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que toutes les troupes fuffent arrivées, qu'à hazarder le combat; cela réfolu, il engage toujours l'affaire, & fit voir dans cette occafion par fa conduite, qu'il connoiffoit parfaitement le génie de la nation, à laquelle, violente & impétueufe comme elle eft, il ne faut pas donner le tems de réfléchir fur les dangers les plus évidens de la guerre. On vit auffi alors qu'aux efprits vifs & tout de feu, tel que le fien, les cas imprévûs & les réfolutions fubites font plus avantageufes & plus favorables, que les entreprises concertées de longue main, & fur tout dans les cas de furprise.

Pendant que les François fe difpofent à attaquer, & que l'infanterie groffit toujours, & par intervalles, une partie de la gauche de la cavalerie ennemie s'avanca fur celle de notre droite, où étoit Puyguion. Celui-ci lui va au-devant, & la charge l'épée à la main avec tant de furie, qu'il la rompt & la met en fuite, & fe met auffi-tôt à fes trouffes; mais pour s'être avancé un peu trop loin, & avec plus de précipitation que de prudence, il alla effleurer un grand corps d'infanterie & un régiment de grenadiers, & il fe vit accueilli d'une telle tempête de coups de fufils, qu'il fut obligé de faire retraite, & de revenir où le Maréchal le vouloit. Cette avanture favorifa le ralliment de ceux qui venoient d'être battus; ils remarchérent tout auffi-tôt aux nôtres, qui furent. repouffés à leur tour, & ramenés un peu vîte; mais comme ils étoient encore étonnés de notre premier avantage, & que notre infanterie avançoit, ils craignirent une femblable rencontre. Il ne fe paffa qu'un moment entre ce premier combat de cavalerie & celui de l'infanterie : la nôtre s'engagea avec plus d'ordre & de réfolution d'un côté comme de l'autre, tout ne donna pas en un même tems; les corps arrivant fucceffivement, & fans ceffe, les Généraux les menoient à la charge tout fur le champ; mais comme tout ce que faifoient les ennemis étoit plus confus, ce qui eft affez ordinaire dans les furprifes, on peut bien juger que tout cela rendoit la forme du combat fort diverse: car l'on ne pense guére aux régles du métier lorsqu'on entre en action à l'inftant qu'on arrive, chacun étant obligé de combattre, où il fe trouve, & fur le terrain que le hazard lui offre, plutôt que par choix, & l'on peut dire que cette action fut une fuite de plufieurs combats très-fanglans plutôt qu'une bataille ordinaire. Cette victoire, felon toutes les apparences, n'auroit jamais eu un jour de fête affigné, fi M. de Naffau n'cut rien négligé des précautions que la guerre nous enfeigne, au lieu qu'il n'en prit. aucune, tant il étoit rempli de l'opinion de fes forces, tant il méprifoit les nôtres & celui qui les commandoit; car il eft certain que fon armée étoit compofée de tout ce qu'il y avoit de régimens d'élite de l'infanterie & de la cavalerie des Alliés: cela parut affez dans le combat, qui fut très-long & très - obftiné; ce qui ne pouvoit être autrement à cause de leur grand nombre, car le Maréchal fe trouvoit plus foible de plus d'un tiers. A peine une brigade étoit-elle battuë, qu'il en fuccedoit auffi-tôt une autre qui recommençoit un nouveau combat contre des troupes, recruës, fatiguées & haraffées d'une marche forcée. La dixiéme légion, car c'eft ainfi que j'appelle le régiment de Navarre, & celui du Roi: chargérent à différentes reprises, pénétrérent & renverférent tout ce qui ofa fe préfenter à leur paffage, fans voir la fin ni le fond des corps qui fe fuccedoient, mais ce qui fauva la partie, outre la bonne conduite & la valeur du Maréchal, c'eft qu'il fit charger la baïonnette au bout du fufil, méthode excellente, la plus à craindre & la plus redoutable que nous puiffions oppofer à nos ennemis. C'est à elle que nous devons toutes nos victoires depuis plus d'un fiécle; c'eft pour l'avoir négligée dans la derniere guerre que nous avons fouvent eu du deffous. Je ne pense pas que qui que ce foit en puiffe difconvenir fans abfurdité. De là l'étonnement où étoient nos vieux Officiers en voiant la plupart de nos Généraux oublier cette pratique. Ceux qui font encore affez jeunes pour commander nos armées à la premiére guerre, ou ceux que leur naiffance conduit à cet honneur, font exhortés, outre l'étude de leur métier,

