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fes velittes de les chaffer dans une route qu'on leur cût tracée d'avance entre les efpa ces des colonnes, que de les faire rebrouffer.

A cette faute près, mais grande & capitale, on peut dire que cette difpofition du Romain à son infanterie, eft au deffus de celle du Grec. C'eft peut-être, ce qu'à certains égards, l'efprit & l'intelligence de l'infanterie peuvent imaginer de plus fimple & de plus fenfé, & en même tems de plus profond. Encore une fois, je tiens cet ordre de bataille unique, & jufqu'alors inconnu: car les Grecs, qui connoiffoient la colonne, ne l'ont jamais portée fi loin. Varron, ou pour mieux dire, fon Collégue, l'imita à la bataille en Cannes, & fe fit battre, comme chacun fait, pour être tombé dans les mêmes défauts que Régulus, & pour avoir même enchéri fur fes fautes. Scipion, plus habile & plus profond dans l'infanterie, trouva cette maniére de se ranger & de combattre fi belle & fi admirable, qu'il s'en fervit contre Annibal à Zama: mais il fe garda bien de tomber dans les fautes de ceux qui l'avoient précédé.

Je m'étonne que Régulus, qui penfa fi bien à fon infanterie, hors les distances de fes colonnes, foit tombé fi lourdement dans la difpofition de fa cavalerie (10). Il la partagea fur les ailes des légions, fans faire réfléxion qu'elle étoit en trop petit nombre pour ofer foutenir un feul inftant contre celle de l'ennemi. Trois cens chevaux contre quatre mille, la partie n'eft pas égale: s'il crut être en état d'y réfifter, cela n'eft pas concevable dans un homme fenfé.

Les deux armées étant dans cet ordre, elles en vinrent aux mains. La cavalerie Romaine fut aisément rompuë & emportée hors de fes aîles par celle des Carthaginois, il n'y a pas dequoi s'étonner. Cette cavalerie en fuite, l'ennemi tourne rapidement fur l'infanterie, la prend en flanc & à dos, & l'envelope de toutes parts; mais parce qu'elle étoit bien ordonnée & par colonnes, elle fit front de tous côtés, fans rien craindre de fes attaques. Comme les intervalles d'entre les colonnes étoient trop petits pour laiffer un paffage aux éléphans que les velittes chaffoient devant eux, & harccloient avec toutes fortes d'armes de jet, ces animaux furieux de leurs bieffures, bien loin de revirer fur leurs propres gens, comme le Général Romain fe l'étoit imaginé, allérent toujours leur chemin, & tombérent fur les légions, qu'ils ouvrirent de toutes parts. Tout le mal vint de ces animaux, & non de la cavalerie, qui n'eut garde de choquer de droit fil la queue des colonnes, où étoient les Triaires armés du Pilum, qui étoit une arme de longueur affez femblable à nos pertuifannes, trop redoutable à la cavalerie pour ofer en approcher.

La gauche de l'infanterie Carthaginoife furvenant là-deffus, fit un carnage horrible, & acheva ce que les éléphans avoient commencé. Il n'en fut pas de même à la droite de leur infanterie: la gauche des Romains lui tomba deffus avec tant de vigueur, que les étrangers foudoiés furent renverfés, mis en fuite, & poursuivis jufques dans leur camp.

C

S. III.
Bataille.

Ette bataille eft à mon fens une des plus remarquables de l'antiquité. Elle n'a pas le brillant de celles qui fe donnent entre deux grandes & nombreufes armées; on veut, pour rendre une action plus illuftre & plus recommandable, que ces armées rempliffent les grandes plaines, & même au-delà, comme fi le nombre dans les deux partis augmentoit la gloire du victorieux, & la honte du vaincu: cela eft abfurde. Cependant cette victoire de Xantippe décida du falut de Carthage; car fi les Romains cuffent

