chapiteaux, pour bâtir leurs maifons & leurs Mofquées, fit, dit-il, sur son esprit le même effet, que le plus grand nombre des explications modernes des anciens monumens produiroit fur l'efprit d'un ancien Grec éclairé, qui reviendroit au monde. Mais à mon avis ces cabanes des Turcs fi mal conftruites des plus beaux ornemens de l'ancienne Architecture, représenteroient peut-être encore mieux ces ouvrages de Prose ou de Poëfie, dans lefquels les riches inventions des Anciens fe trouvent transportées malgré elles, tronquées, déplacées, défigurées par une imitation maladroite & groffiere.

Après un féjour de deux mois à Constantinople, il alla voir la Cour Ottomane, que la guerre de Hongrie, avoit attirée à Andrinople. Tout le pays étoit infecté de pefte, le Comte n'en reffentit aucune atteinte. Sa gayeté & fon intrépidité naturelle lui épargna les inquiétndes, & la bonté de fon tempéramment le fauva.

Il paffa le détroit des Dardanelles pour reconnoître ces campagnes fi riches & fi fleuries dans les Poëmes d'Homere. Il ne s'attendoit pas à rencontrer aucun veftige de l'ancien Ilion; mais il fe promettoit bien de fe promener fur les bords du Xanthe & du Simoïs. Ces fleuves avoient difparu; les vallées du Mont Ida, abbreuvées du sang

de tant de Héros, n'étoient plus qu'un terrein défert & fauvage, fourniffant à peine quelque nourriture à des avortons de chênes, dont les branches rampoient fur la terre, & se desséchoient prefque en naiffant.

Ce fut là le terme qu'il mit à fes recherches dans le Levant. La tendreffe de fa mere qui le rappelloit fans ceffe, retint fa curiofité. Il rentra dans le port de Marseille le 27 Février 1717. Ses amis l'ont entendu plus d'une fois regretter de n'avoir pas pénétré jusqu'à la Chine. Il s'en dédommageoit en raffemblant le plus qu'il pouvoit des curiofités de ce pays, que des Capitaines de vaiffeau de la Compagnie des Indes, se faifoient un plaifir de lui rapporter. Il fit encore deux voyages hors de la France; il alla deux fois à Londres en différens temps.

Devenu sédentaire, il n'en fut pas moins actif. Ennemi des affaires, il s'en fit une de tous les amusemens de la vie. Il s'occupa de Mufique, de Deffein, de Peinture. Il écrivit, mais ce n'étoit que des jeux & des caprices de fociété, auxquels il ne donna jamais plus de foin qu'ils n'en méritoient. Etincelant de feu & de gayeté, jamais il ne s'affervit à la correction du ftyle. Il ne fe propofoit d'autre perfection en ce genre que le divertiffement de fes amis. Il attendoit tout de la nature, & elle le fervoit à son gré. Pour juger des ouvrages de l'Art, il poffédoit ce goût, cet inf

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