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pable. Quoi qu'il en foit, je fus promtement averti, & bien que j'ignoraffe une bonne partie des chefs d'accufation, je fus voir les perfonnes qui font chargées des affaires de la Librairie, où je trouvai le Cenfeur de mon Livre qui avoit été appellé pour rendre compte de fa conduite. Après avoir vu la piéce, il dit qu'il n'y avoit pas un mot de vrai, & admira la hardieffe & la mauvaise foi de mes accufateurs & leur malice effroyable. Il fut chez le Maréchal de Villeroi, auquel il fit voir les paffages cités fauffement, puifque c'étoient des éloges, & lui lut en même tems l'affaire de Crémone qui eft au commencement de mon cinquiéme Tome. Ce Seigneur faillit à tomber de fa hauteur, & marqua fa fatisfaction de la juftice que je lui rendois. Je fus à la Cour porter mes plaintes. J'ai été fervi comme on fert un innocent fous un Ministére tout plein de droiture, d'équité & de juftice. Je n'en attendois pas moins de fon Eminence, car fa vertu & fes grandes qualités font un prodige dans un fiécle fi corrompu; & fi Dieu nous fait la grace de nous conferver (fi nous avions le malheur de la perdre) ceux qu'il a mis au timon des affaires pour le foulager: la France fera trop heureufe. Ils font tous tels que nous devons les fouhaiter, & furtout Mr. d'Angervilliers. Tout le monde l'eftime & le révére à un point que je ne faurois vous l'exprimer; car l'article qui me regarde a furpris une infinité de monde par des raifons que je vous dirai, & vous verrez le grand, & le beau de juftice & de probité en lui, fi je furvis à l'auteur des tracafferies que l'on m'a faites. Le Sr. Guignard à été traité comme il le méritoit. Il voudroit être un âne, & un ane batté, & furement il vaudroit mieux qu'il ne vaut, & feroit infiniment moins méprifable qu'il n'eft.

Mon Cenfeur a fait mon apologie, qui a été remife aux Miniftres; je la ferai peut-être imprimer dans la Préface du Tome cinquième, qui paroîtra un mois plus tard qu'il n'auroit paru fans ces tracafferies. Ön veut qu'elles foient finies, c'eft ce que je fouhaitte fort; ce n'est pas que je craigne ce Guignard, il eft trop méprifable; mais ceux qui l'ont mis en œuvre, n'ont pas un petit crédit. L'innocence contre de telles gens n'eft pas toujours un bouclier bien redoutable, & lorsque certaines perfonnes s'en mêlent, qui ne fe font nul fcrupule de calomnier, il y a toujours à craindre, & furtout lorsqu'on a le courage de leur réfifter, & de ne point les épargner lorsque l'occafion s'en préfente. Il me paroît par votre Lettre que je n'ai pas, car j'ai éclipfé tous mes Papiers, non pas fans raifon, que vous avez compris les Bonzes. Si j'avois écrit au Païs où vous êtes, vous pouvez bien vous imaginer que j'aurois étendu la chofe d'une maniére qui les auroit très-mortifiés; car je fçai bien comment il les faut prendre. Ce n'eft-là que le canevas. Vous êtes trop pénétrant pour ne pas voir où cela me pourroit

mener.

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Venons à mon cher Mr. le Clerc que j'aime de toute mon ame, je vous prie de lui fouhaitter une heureufe année de ma part. Il doit avoir reçu le quatrième Tome de Polybe, & le Supplément du Dictionnaire de l'Ecriture. On me menace d'une Critique, & c'est un Docteur de Sorbonne qui me la prépare; furement il n'y trouvera pas fon compte, car je ne vois pas qu'on puiffe m'attaquer fur la Tactique des Juifs, qui eft la même que celle des Peuples de l'Afie mêlée de celle des Egyptiens, qui combattoient par grands Corps féparés & tous Piquiers; aufli voit-on clairement que les Grecs ne font pas les inventeurs de la Phalange, ni de rien: il eft même certain que tous les Arts & toutes les Sciences ont paffé de l'Orient en Occident. Je fuis ravi de ce que vous me dites de mon quatriéme Tome, on en penfe de même ici. Je ne fuis pas peu charmé de vous voir parler fi bien de la Guerre. Vous verrez l'affaire de Crémone dans le commencement du cinquième Tome. Le fixième me fait trembler à cause de la profondeur des matiéres, je n'oublierai rien pour m'en bien

tirer.

