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La diffenfion s'étant mife entre les citoiens de Syracufe & leurs troupes, celles-ci s'arrêtant autour de Margane, élurent pour chefs Artémidore & Hiéron, qui dans la fuite les gouverna. Le dernier étoit alors fort jeune à la vérité, mais d'une prudence & d'une maturité qui annonçoit un grand Roi. Honoré du commandement, il entra dans la ville par le moien de quelques amis, & maître de ces gens qui ne cherchoient qu'à brouiller, il fe conduifit avec tant de douceur & de grandeur d'ame, que les Syracufains, quoique mécontens de la liberté que s'étoient donné les Soldats, ne laifférent pas de le faire Préteur d'un confentemet unanime. Dès fes premiéres démarches, il fut aifé de juger que ce Préteur afpiroit à quelque chofe de plus qu'à cette charge. En effet voyant qu'à peine les troupes étoient forties de la ville, que Syracufe étoit troublée par des efprits féditieux & amateurs de la nouveauté, & que Leptinés diftingué par fon crédit & fa probité avoit pour lui tout le peuple, il époufa fa fille, dans le deffein d'avoir toujours dans la ville par cette alliance un homme fur lequel il pût compter, lorsqu'il feroit obligé de marcher à la tête des armées. Pour fe défaire enfuite (a) des vétérans étrangers, efprits remuants & mal

(a) Pour fe défaire enfuite des vétérans étran gers.] De la corruption des moeurs au mépris des loix militaires, il n'y a qu'un pas à faire; & lorfque les châtimens ne fuivent pas de près les fautes de cette nature, on paffe bientôt à l'infolence qui s'accroît par l'impunité, d'où nait l'efprit de faction & de révolte. Cela va par dé grés. Lorsqu'un corps de mutins s'est déclaré par quelque coup d'éclat, c'eft un mal fans remedc, non dans un peuple corrompu & factieux dout les interêts font divifés & qui ne va pas du même branle, mais dans une milice corrompuë; & fi on le remarque bien, le mal commence toujours par les Officiers dont la négligence, la débauche & le luxe font les plus grands maux d'un Etat. Les foldats qui voient de telles gens à leur tête les méprifent; la défobéiffance eft u ne fuite de ce mépris, & les révoltes fuivent la défobéiffance. Le fupplice de quelques-uns des plus mutins n'eft d'aucun effet parmi un fi grand nombre de coupables. Hiéron comprit bien aifément qu'il n'en feroit jamais le maître, qu'ils étoient trop bien unis, & que le châtiment des plus coupables ne manqueroit pas d'irriter le refte,

Il n'ignoroit pas que les foldats n'avoient au. cun droit à l'élection des Magiftrats, & qu'aiant été affez hardis pour s'arroger un pouvoir qui ne leur appartenoit pas, il n'y auroit rien dont ils ne fuffent capables, fi quelqu'autre auffi anbitieux que lui, s'avifoit d'employer les mêmes moiens de corruption pour fe faire élire & fe mettre en fa place. Cela lui parut de telle importance & pour les intérêts & pour ceuxde la

République, qu'il réfolut d'exterminer cette mílice factieufe, dont la licence & l'efprit de rebellion ne pouvoit que corrompre les autres & les porter à prêter l'oreille à de plus grands changemens. 11 en vint à bout par fon efprit & par fon adreffe: éxemple qui eût dû fervir de leçon aux Empereurs Romains pour les garentir des Cohortes Prétoriennes, lorfqu'ils s'apperçûrent que la difcipline militaire fe relâchoit par la licen ce de Rome; au lieu qu'ils augmentérent le mal pour en avoir négligé le remede, foit par la crain te de remuer les efprits par une trop grande févérité, on qu'en les rappellant à l'observation des loix militaires & à leur ancienne vertu, l'horreur de tant de crimes & leur tirannie ne les portaf. fent à fe défaire de tels maîtres, pour en délivrer Rome & le genre humain. Il falloit à ces monftres des gens qui les imitaffent dans leurs vices. C'eût été une espece de miracle qu'un corps de troupes qui ne bougeoit d'une capitale, pût fe conferver pur au milieu d'une cour diffoluë. Ce corps devint en peu de tems le réceptacle & l'a zile d'une foule de fcélérats, de traîtres, de voleurs & d'affaffins. Ils portérent fi loin leur audace qu'ils égorgeoient leurs Empereurs pour en mettre d'autres en leur place, la plupart auffi lâches, auffi cruels & plus diffolus que leurs foldats. Ce qu'il y a de plus étrange, c'eft qu'après la mort de Sévére, ceux qui l'avoient égorgé, mirent l'Empire à l'encan & firent crier du haut du rempart de leur camp que l'Empire Romain étoit à vendre au plus offrant, & il trouva un acheteur, qui fut enfuite traité comme les autres. Rien n'étoit plus aifé que de s'en débaraffer. On

