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d'une Princeffe digne de donner le jour à des Fils, qui puiflent confoler la France de la perte du Prince Louis, s'il nous étoit enlevé votre prudence vous en fournira les moyens; & c'eft à votre raison à vous donner assez d'empire fur vous-même, pour les faire réuffir. Il faut enfin, ma chere Eugenie, aimer affez tendrement le Roi, pour le porter à accorder à fes fujets, à l'intérêt de l'Etat, & par confequent à fa gloire, ce qu'il ne peut fans blâme leur refufer plus long

tems.

Le difcours de Votre Majesté, repartit Mademoiselle de Mery, m'inftruit en même tems de fes bontez pour moi, & de mon devoir. Mon refpect pour vous, Madame, m'ordonne d'entendre tout ce que ce difcours renferme, & d'y répondre fans aucun détour dans peu on n'aura plus à m'accufer de faire oublier au Roi fes devoirs. Croyez, Madame, que fes intérêts, qui ne doivent jamais fe feparer de ceux

de

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de l'Etat, peuvent dans mon cœur prévaloir fur tout autre fentiment. Oui, Madame, j'adore le Roi, & je me flate d'en être eftimée ma tendre confiance en vos bontez (pardonnez-moi ce terme) m'arrache cet aveu. Il eft fans mérite cet aveu, je le - fçais: les Rois ne fçauroient aimer avec mystère; il me coûte - cependant. La pudeur naturelle = à mon fexe, & la vertu que vous m'avez infpirée, me font fans ceffe des reproches que l'éclat du Trône augmente encore. Je n'avois pas befoin d'être excitée paår Votre Majefté, pour penfer au parti que je dois prendre; l'amour même m'avoit déja montré mon devoir. Mais, Madame, j'ai be foin de votre fecours pour exécuter mon projet.

Il faut commencer par obtenir du Roi, continua Eugenie, de faire revenir le Prince Louis à Paris. Il y confentira aifément: ce Prince va bientôt entrer dans fa feptième année; il est tems de le mettre entre les mains d'un Tome IV. Gou

I

Gouverneur : il faut adroitement y faire fonger le Roi; il faut lui faire fentir, qu'il eft tems de s'occuper de l'éducation d'un Prince, dont la vivacité annonce un efprit qui ne demande qu'à être qultivé. Alors débaraffée des foins que ma place exige de moi, ma conduite avec le Roi fera connoître le défir fincere que j'ai de le voir faire le bonheur d'une Princeffe digne de lui.

La Reine, touchée de la franchife d'Eugenie, fe confirma encore dans l'opinion qu'elle avoit toûjours eue de fon caractère ; auffi l'affura-t-elle de la manière la plus vive & la plus tendre, qu'elle lui feroit toûjours chere.

Mademoiselle de Mery, après cet entretien, refta comme enfevelie dans des refléxions, qui partant de deux principes oppofez, fe croifoient & fe combattoient fans ceffe. Son cœur, effrayé du projet que fa raifon formoit, n'ofoit parler, & ne pouvoit fe taire: il gémiffoit, mais fans être écouté. Le bien de l'E

tat,

tat, la fatisfaction des Citoyens qui demandoient hautement une Reine, le défir de leur faire connoître qu'elle méritoit leur eftime, prêterent des forces à Eugenie. Elle vit ce qu'elle devoit faire, pour paroître toûjours aux yeux de Philippe digne de la tendreffe qu'elle lui avoit infpirée; avantage qui lui parut trop précieux, pour n'en être pas occupée. Flattée de cette idée, elle s'y livra toute entiere, & prit avec quelque tranquillité fa refolution.

Peu de jours après, Philippe demanda à Eugenie, fi elle approuveroit le retour du Prince Louis à Paris. L'amour du peuple pour lui, continua-t-il, fon empreffement de le revoir, & les défirs de la Reine, femblent exiger de moi cette complaifance. Ajoutez, Sire, repliqua Eugenie, que vous devez à l'attachement extrême de tous vos fujets pour vous, & pour un Prince qui ne leur eft cher, que parce qu'il eft votre Fils, une reconnoiffance, qui vous engage à

ne jamais leur refufer ce qui dépend de vous de leur accorder. Eugenie, reprit le Roi, vous ne tenez pas ce propos fans quelque fondement. Mes fujets murmurent-ils contre la manière dont je les gouverne? Trouvent-ils ma domination dure? Leur donneroisje occafion de penfer qu'ils pourroient obéir à un Roi plus équitable & plus digne de leur commander? N'en ferois-je pas aimé,quand je ne m'applique qu'à mériter leur tendreffe & leur éftime? Parlez. Eugenie; ne me cachez point des véritez que le Courtifan timide & intéreffé n'ofe me faire voir, & dont il importe qu'un Roi foit inftruit: mon attachement pour vous peut vous faire tout ofer; & le vôtre pour moi, vous l'ordonne. Eh bien! Sire, repartit Eugenie, vous allez entendre vos fujets & l'Europe entiere vous parler par ma bouche. Je vais me porter à mojmême un coup mortel; mais je le dois; je dois m'oublier; je dois m'immoler quand il s'agit de la

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