Je n'ai pas encore vu Mr. le Chevalier d'Harville (*), on m'a dit qu'il n'elt pas à Paris; vous pouvez bien vous imaginer que je lui marquerai ma reconnoiffance. Mr. le Chevalier (**) d'Ambre, votre compatriote, eft toujours bien de vos amis & des miens, & nous parlons fouvent de vous. J'ai encore une affaire ici avec Mr. d'Asfelt & quelque autre, qui prétend que je ne lui ai pas rendu toute la juftice qu'il mérite à l'égard de la Bataille d'Almanza, dont j'attribue la gloire après le Général à Mr. d'Avaray, dont on n'avoit fait nulle mention à la Cour, non plus que du Marquis de Goësbriand à l'affaire de Toulon. On lui a fait voir qu'il fe plaignoit à tort qu'il n'avoit pas chargé à la feconde ligne où il fe trouvoit, que j'avois dit vrai; & qu'à l'égard de certaines circonftances que je n'avois pas rapportées, j'avois eu mes raifons, quoique je ne les ignoraffe pas. Il s'étoit formé une cabale pour me faire parler différemment que je n'ai fait, mais tout cela eft tombé, & la vérité a fait tout évanouir. Ce n'eft pas d'aujourd'hui que ceux qui n'ont rien fait, veulent s'attribuer fauffement les actions d'autrui, s'en orner & s'en parer. Je le leur ai entiérement ôté, tout le monde m'en loue. Il eft facheux d'enlever les ornemens de certaines gens qui leur ont fervi vingt-deux ans de parure, & qui ont même aidé à leur fortune. J'en uferai de même envers les autres lorfque j'en trouverai l'occafion. Vous me ferez beaucoup de plaifir de me ramasfer les injuftices & les filouteries des actions d'autrui pour les inférer dans mon Ouvrage. Il n'eft pas qu'il n'y ait quelqu'un de vos Militaires qui ne foit en état de recourir à mon tribunal. Je me ferai un plaifir d'en ufer comme j'ai fait avec les nôtres, fans qu'il paroiffe que cela

(*) Colonel du Regiment de Cambrefis & Brigadier des Armées du Roi, qui avoit fait un
voyage en Hollande.
(**) Depuis Mr. le Comte de Lautrec.

XXIV

LETTRE DE MONSIEUR LE CHEVALIER, &c. vienne d'eux, mais il faut être bien affuré des faits. Vous leur rendrez un grand fervice, & cela me fera honneur.

Je ne vous ai rien dit de Mr. Barbeyrac, le grand Ami de l'Inquifition. Je l'honore & l'eftime infiniment. S'il m'aimoit autant que j'aime fes Ouvrages, je pourrois me vanter d'avoir un excellent Ami. Je prends la liberté de lui demander quelque part dans fon cœur, faites enforte qu'il me l'accorde. Je ferois fort curieux de voir l'Extrait de mon Commentaire dont vous me parlez. Si l'on pouvoit y ajoûter le mauvais tour qu'on m'a fait fans qu'il parût que cela vînt de moi, je vous en ferois très-obligé, mon cher Monfieur. Je vous prie de ne pas dire que j'aye eu l'honneur de vous apprendre cette nouvelle. Il fuffit que je vous affure que cela me feroit tort; car il y a des gens en crédit mêlés dans cette affaire, qui ne leur fait pas beaucoup d'honneur; ils ne manqueroient pas de redoubler leurs perfécutions. Comme vous voyez, mon cher, je ne fuis pas fitôt prêt à voir changer ma mauvaise fortune; je dois m'attendre au contraire à mille Libelles diffamatoires, mes ennemis n'en font pas chiches, leur morale les y menant tout droit. Ils mettent tout en mouvement fans paroître ouvertement. Je vous embraffe très-tendrement, & je fuis &c.

PRE

PREFACE

DU COMMENTATEUR.

EN

la

NTRE les défauts dont un Philofophe de nos jours accufe les Commentateurs, le plus ordinaire eft, à l'entendre, qu'ils s'imagi- Malebr. nent que leurs Auteurs méritent l'admiration de tous les hommes,& qu'ils Rech. de fe regardent auffi comme ne faifant qu'un avec eux, dans cette Vérité. vie, ajoute-t'il, l'amour propre joue parfaitement fon jeu. Je dois être d'autant plus en garde fur ce défaut, qu'il m'a été déja reproché par des gens, il eft vrai, de qui je n'aurois pas dû me défier, fi l'on fe rendoit juftice à foi-même avant que de condamner les autres: car enfin loripedem rectus derideat; mais de quelque part que me viennent les avis, il eft bon d'en profiter, foit pour me corriger de mes défauts, foit pour éviter d'y tcmber; quoique je fache fort bien que ce que je dis de moi, eft bien moins par vanité, que pour fervir à ma juftification. Quoiqu'il en foit, je déclare nettement que je ne prétens rien à la gloire de Polybe, je la lui laiffe toute entiére, & fans vouloir m'en attribuer la moindre parcelle: mon Commentaire n'est pas tant pour expliquer cet Auteur célébre de l'antiquité, que pour tirer des faits qu'il raconte les principes de la fcience des armes qu'il poffédoit à un dégré fi éminent, & pour mettre à la portée de tout le monde les réfléxions qu'il nous donne lui-même fur ces faits. Polybe eft plus pour le Commentaire, que le Commentaire n'eft pour Polybe.