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vaincu, l'Afrique ne tenoit plus qu'à un filet, & la Sicile à rien. En effet n'eût-il pas fallu que les Carthaginois abandonnaflent celle-ci pour fauver l'autre, qui n'eût pû éviter fa ruine? Jamais Carthage n'eût pû s'en tirer. Toute la puiffance de Rcme n'eût-elle pas fondu fur elle? Les Carthaginois avoient-ils des places capables d'arrêter les victorieux? Aucune: rien n'empêchoit les Romains d'affiéger Carthage. L'Afrique ne tomboit-elle pas avec elle? Les Romains étoient prefque les maîtres de la Sicile lorfque Régulus paffa en Afrique. A quoi penfoient-ils, lorfqu'ils laifférent leur Général avec des forces fi médiocres, lors même qu'il étoit en leur pouvoir de lui en donner au double, & d'inonder même toute l'Afrique du nombre de leurs légions? Le croioient-ils un fecond Agatocles? S'ils le penfoient ainsi, l'événement ne répondit pas à leur attente. Mais que font devenus ces cent cinquante mille hommes qui combattirent à Ecnome? Y périrent-ils tous? Cela ne fe voit pas: s'ils ont paffé en Sicile, que font-ils là, lorfque Régulus eft en Afrique? Si les reftes de cette armée étoient en Sicile, il falloit que les forces des Carthaginois fuffent fi grandes dans cette Ifle, qu'il y eût au moins cent mille hommes. Je ne les trouve point: où auroient-ils paffé? Notre Auteur n'auroit-il pas mieux fait de nous l'apprendre? Il n'en fait rien pourtant. Je ne puis pardonner cette inéxactitude au plus éxact des Hiftoriens de l'antiquité. Reprenons notre fujet.

Les deux armées étoient dans un égal avantage à l'égard du terrain, elles ne l'étoient pas moins dans le nombre. Six ou fept cens hommes de plus ou de moins, décident rarement entre deux armées, fi d'ailleurs le plus foible l'emporte de quelque chofe fur l'autre du côté du courage. Tel étoit l'avantage des Romains fur les Carthaginois. Ceux-ci en avoient pourtant un très-considérable, c'étoit le grand nombre de leurs éléphans contre un ennemi qui n'en avoit point; ce qui faifoit difproportion de forces, & certainement ces animaux firent tout, comme ceux d'Antiochus Soter contre les Galates, dont nous rapporterons l'éxemple tout à l'heure. Quant à la cavalerie de Xantippe, infiniment fupérieure à celle du conful, & dans un païs favorable, elle n'eût du tout point décidé, & ne décida pas non plus dans cette bataille. L'infanterie n'en avoit rien à craindre, elle connoiffoit trop bien fa force indépendamment de fa difpofition, qui étoit propre à tout. Le Conful n'avoit donc à fe défendre que contre les éléphans, & rien ne lui étoit plus aifé: s'il eût laiffé de plus grands efpaces entre les colonnes, ces animaux fuffent fortis par ces iffuës malgré leurs conducteurs. Dans la bataille d'Antiochus Soter livra contre les Galates, les éléphans remportérent feuls la victoire, & fans ces animaux ce Prince ne pouvoit éviter d'être défait. Nous allons donner cet éxemple: c'eft Lucien qui nous le fournit.

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Antiochus inftruit de la valeur des Galates, & voiant le grand nombre de leurs ,, troupes, leur phalange extrêmement ferrée; fur le front, des foldats pefamment armés couverts de cuiraffes d'acier, & rangés fur, vingt-quatre de profondeur, à cha,, que aîle vingt-mille chevaux, au centre quatre-vingt chariots armés de faux tout ,, prêts à fondre fur lui, & deux fois autant d'autres à deux chevaux; Antiochus, ,, dis-je, à l'afpect de cette armée, qui lui paroiffoit invincible, défefpéra de la victoi,, re. Le peu de tems qu'il avoit cu pour fe difpofer à cette guerre, ne lui avoit pas ,, permis de lever les forces, & de faire les préparatifs qu'elle méritoit. Il n'avoit que ,, peu de troupes, encore n'étoient-elles couvertes que de petits boucliers: l'armure légére faifoit plus de la moitié de fon armée. Déja il panchoit à finir cette guerre ,, par un accommodement le plus honorable qu'il lui feroit poffible, lorfqu'un Rho,, dien nommé Théodotas, homme réfolu & expérimenté dans la tactique, lui réléva le courage. Il lui confeilla de cacher tellement les feize éléphans qu'il avoit, que les , ennemis ne pûffent pas les appercevoir: & quand le fignal du combat feroit donné, Tome I.