intentionnés, il mena l'armée contre les Mamertins comme contre des Barbares qui occupoient Melline. Campé auprès de Centoripe, il range fon armée en bataille le long du Cyamozore, tenant à l'écart la cavalerie & l'infanterie Syracufaine comme s'il en eût eu affaire dans un autre endroit. Il n'oppofe aux Mamertins que les foldats étrangers, les laiffe tous tailler en pièces, & pendant le carnage il retourne tranquillement à Syracufe avec les troupes de la ville. L'armée ainfi purgée de tout ce qui pouvoit y caufer des troubles & des féditions, il Teva par lui-même un nombre fuffifant de troupes à fa folde, & remplit enfuite paifiblement les devoirs de fa charge. Les Barbares fiers de leurs premiers fuccès fe répandant dans la campagne, il marcha contre eux avec les troupes Syracufaines qu'il avoit bien armées & bien aguerries, & leur livra la bataille dans la plaine de Mile fur le bord du Longanus. Une grande partie des ennemis refta fur la place, & les Chefs furent pris prifonniers. Retourné à Syracufe, il y fut déclaré Roi par tous les alliés.

nent le

La perte de cette bataille jointe à la prife de Rhége dérangea entié- Les Me rement les affaires des Mamertins. Les uns eurent recours aux Cartha- mertins ginois, aufquels ils fe livrérent eux & leur citadelle. Les autres aban- implo donnérent la ville aux Romains, & les firent prier de venir à leur fe- obtiencours: grace, difoit-on, qu'ils ne pouvoient refufer à des gens qui poure étoient de même nation qu'eux. Les Romains hélitérent longtems fur des Roce qu'ils répondroient. Cette demande leur parut d'abord tout à fait mains. déraifonnable. Après avoir puni avec une extrême févérité leurs propres citoiens pour avoir trahi les Rhéginois, ils ne pouvoient avec juftice envoier du fecours aux Mamertins, qui s'étoient emparés par une femblable trahifon non feulement de Meffine, mais encore de Rhége; d'un autre côté il étoit à craindre que les Carthaginois, déjà maîtres de l'Afrique, de plufieurs Provinces de l'Ibérie & de toutes les Illes des mers de Sardaigne & de Tyrrhénie, s'emparant encore de la Sicile, n'envelopaffent toute l'Italie & ne devinffent des voisins formidables, & l'on voioit clairement qu'ils fubjugueroient bientôt cette Ifle, fi l'on ne fecouroit les Mamertins. Melline leur étant abandonnée, ils ne tarderoient pas longtems à prendre Syracufe. Souverains, comme ils étoient, de prefque tout le refte de la Sicile, cette expédition leur devoit être aifée. Les Romains prévoiant ce malheur & jugeant qu'il ne falloit pas perdre Meffine, ni permettre aux Carthaginois de fe faire par là comme un pont pour paffer en Italie, furent longtems à délibé

eût pû les dépaïfer & les envoier dans les armées, avec ordre aux Généraux des les exterminer.

Il y a quelques Empereurs Turcs qui ont cher ché à détruire leurs Janiffaires par un femblable fecret que celui de Hieron : s'ils n'ont pas réüffi, ils ont dû s'en prendre à leur lâcheté; car pour

imiter le Roi de Syracufe il faut en avoir le cou-
rage & la prudence; ce n'eft pas affez, on doit
les mener foi-même à la guerre, les précipiter
dans le piége, fans qu'il y paroiffe & fans s'y
laiffer prendre.