fans laquelle on fe deshonore, de s'imprimer bien profondément dans la tête, que les Condés & les Turennes, qui font nos maîtres, ne combattoient pas autrement & battoient toujours. Ne font-ce pas là de grandes autorités, quand nous n'en aurions pas d'autres? Eft-ce que ceux d'aujourd'hui en favent plus que ces grands hommes? Ils font trop modeftes pour croire les furpaffer. Finiffons cette digreffion, (dont je n'ai pû me paffer) par la maxime de Lucullus.

Ce grand Capitaine, avant que de donner la bataille contre Tigrane, dit à fes foldats qu'il falloit joindre d'abord l'ennemi, accoûtumé à ne combattre que de loin, en fe fervant de ses fléches, & lui enlever, par la viteffe & par la célérité de l'attaque & du choc, l'efpace qui lui donnoit le moien de s'en fervir. Nos armes à feu font-elles autre chofe que des armes de jet comme l'arc & la fléche? Nos Généraux feront bien de ne faire aucun autre compliment à leurs foldats avant le combat, & de leur inculquer bien fortement dans la mémoire, & fans ceffe, ainsi qu'à leurs Officiers, que le François a toujours raifon de fon ennemi, lorsqu'il le peut joindre fans tirer, & avec la feule arme blanche, tant l'abord du François eft vif, dangereux & redoutable.

des

Le Maréchal de Tallard fit très-bien de prendre un parti fi fùr & fi digne de la nation; car nos ennemis, quoique braves, mais plus flegmatiques dans les combats de main, qu'ils esquivent autant qu'ils peuvent, perdirent dans cette bataille tout l'avanta ge qu'ils croioient trouver dans leur feu, la chofe du monde la plus méprifable contre gens qui d'abord courent deffus. Ils furent battus, terraffes & chaffés hors du champ de bataille avec toute la confufion des gens qu'on taille en pièces, leurs bagages, leurs munitions, leur artillerie, furent la proie du victorieux: & un fi grand nombre de drapeaux, qu'on peut bien pardonner l'hyperbole du Maréchal de Tallard dans fa lettre au Roi, après cette grande victoire: Nous avons pris plus de drapeaux & d'étendarts, que Votre Majefté n'y a perdu de foldats. Hors ce dernier article, il ne faut pas douter que la lettre du Romain au Sénat ne fût d'un femblable ftile après fa victoire d'Adis, qui ne fut pas moins complette que celle de Spire; mais la campagne fuivante nous fait voir dans tous les deux un revers épouvantable: on les vit battus, atterrés, réduits à rien, & prifonniers de guerre. La difgrace de l'un fait que les Romains abandonnent l'Afrique, & celle de l'autre fait évanouir nos defleins & nos armées en allemagne. Les vertus du Romain ne touchent point un peuple barbare, qui n'en connut jamais aucune dans fes ennemis, non plus que dans fes Citoiens du plus grand mérite. Régulus périt dans fa prifon pour les intérêts & la gloire de fa patrie. Le François tomba entre les mains d'un ennemi, qui favoit refpecter dans les autres les vertus & les belles qualités dont il étoit fi rempli lui-même, & fa prifon fut plus utile à fon païs par la défection de l'Angleterre, dont il fut lui feul l'auteur, que tout ce qu'il avoit fait de glorieux en fa vie.

Il eft difficile, ou plutôt prefque impoffible, de trouver un Général irréprochable, pur & net de tout défaut dans l'éxécution des entreprises de grande importance:fi celui d'Adis ne domme aucune prise à la glose des experts, il ne leur cût pas fans doute échapé, fi l'ignorance des Généraux Carthaginois n'eût été extrême. Un habile hom me peut-il jamais broncher contre un très-mal habile, dont les fautes font de telle nature, que la valeur & l'intrépidité de fes troupes ne peuvent les réparer? En un mot je ne vois rien dans la conduite des Romains qui puiffe fournir à cette glofe; je ne vois rien non plus, ou prefque rien à reprendre dans la conduite du Maréchal à Spire. Ceux qui ont lu les lettres qui ont été écrites de l'armée fur cette grande action, le prétendent pas ainfi. S'il furprit M. de Naffau, difent-ils, il ne fut pas moins furpris lui-même. Tous les deux font un coup fourré. De deux hommes qui fe battent, l'un eft tué & l'autre en échape, font-ils moins maladroits pour cela?