Je prie que le mot de Commentaire n'allarme perfonne. Ce n'eft point ici un assemblage de notes trivales, furannées & pédantefques, prifes ou maraudées par-ci par-là, & transférées de plufieurs Livres dans un feul, fans autre mérite que la tranflation; ce n'eft rien de tout cela, je marche en habit de campagne dans mon ftile: nul airain de Co- Préface rinthe, nulle pompe, nul précieux ridicule, nulle décoration de Rhé- de l'Hi torique de Collége, c'eft un corps de fcience militaire; & bien que je Romai me fois assez étendu fur chaque partie, il s'en faut bien que je l'aie é-nc. puifée. Et qui pourra trouver cette partie trop longue, lorsqu'il fera refléxion aux avantages qui en reviennent?

Quand nous avancerions que la guerre eft la plus belle, la plus noble & la plus importante de toutes les fciences, & qu'elle renfermé même celle des mœurs, nous n'avancerions rien que de véritable. Quoi de plus grand & de plus élevé, puifqu'elle eft celle des Rois, des Princes, Tome I.

a

toire

des Grands du monde, & celle enfin des honnêtes gens? C'eft certe étude qui doit faire leur principale occupation, puifque c'eft là leur métier, & qu'ils n'en ont point d'autre à faire fans fortir de leur état.

Les Princes, qui ne s'y font pas appliqués, le fentent dans l'occafion avec une douleur très-mortifiante, par la comparaifon qu'ils font d'eux avec leurs Généraux qui l'ont étudiée. Domitien fe trouva dans ce cas au rapport de Tacite, qui dit qu'il haïffoit Agricola, à caufe qu'il étoit plus grand Capitaine que lui, enrageant d'être furpassé par un fujet en la gloire des armes, qui à fon avis devroit être l'appanage des Princes.

Il n'y a que l'étude de la guerre dans quelque état de fortune où l'on fe trouve, qui puiffe nous faire espérer de parvenir un jour au fuprême commandement des armées. Quel est l'état qui égale un particulier à fon Souverain, qui le rend dépofitaire de toute fa puiffance, de toute la gloire, & de toute la fortune des Etats, & qui fait un Conquérant d'un homme d'une naiffance vile & abjecte, mais qui eft d'une valeur extraordinaire? Qu'on life l'Hiftoire pour s'en convaincre, Ce qu'il y a de plus remarquable, c'eft qu'il fe trouve autant de Princes qui ont éprouvé de plus grandes infortunes par leur ignorance dans les armes, & le mépris qu'ils en ont fait, que par leurs vices & leur lâcheté. Combien en voit-on dans l'Hiftoire qui ne font grands & célébrés que par le mérite des autres? Mais il eft très-rare de trouver des hommes dans une Cour corrompue & fainéante, qui ne foient pas eux-mêmes corrompus & fainéans, à l'exemple du Prince. Le malheur encore des Souve rains, eft qu'ils fe trouvent incapables de faire un bon choix au milieu de cette foule de Courtifans efféminés & perdus, comme chez les Rois de Perfe, qui couvrent toujours les vertus qui leur font ombrage.

Combien y en a-t-il qui font tombés dans les plus grandes calamités par cela feul? Ils choififfent leurs flateurs & leurs favoris, & laiffent là les hommes capables de les bien fervir & de les tirer d'embarras; leurs vertus leur font fufpectes, ou du moins un reproche fecret de leurs vices ou de leur incapacité. Cela me fait fouvenir d'un bon mot du Philofophe Antifthéne, qui voiant que chez les Athéniens la multitude ignorante décidoit de la paix & de la guerre, & difpofoit des emplois les plus difficiles fuivant fon caprice, leur demanda en fe moquant, d'où. venoit qu'ils ne s'avifoient point d'ordonner par un de leurs Edits que les ânes fuffent des chevaux, eux qui avoient le pouvoir de faire tout d'un coup, d'un fot un Général d'armée.

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Pour revenir à mon Commentaire, car la digreffion n'eft pas longue, on fera peut-être furpris que je ne fuive pas toujours la route ordinaire des Commentateurs, dont la fonction eft de bien déveloper les pensées de leur Auteur, & de bien expliquer les chofes plutôt que les paroles, de l'admirer en tout comme l'objet de leur culte, & de s'enchaîner dans leur texte fans le quitter, fans le perdre un moment de vûe. Il s'en faut

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