Défaite

cufains

& des

ginois.

rer. Le Sénat même partagé également entre le pour & le contre, në
voulut rien décider. Mais le peuple accablé
par les
guerres précédentes
& fouhaitant avec ardeur de réparer fes pertes; pouffé encore à cela
tant par l'intérêt commun, que par les avantages dont les Préteurs fla-
toient chaque particulier, le peuple, dis-je, fe déclare en faveur de
cette entreprise & l'on en dreffa un plébifcite. Appius Claudius, l'un
des Confuls, fut choifi pour conduire le fecours, & on le fit partir
Melfine. Les Mamertins auffitôt, partie par menaces, partie par
pour
furprise, chafférent de la citadelle le Préteur qui y commandoit de la
part des Carthaginois, appellérent Appius & lui ouvrirent les portes
de la ville; & l'infortuné Préteur, foupçonné d'imprudence & de là-
cheté, fut attaché à un gibet.

Les Carthaginois, pour reprendre Meffine, firent avancer auprès des Syra du Pélore une armée navale, & placérent leur infanterie du côté de Sénes. En même tems Hiéron profite de l'occafion qui fe préfentoit de Cartha chaffer tout à fait de la Sicile les Barbares qui avoient envahi Mefline, il fait alliance avec les Carthaginois, & auflitôt part de Syracufe pour les aller joindre. Il campe vis-à-vis d'eux proche la montagne nommée Chalcidique & ferme encore le paffage aux affiégés par cet endroit. Cependant Appius Général de l'armée Romaine traverse hardiment le détroit pendant la nuit (a) & entre dans la ville. Mais la voiant

(a) Cependant Appius Général de l'armée Romaine trauverse hardiment le détroit pendant la nuit.] Ce paffage des Romains en Sicile n'a rien de remarquable dans notre Auteur, que le bonheur de leur Général, qui traverfe un detroit à la faveur des ténébres & de lanégligence du Général Carthaginois.

S'il faut s'en rapporter à Frontin, cette entreprise du Conful eft bien plutôt le fruit de la fageffe & de l'habileté de ce Général que l'ouvrage de la fortune. Il dit que ne pouvant paffer le détroit de Meffine, occupé par les Carthaginois, il fit mine d'abandonner cette entreprise & de retourner du côté de Rome avec tout ce qu'il avoit de troupes de débarquement, que fur cette nouvellle les ennemis qui bloquoient Meffine du côté de la mer, s'étant retirés comme s'il n'y avoit plus rien à craindre, Claudius revira de bord & paffa fans danger. Ce ftratagême me paroît trèsvraisemblable. Il ôte par là ce qu'il y avoit d'imprudent dans cette entreprife, & releve la gloire des Romains, fans rien diminuer de l'imprudencc de l'Amiral' Carthaginois.

Quelques Auteurs prétendent qu'Appius paffa ce détroit fur des radeaux, je ne fai für quel fondement, à moins qu'ils n'aient pris rates pour un radeau. S'ils l'ont fait pour rendre cette action plus merveilleufe, ils ne pouvoient mieux choifir: mais ils n'ont pas pris garde que le merveilleux paffe le romanetque. Ceux qui connoif

fent le détroit dǝ Meffine, & les dangers qu'il y a à éviter dans ce paffage, conviendront qu'il eft impoffible que des radeaux puiffent y naviguer. Suppofant même que cela fe puiffe, ç'eût été une grande folie à Claudius, de s'embarquer fur de tels bâtiments dans une conjoncture fidélicate? il falloit épier le tems & l'occafion, & ufer d'une extrême diligence pour pafer promptement le détroit & fe dérober à la vigilance de l'armée ennemie; cela fe pouvoit-il faire avec des bâtimens fi endormis? outre que le trajet de Rhége à Meffine eft de plus de cinq lieuës? à peine eût-il pû le paffer en vingt-quatre heures avec de tels bâtiments. Je laiffe à penfer ce qu'il en fe roit arrivé.

Les Auteurs Latins, qui fe font fervis du terme de rates, nont jamais prétendu que ce fuffent de véritables radeaux:mais fuppofé qu'ils euffent pris le terme fur ce pied-là, ils ne fe feroient pas moins trompés. Ils pourroient bien avoir pris cette imagination de Thucydide pour embellir cet endroit de la premiere guerre Punique; cet Auteur par lant douteufement des premiers habitans de la Sicile, dit que ceux qu'on nomme proprement Sici

ens font paffés d'Italic fur des radeaux dans un tems calme, ou de toute autre façon. Cela peut fe faire lorsqu'on n'a aucun ennemi à craindre & qu'on prend une toute autre route que celle de Claudius. On fe fouviendra de la guerre de Spartacus, qui employa vainement des radeaux pour