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Ces reproches ne pouvoient venir que de fes envieux & des jaloux de fa gloire, s'ils font quelque illufion, ce ne fera pas fans doute fur l'efprit des gens du métier & capables de juger, avec connoiffance, d'une entreprise toute de conduite comme celle-ci. Il faut, pour en décider, être un peu plus fourni de lumiére que ces envieux ne le font pour l'ordinaire, car il eft rare que ces fortes de gens n'en foient pas entiérement dépourvûs. Pour bien connoître cette illufion, il ne faut pas tant confidérer ce qu'a fait le Maréchal, que ce qu'il a pû faire, & les moiens qu'il a eus en main pour éxécuter ce qu'il a voulu. Le Romain & le François n'ont rien négligé de ce qui dépendoit de leur intelligence, ni rien oublié des expédiens qui pouvoient les conduire au but qu'ils s'étoient propofé. Ils y font parvenus par cela feul. Le premier n'avoit qu'un feul deffein en tête, & l'autre en avoit deux. Si je ne préviens l'ennemi fur le bord du Spirbak pour en défendre le paffage, difoit le Maréchal, je le trouverai fans doute occupé à paffer cette riviére: je le furprendrai infailliblement dans cette manœuvre; ce qui fe trouvera en deçà ne peut éviter d'être défait, & ce qui fe trouvera en délà n'a qu'à s'en retourner. S'ils font tous dans la plaine, mon parti & mes mefures font prifes, le bon ordre & non la fortune en décidera. Il tint parole. On peut voir par ce que je viens de dire, que le Général François ne fe repaiffoit pas d'illufions & de vaines efpérances en raifonnent de la forte: & ces fortes de deffeins doubles ne viennent guéres à l'efprit d'un Capitaine d'une capacité & d'une intelligence médiocres. S'il manqua dans fon premier deffein, & s'il déclina un peu du droit chemin à l'égard de l'autre, pour être parti une heure plus tard, il ne perdit pas beaucoup de fes avantages. Quoiqu'il ait trouvé les ennemis tous paffés, il ne les furprit pas moins, & s'il le fut en quelque forte lui-même, il eut le tems de fe reconnoître, de former une bonne ligne, d'attaquer le premier, & de profiter du défordre de ses ennemis, qui ne penfoient à rien moins qu'à le voir fi près d'eux.

Je prie que l'on faffe attention à ce que je vais dire. Il fufit que les Généraux & les foldats ne s'attendent pas à certains événemens, qu'ils n'en aient pas la moindre penfée, qu'ils préfument beaucoup de leurs forces, & qu'ils méprifent celles de l'ennemi, pour tomber dans la crainte & dans l'étonnement. Cela arrive fur tout lorfque marchant en intention de combattre un ennemi, qu'on fait enfermé & terré dans fes lignes, on le voit tout à coup paroître en rase campagne & à vifage découvert, & donner avec toutes fes forces. Ils ne peuvent s'empêcher de croire que leurs Généraux les ont trompés, ou qu'ils fe font trompés eux-mêmes. Dans la penfée où ils font que l'ennemi ne prendroit jamais un tel parti, s'il n'avoit de très-grandes reffources & des moiens qui leur font inconnus, ils fe défient du fuccès de leur entreprise, de leur nombre, de leur courage & de leurs Chefs.

Il fe pourra trouver des perfonnes qui auroient peut-être fouhaité que je me fuffe un peu moins étendu fur le détail & les circonstances de cette action de Spire; ils me permettront de les avertir que cela n'eft pas fait pour eux, mais pour un certain ordre d'hommes à qui ces fortes de chofes font un très-grand plaifir. D'ailleurs cette bataille n'a pas été rapportée avec l'éxactitude qu'elle mérite dans les relations qui en ont été faites: outre qu'elle quadre affez bien au fujet que je traite, elle eft de plus trés-rare dans fon espéce, & très-digne de l'expérience & de l'habileté du Général qui en a eu tout l'honneur: elle a dû donc produire des remarques & des réfléxions un peu étenduës. Lorfque ces fortes de cas fe préfenteront, on me permettra de me donner carriére de toutes les façons, autant pour ma propre inftruction que pour celle

des autres.

