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toutes les parties de la guerre; & il montre que les Grandshommes des derniers tems leur font redevables de leurs plus glorieux fuccès. Si les Modernes l'emportent en diverfes Sciences fur les Anciens, comme Mr. de Folard en convient de bonne foi, ils leur font très - inférieurs dans celle de la guerre. La routine a prévalu jusqu'à présent sur l'évidence, & ce n'eft qu'avec le tems qu'on peut efpérer que la Science des Armes atteindra à la perfection, & qu'une Postérité plus reculée mettra à profit les travaux & les recherches d'un Génie fupérieur, qui nous a frayé les plus belles routes, & les a rendu faciles. ́Il ne faut pour cela qu'un grand Prince, ou un Homme de grande autorité, qui ouvrira les yeux fur les avantages de la nouvelle méthode, & animera par des récompenfes les gens de guerre à l'étude, dont ils ont encore plus de befoin que de l'expérience, comme on le montre dans tant d'endroits de cet Ouvrage. Celle-ci doit fervir à perfectionner, & apprend à faire ulage des Sciences acquifes dans le repos & dans la paix.

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Mr. de Folard voudroit que les Miniftres d'Etat fuiviffent Pexemple de Sofibe, qui gouvernoit l'Egypte fous Ptolémée Philopator menacé de la guerre par Antiochus le Grand, qui étoit fur le point d'envahir les Etats. Cet habile Miniftre, dont Tom. V. on nous donne le portrait, mit en œuvre toutes les rufes de fa Politique pour tromper Antiochus, en négociant & en intriguant perpétuellement, & fçût gagner du tems qu'il mit à profit pour fauver fon Maître. Il ne le contenta pas d'attirer à fon fervice un grand corps de Soldats étrangers & d'excellens Officiers, mais ce qui étoit très important, il mit la difcipline Militaire des Egyptiens fur un meilleur pied, en introduifant parmi eux celle des Grecs, leur Tactique & leurs armes. Grecs avoient tout imité des Egyptiens, qui oubliérent fous les fucceffeurs d'Alexandre le Grand tout ce qui regardoit la guerre. Les Grecs devinrent à leur tour leurs Maîtres. Enfin la guerre, retardée par des propofitions de paix, s'alluma entre les deux Monarques; Antiochus remporta d'abord divers avantages, &

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fut enfin vaincu à la bataille de Raphies. Notre Auteur-n'oublie pas les grands changemens que le Czar Pierre le Grand a eu l'habileté de faire dans fes Troupes, autrefois fi méprifées, & aujourd'hui devenues fi redoutables. Il fait voir que par-tout où il y a des hommes, il eft aifé de former de braves foldats, avec le fecours d'une bonne discipline Militaire & des Officiers capables & appliqués, qu'on ne fauroit trop animer par les plus grandes recompenfes.

Il eft tems de parler des violentes perfécutions que Mr. de Folard eut à effuyer. Elles étoient d'autant plus dangereuses que des perfonnes d'un rang diftingué fe déclarérent fes ennemis, & réfolurent fa perte. Si elles ne purent affouvir leur vengeance, elles réuffirent du moins à le chagriner, & à empêcher qu'on lui rendît juftice. Mr. de Folard avoit un grand fonds de probité; il aimoit la vérité par deffus toutes chofes, & étoit incapable de la diffimuler, lorsque le Public avoit intérêt d'en être inftruit. Il fe faifoit un plaifir de remarquer les belles actions des Généraux, & même des Officiers particuliers; mais il n'étoit pas moins attentif à relever leurs fautes, perfuadé que rien n'est plus inftructif pour les gens de guerre. Cette liberté déplut à des hommes médiocres qui afpiroient à l'infaillibilité. Ceux que des talens diftingués élévent au-deffus des autres, n'ont garde d'y prétendre; le vrai mérite est toujours modefte. Mr. de Turenne, le plus grand Général de fon fiécle, avouoit avec plaifir ses fautes, & en entretenoit fouvent fes Officiers pour leur instruction.