preffée de tout côté, & faifant réflexion que ce fiége pourroit bien ne lui pas faire d'honneur, les ennemis étant maîtres fur terre & fur mer; pour dégager les Mamertins, il fit d'abord parler aux Carthaginois & aux Syracufains: mais on ne daigna pas feulement écouter ceux qu'il avoit envoiés. Enfin la néceffité lui fit prendre le parti de hazarder une bataille & de commencer par attaquer les Syracufains. Il met fon armée en marche, il la range en bataille & trouve heureusement Hiéron difpofé à fe battre. Le combat fut long, Appius remporta la victoire, repouffa les ennemis jufques dans leurs retranchemens, & après avoir abandonné la dépouille des morts aux foldats, il reprit le chemin de Melline. Hiéron foupçonnant quelque chofe de finiftre de cette affaire, la nuit étant venue, retourna promptement à Syracufe. Cette retraite Retraite rendit Appius plus hardi; il vit bien qu'il n'y avoit pas de tems à per- ron. dre & qu'il falloit attaquer les Carthaginois. Il donne ordre aux foldats de fe tenir prêts, & dés la pointe du jour il va droit aux ennemis, en tue un grand nombre, & contraint le refte de fe fauver dans les villes circonvoifines: puis pouffant fa fortune, il fait lever le fiége,

d'Hié

plus haut, & des bâtiments de transport deux
lignes plus bas, la contradiction me parolt mani-
fefte. Comment cela fe peut-il faire ; & comment
peut-on avancer qu'Appius foit l'inventeur des
vaiffeaux de charge? II falloit que l'Auteur dont
l'Abbé de Vertôt a tiré cette belle découverte
fût bien ignorant. Les Marchands fe fervoient.
ils d'autres vaiffeaux que de ceux de charge?
Plufieurs fiécles avant que les Romains fuffent au
monde, voioit on d'autres bâtiments dans les
ports de l'Italie ? A deux pas d'ici Polybe va nons
apprendre fi Appius paffa fur des radeaux. Les
Romains n'avoient pour faire paffer leurs trou-
pes à Meffine, dit-il, ni vaiffeaux pontes, ni de
tranfport, pas même une félouque: mais feulement
des bâtimens à cinquante rames, & des galères
à trois bancs, qu'ils avoient emprunté des Taren-
tins, des Locres, des Eleates & des Napolitains.
Ce fut fur ces vailleaux qu'ils oferent transporter
leurs armées lorfqu'ils traverferent le détroit. Cela
n'est-il pas bien clair? Après cela qui ne riroit
de cette traversée fur des radeaux & du nom de
guerre d'Appius? Cette attribution ne vint jamais
de la fource dont on la tire. Le terme de Cau-
dex ne fignifie pas plus un affemblage groflier
de plufieurs planches pour faire des barques oa
des navires de tranfport, qu'un homme lourd
& impoli, & ce furnom de Caudex pourroit
bien être le véritable d'Appius, quoiqu'en dife
Sénéque. Combien voit-on de gens qui paroif-
fent avec de tels dehors, qui ont pourtant l'ame
& le cœur très-élevés & des qualités éminentes
ou pour la guerre ou pour toute autre chofe.
Encore une fois je ne faurois me perfuader, qu'on
fe foit fervi du furnom de Caudex qu'au fens
que je lui donne.

le paffer. Il fe pourroit bien que le terme de rates fignifiât un radeau plutôt qu'un vaiffeau, au moins je l'ai vû en ce fens dans Florus. Mais ce même Auteur ne dit pas un mot du paffage des Romains fur des radeaux. Un auffi habile abréviateur que lui auroit-il laiffé paffer un fait de cette importance, s'il en eût été perfuadé? Il ne l'ignoroit peut-être pas: mais il le regardoit comme un conte populaire. Cependant l'on voit des Savans qui le débitent tout bonnement & comme véritable. On ne doit faire honneur à certains faits qu'en ces deux cas; l'un lorfqu'il n'y a rien de romanefque ou qui ne foit très-vraifemblable, & l'autre lorfqu'on veut s'en mocquer & les tourner en ridicule: mais, dira-t-on, à quoi eft-ce qu'Appius doit fon nom de guerre de Caudex? L'Abbé de Vertot nous l'explique, mais d'une maniere dont on ne fauroit s'empêcher d'être un peu furpris. Il dit que ce Général fut le premier qui à la faveur de quelques radeaux fit paffer des troupes dans la Sicile, ce qui lui fit donner le furnom de Caudex, comme aiant trouvé l'art de lier enfemble des planches pour en faire des vailleaux de transport. Je voudrois bien favoir où cet habile Ecrivain a trouvé cela. S'il l'a trouvé, je n'aurois pas voulu le mettre en vogue. Ne diroit on pas en lifant ce paffage qu'Appius étoit longtems avant le déluge, & que perfonne avant ce Général ne s'étoit avifé de monter fur mer & de naviguer fur d'autres bâtiments que fur des ra deaux, & qu'on devoit à lui feul l'invention des vaiffeaux de tranfport: mais ce n'eft pas là où je trouve le plus à redire. L'Abbé de Vertot fuit fon Auteur. Il veut que les Romains aient paffé en Sicile fur des radeaux; j'y confens: mais que ces radeaux, fur lefquels le Romain fit paffer fes troupes fuffent des radeaux deux lignes