Quoique la bataille d'Adis fût beaucoup plus rufée & d'une conduite admirable, elle pouvoit tout aufii-bien échouer que l'autre, fi les deux Généraux cuflent cu en

tête des ennemis d'une prévoiance & d'une expérience un peu moins bornée. Il faut cependant avouër que la défaite du premier lui eût été toujours glorieufe. On eût dit qu'aiant fait tout ce qui dépendoit de l'habileté d'un Capitaine fin, rufé & entreprenant, il méritoit de réuffir. Nous ne tiendrions pas, je penfe, un femblable langage à l'égard du fecond, il prêtoit un peu plus le flanc à la glofe fans la mériter. Ön voit par ce qui préceda cette grande action, quel eft le poids & la force d'un feul moment à la guerre, & par conféquent de plufieurs momens; car pour être parti une heure ou une demie heure plus tard, ce qu'il ne pouvoit éviter, il faillit à tout perdre, s'il n'eût réparé ce contre-tems, qui ne fembloit rien, par la grandeur de fon courage & par fa conduite. Apprenons de là qu'un habile Général n'est jamais furpris, Paffons maintenant aux fautes des Généraux Carthaginois.

S. V.

Faute des Généraux Carthaginois. Il ne faut approcher d'une place affiégée que dans le deffein de la délivrer par quelque action de vigueur. Secours de Douai.

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L eft évident que les Carthaginois ne fe déterminérent à traverser les montagnes I moins par les obftacles qu'ils rencontrérent dans leur entreprife, que par leur ignorance, & plus encore par leur lâcheté.

La préfènce de l'ennemi, dans un Chef habile & véritablement courageux, lui ouvre l'efprit, & lui fournit des reffources infinies, aufquelles fans cela il n'auroit jamais penfé. Elle produit un effet tout contraire dans un malhabile & un lâche; il ne voit que dangers & qu'embarras dans fon entreprife: de là naît l'incertitude & l'indétermination; il ne fait quel confeil prendre, & cependant le tems s'écoule, & toutes ces belles réfolutions prifes loin du péril s'évanouiffent & s'en vont en fumée.

Si les Généraux Carthaginois n'euffent été dans le deffein de fecourir la place par une action d'éclat, fe fuflènt-ils expofés à être attaqués dans ces défilés, en cas que les Romains avertis fuffent tombés fur leur marche? Et s'ils avoient un tout autre deffein, comme ils ne l'eurent jamais, ce qu'on ne remarque que trop par leur miferable conduite, ils euffent très-embaraffé Régulus dans fon fiége. Peut-être n'en fùtil pas forti à fon honneur. Ce deffein eft aifé à comprendre: il n'y en avoit pas de plus efficace que de tenir la campagne, de fe faifir de tous les paffages des montagnes, de répandre leur cavalerie dans les plaines, de referrer les alliégeans & les inquiéter dans leurs fourrages, d'intercepter leurs convois, de couper la communication qu'ils avoient avec Afpis, d'où ils tiroieut leur fubfiftance, & de les bloquer par mer & par terre en cas qu'ils n'en pûffent pas faire le fiége. Quand même ils n'auroient fait ni l'un ni l'autre, ils obligeoient les Romains de lever leur fiége, ou du moins ils le retardoient; ce qui eft toujours mieux & plus honorable que de ne rien faire, & de finir par une honteufe défaite.

Il est toujours honteux de marcher au fecours d'une place affiégée, fi l'on n'eft dans la réfolution de la délivrer par quelque action de vigueur: fi l'on fait le contraire de ce qu'on s'eft réfolu, rien ne nuit davantage à notre réputation, & les conféquences d'une telle conduite font toujours dangereufes. La crainte de l'ennemi se tourne peu à peu en mépris, & ce mépris produit à la fin des coups de réfolution, aufquels on ne fe feroit jamais attendu. Régulus nous en fournit un bel éxemple, & cet éxemple n'eft pas le feul: l'Hiftoire eft toute remplie d'événemens tout femblables à celui d'Adis. Si l'ennemi ne tente rien fur nous, il preffe fon fiége autant qu'il lui eft pof