Mr. de Folard eft très-réfervé dans fes éloges, qui ne s'écartent jamais du vrai. Il a, dit-il lui-même, de l'encens en petite quantité, & il veut le ménager. Il louë uniquement les vertus & les belles actions, furtout dans ceux à qui on n'a pas rendu justice. Nous en indiquerons deux exemples remarqua bles. L'un fe trouve dans la belle Relation de la furprise de Creoù il montre que Mr. le Maréchal de Villeroi fe conduifit en Général fage, & qu'on ne peut lui rien reprocher; mais que fes ordres furent très mal exécutés, & il rend à cette

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Tom. V.

XIX.

occafion la justice qui eft due à grand nombre de braves gens. Dans l'autre il s'agit de l'efcalade de Cette dans la guerre de 1701. qui fit beaucoup d'honneur à Mr. le Duc de Noailles, depuis Maréchal de France. Cette action, dit Mr. de Folard, fait beaucoup d'honneur à Mr. le Duc de Noailles, brave, vigou-Préf. p. ,, reux & hardi: je me ferai toujours un plaifir de le produire ,, par tout, autant par fes qualités militaires, que par fon efprit & fon goût pour les Belles-Lettres & pour les Beaux Arts, & ,, par l'eftime de ceux qui les profeffent dans un tems où il femble que l'ignorance veuille en triompher". Voilà un bel éloge que la vérité feule a dicté, & tout fondé fur le mérite.

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Notre Auteur s'eft attiré beaucoup d'ennemis par un endroit qui devoit le rendre fort estimable. Il eft perfuadé que rien n'est plus injufte & plus propre à dégoûter les braves gens du fervice, que de leur ôter l'honneur de certaines actions, & les priver en même tems des recompenfes qui devroient en être le fruit. On garde le filence fur ceux qui les ont faites, & on les attribuë à d'autres qui n'y ont eu aucune part. Mr. de Folard fe croit obligé de dépouiller quelques Officiers de la gloire de certaines actions d'éclat, dont ils jouïssoient tranquillement, & il eft fort injufte de lui en faire un crime. Il a l'attention de ne leur faire aucun reproche; il fe contente de narrer fimplement le fait ; enfuite il tâche de prouver par des témoignages, qui lui paroiffent irreprochables, qu'elles n'appartiennent point à ceux auxquels on les a attribuées, ou qui s'en font dit les auteurs.

La journée d'Almanza en 1707. fut très glorieufe au Maréchal-Duc de Berwick, qui jugea à propos d'en faire honneur au Marquis d'Asfeld, qui n'y avoit contribué en rien, & ne dit mot du Marquis d'Avarey, qui par une belle manœuvre fit gagner la bataille. Ce fecret hiftorique divulgué ne plut point au Maréchal, & le Marquis d'Asfeld jetta les hauts cris, fe voiant dépouillé d'une gloire dont il avoit jouï pendant 22. ans, voulut obliger le Chevalier de Folard de fe retracter. Ille refufa, étant bien affuré de la vérite du fait. Il écrivit au Marquis d'Avarey, dont la

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réponse confirma tout ce qu'il avoit avancé, & qui prouve que Mr. d'Asfeld n'avoit point tiré l'épée à Almanza. On distribua en peu de jours plus de 2000. copies de cette Lettre dans Paris & à la Cour, & Mr. de Folard eut foin d'en envoyer une à fon Ami de Hollande, qui la montra à diverfes perfonnes. Il nous apprend que dans la même année le Marquis de Goësbriand fauva Toulon par fa bonne conduite & fa bravoure, cependant on garda un profond filence fur cet important fervice. C'est le même Officier Général qui défendit ensuite la ville d'Aire avec tant de gloire, & qu'il ne rendit aux Alliés qu'après en avoir reçu trois ordres confécutifs de la part du Roi. ́Il`auroit soutenu un affaut général, & fes difpofitions étoient faites pour cela; mais on ne jugea pas à propos de lui faire tenir une quatriéme Lettre, par laquelle Sa Majefté remettoit toutes chofes à fa fageffe. La mode étoit paffée qu'un Gouverneur foutenoit trois affauts au corps d'une Place, comme il y eft obligé par les loix de la guerre; & la conduite du Marquis de Goësbriand en est d'autant plus digne de remarque.