il ravage les campagnes des Syracufains & de leurs alliés, fans que perfonne ofât lui réfifter, & pour comble met enfin le fiége devant Syracufe.

S1

OBSERVATIONS.

Sur les deux combats de Meffine.

S. I.

Raifons de la première guerre des Romains contre les Carthaginois.

nous éxaminons les motifs qui portent les Romains à paffer en Sicile, le fiége de Meffine ne fut qu'un prétexte: mais le véritable fujet fut la conquête de cette Itle. Tous les Hiftoriens s'accordent à dire que cette guerre fut injufte. Je n'en vois pas la raison. Il eût fallu pour la rendre telle, que Hiéron & les Carthaginois, & particuliérement ces derniers, euffent cû quelque droit fur la Sicile & fur les Mamertins. Il n'en avoient point d'autre que celui de la bienféance. Sur ce principe on ne devoit les regarder qu'en qualité d'ufurpateurs. Si les Romains n'euffent pas entrepris cette guerre, je doute qu'ils cuffent pû fe conferver la conquête de l'Italie, qu'ils cuffent pu fe conferver eux-mêmes. Quand je confidére cette guerre, il me femble que leur paffage en Sicile & le fecours donné à ceux de Meffine, eft comme le premier pas qui devoit les conduire un jour à ce haut point de gloire & de grandeur où ils parvinrent dans la fuite.

Une faute, qui femble d'abord de peu de conféquence, fut la caufe éloignée de la ruine de Carthage & de la puiffance des Romains; car les fautes laiffent des queuës fort loin dans l'avenir. En effet fi les Carthaginois euffent marqué un peu moins de négligence à bloquer Meffine du côté de la mer avec leurs forces navales, Claudius échouoit dans fon entreprife. La conquête de cette ville enlevoit aux Romains tout moien de paffer en Sicile. Ils n'avoient ni vaiffeaux, ni matelots, ni aucune connoiffance de la marine. Ils n'y euffent peut-être jamais penfé fans cette avanture. Les Carthaginois fe feroient non feulement emparés de Meffine; mais ils fe fuffent encore rendus maîtres de toutes les villes fur lefquelles ils n'avoient pas encore ofé entreprendre; & par cette conquête, qui leur ouvroit celle de la Sicile, les Romains fe trouvoient auffi peu en état de paffer dans cette Ifle & d'attaquer les Carthaginois, que de fe défendre dans leur propre païs, contre une puiffance qui vraisemblablement n'en fut pas demeurée-là. La prife de Meffine leur ouvroit un paffage en Italie & les mettoit en fituation de tout tenter.

Les Romains s'apperçûrent bientôt du danger qui les menaçoit; plufieurs raifons les déterminérent à cette guerre. La juftice de leur caufe, leur propre falut, celui de leurs alliés & leurs intérêts particuliers, qui ne gâtent rien lorfqu'ils font joints au refte; on peut mettre encore en ligne de compte l'ambition déméfurée des Carthagi-, nois, laquelle mit Rome dans la néceffité d'éviter un mal par un autre qui n'est jamais fi grand, lorfqu'on cherche à le prévenir ou à empêcher qu'il n'arrive jufqu'à nous. Une guerre de précaution contre un danger qui femble ne menacer que de loin, mais dont les menaces doivent être fuivies tôt ou tard des effets, eft néceffaire & par conféquent jufte. Elle n'eft même jufte qu'autant qu'elle eft néceffaire. Or fa juftice

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