fible, & fon courage augmente à proportion de la crainte qu'il remarque en nous. Les affiégés qui nous voient dans une honteuse inaction, & fpectateurs de leurs miféres & de leurs périls, fe laiffent abattre, perdent tout espoir d'être fecourus; & lorfque la place eft rendue, on répand fur le Général les reproches les plus chagrinans. Cela lui fait fouvent beaucoup plus de deshonneur qu'il n'y en a, lorsqu'il fe trouve lié par les ordres de la Cour, qui l'empêchent de rien hazarder. Un Général fe trouvant bridé de la forte, feroit beaucoup mieux, pour fon honneur, de s'éloigner du fiége que de s'en approcher. Car en s'en approchant, fans aucun ordre de com battre, on s'expofe à combattre au gré de l'ennemi, & non pas au nôtre; ce qui eft un très-grand defavantage.

Le Maréchal de Villars s'expofa terriblement en marchant au fecours de Douai en 1710. fi le cœur en cût dit aux Généraux Alliés, ou pour mieux dire, s'ils euffent connu leurs avantages. Le Général François avoit apparemment des ordres précis de ne point combattre, autrement la démarche qu'il fit ne ferviroit qu'à nous convaincre, que l'on ne peut pas être homme, & ne pas quelquefois fe démentir. Car indépen damment de ces ordres, il femble qu'il fit une faute de s'être fi fort approché de l'ennemi: peut-être le fit-il à deffein, pour lui donner envie de l'attaquer & de combattre en rafe campagne, fans qu'on pût lui imputer d'avoir outrepaffé fes ordres. L'éxemple ne déplaira pas aux gens du métier, par la raifon de fa fingularité & des inftructions qu'il renferme: l'on y verra même que Milord Marlborough, que l'on a comparé à Céfar dans fa guerre des Gaules, quoiqu'il n'en approchât pas de cent licues, tout habile & tout éclairé qu'il étoit, ne laiffoit pas que de broncher quelquefois auffi lourdement que bien d'autres qui en favoient moins que lui.

Les Alliés voiant qu'il leur feroit difficile de réuffir dans le deffein qu'ils avoient de pénétrer en France, fi Douai ne leur en ouvroit les routes, firent tous les préparatifs néceffaires pour une fi grande entreprise. Il y avoit de très-grands obftacles à furmonter. La Deule étant par tout impraticable, & bordée de marais en deçà, & plus cncore en de-là, l'ennemi n'en pouvoit approcher que par quelques chauffées trèsétroites: ajoutez à cela qu'il leur falloit forcer un très-bon retanchement, ouvrage de la campagne précédente, & qui regnoit tout le long des bords de la riviére. D'un autre côté nous avions, pour nous défendre, des avantages infinis, mais nous ne les reconnûmes pas, quoiqu'ils nous euffent paru très-redoutables, fi nous euffions été à la place des ennemis. Ceux-ci ne doutérent jamais que nous ne nous portaffions fur la Deule pour en défendre le paffage; car à ne juger de ce pofte que par les principes de la lumiére naturelle, ce parti devoit être le feul que nous dûffions prendre pour rendre tous leurs efforts inutiles. Sur ces confidérations ils ne virent rien de mieux à faire, pour réuffir dans un deffein de cette importance, que de nous prévenir fur cette riviére par une campagne prématurée, qui ne nous donnât pas le tems d'affembler toutes nos forces, ou du moins un corps affez puiffant pour nous opposer à tout ce qu'ils pouvoient tenter fur un front de deux ou trois lieuës.

Le Maréchal de Montefquiou, qui commandoit fur la frontiére de Picardie, aiant informé la Cour que l'armée des Alliés s'affembloit à Fromion, entre Lille & Tournai, on jugea bien qu'elle alloit tomber fur Douai pour en faire le fiége. Ce Général fe met en campagne avec un corps de troupes très-confidérable, il n'y avoit perfonne qui ne crût qu'il fe porteroit fur nos lignes de la Deule, & qu'il attendroit les ennemis dans un pofte fi vifiblement inabordable. Il n'en fit rien. Il n'eft cependant pas poffible qu'habile & éclairé comme il étoit, il ne fe fùt pas apperçû de la facilité où il fe trouvoit de s'oppofer à tous les mouvemens des ennemis, & de les prévenir par tout où ils pouvoient le porter, & qu'au contraire ceux-ci avoient des mouvemens infinis à

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