Voici une affaire bien plus férieufe, que l'amour de la vérité & de la justice attira à Mr. de Folard. Il eut ocafion de parler dans fon Tome I. du fameux Combat de Denain, qui rele va la France prête à fuccomber, & fit 'évanouïr toutes les espérances des Alliés. Il nous apprit à ce fujet un fecret fort important: c'est que le projet de cette grande action avoit été formé par un homme de Robe de beaucoup d'efprit, qui connoiffoit parfaitement le Païs, ajoûtant qu'il faloit être auffi grand Général que Mr. le Maréchal de Villars pour l'exécuter avec autant de gloire. Celui-ci, qui avoit toujours regardé l'affaire de Denain comme fa couronne, fut irrité qu'on cût l'audace d'y porter la moindre atteinte, & ne voulant céder à aucun autre la plus petite portion de l'honneur de cette journée, il exigea une fatisfaction éclatante. Mr. de Folard cité à la Cour pour rendre compte de fa conduite, comparut devant le Miniftre de la Guerre, avec cette noble hardieffe que la vérité inspire à un honnê

te-homme, furtout lorsqu'il ne craint rien du reffentiment des Grands, & qu'il foule tout aux pieds, ambition & fortune. Il prouva ce qu'il avoit avancé fur la foi d'une Patente du Roi, qui avoit recompensé l'Auteur du Projet pour ce service rendu à l'Etat. Ainfi toute la réparation qui fut faite à Mr. le Maréchal, confifta en une Lettre de politeffe, dans laquelle Mr. de Folard l'affuroit qu'il n'avoit point eu la pensée de diminuer la gloire qui lui revenoit de la journée de Denain, qui avoit été le salut de la France; qu'il avoit donné à fes belles actions les plus grandes louanges dans fon Polybe; & qu'il feroit toujours difpofé à rendre à fon mérite & à fon habileté toute la juftice qui leur étoit duë. Il nous dit enfuite dans la Préface du Tome II. que tout le reproche qu'il avoit à fe faire dans cette affaire de Denain, c'étoit de n'avoir pas dit le nom de l'Auteur de cette entreprise. Il l'avoit appris de Mr. Voifin, en ce tems-là Miniftre de la guerre. Ce fut Mr. le Préfident le Fevre d'Orval, alors Con• feiller au Parlement de Cambray : fon plan fut goûté à la Cour; & le Maréchal de Villars, habile & éclairé comme il étoit, en fentit toute l'importance. L'exécution de ce projet de guerre qui demandoit une grande conduite, couvrit de gloire le Général ; mais celui qui en fait voir la poffibilité par l'intelligence des lieux, que le premier ne fauroit obferver par lui même, ne mérite-t-il pas quelque portion de cette gloire, quoique moins brillante? Mr. de Folard ne le penfe pas, & il ne pouvoit le fouffrir. Il trouvoit jufte que le nom de ce Magistrat paflât à la poftérité, & qu'il devint illuftre dans l'Hiftoire. A la bonne heure qu'on érige des Autels, qu'on célébre des Fêtes à l'honneur du Général, il y confent.de bon cœur, pourvu que le fuccès foit moins l'ouvrage de la fortune, que de la capacité. Le vulgaire juge d'ordinaire des grands événemens par le bonheur qui les accompagne & ceux qui les produisent; & les gens habiles eftiment fur-tout les moyens employés pour les conduire à une heureuse fin.

On lira avec grand plaifir les belles obfervations de notre ha

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