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V

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,, que le tems d'en venir aux mains feroit venu, que la cavalerie des ennemis s'ébranleroit, & que la phalange s'ouvrant donneroit paffage aux chariots, de lâcher quatre de ces animaux au devant de chaque aîle de la cavalerie, & de pouffer les huit autres ,, contre les conducteurs des chariots. De cette maniére, dit-il, les chevaux épouvantés prendront la fuite & rebroufferont fur les Galates mêmes. Cela ne manqua " pas d'arriver. Les Galates, auffi-bien que leurs chevaux, voioient alors des élé,,phans pour la premiére fois: ils en furent fi effraiés, que quoique ces animaux fuffent encore loin, ils n'eurent pas plutôt entendu leurs cris, vê la blancheur de leurs dents, d'autant plus éclatante que tout le refte de leurs corps étoit noir, & apperçû leurs trompes élevées comme pour les emporter, qu'ils tournérent le dos, fans tirer ,, un feul trait. Les gens de pied fe percérent les uns les autres de leurs javelines, & ,, furent foulés aux pieds par les chevaux: les chariots retournant fur leurs troupes, les couvrirent de bleffures, & fe renverférent les uns fur les autres : les chevaux une foishors du droit chemin par la fraieur que leur donnoient les éléphans, jettoient bas les ,, cavaliers, on n'entendoit que le bruit des chariots, qui de leurs faux tailloient en piéces tous ceux de leurs gens qu'ils rencontroient fur leur chemin. Dans cette confufion, tous ceux qui tomboient par terre étoient écrafés par les éléphans, ou enlevés avec leurs trompes, & déchirés à belles dents. Enfin la victoire fut complette. Des ennemis, les uns en grand nombre reflérent fur le champ de bataille : les autres furent prifonniers, hors quelques-uns qui fe fauvérent fur les montagnes. Auffitôt les Macédoniens criérent victoire, & accourant de tous côtés à Antiochus, lui mirent une couronne fur la tête. Lucien dit qu'il n'y eut que ce Prince qui répandit des larmes. J'en fuis furpris, il eût dù bien plutôt créver de rire, & ce qu'il dit à fes foldats en valloit affez la peine: Nous devrions rougir de honte, leur dit-il, de faire les vains d'une victoire dont feize bétes ont tout l'honneur. Sans la nouveauté de ce fpectacle, qui a jetté la fraicur parmi les Galates, qu'elle réfifiance auriez-vous pu faire? De forte qu'il fit élever pour trophée un élépliant. Ce Prince, à qui Lucien fait répandre des larmes fans aucune raifon, eût pû lui fournir un fujet de dialogue très-divertiffant & trés-inftructif; pour apprendre aux Pompées de fon tems, comme à ceux du nôtre, qui s'attribuent baffement & fans fcrupule les actions & la gloire d'autrui, & qui s'érigent d'orgueilleux trophées des victoires dont ils ne font pas les auteurs, qu'il faut rendre à chacun l'honneur qui lui appartient, fans acception de perfonnes. Mais, dira-t-on, les éléphans font de groffes bêtes: pourquoi leur ériger un trophée ? Pourquoi non, leur répondra-t-on, s'ils ont eux feuls remporté la victoire? Sont-ils les feuls animaux qui aient mérité qu'on leur érigeât des trophées? Les ânes, au rapport du pere de l'Hiftoire, ne fauvérent-ils pas Darius & toute fon armée d'une ruine totale? Les Scythes ne l'euffent-ils pas défait, fans le braiement des ânes, qui font bien plus bêtes que les éléphans? Ecoutons Hérodote: Mais il y avoit une chofe qui favorifoit les Perfes, & qui nuifoit aux Scythes quand ils alloient attaquér Darius, 'étoit le cri des-Anes & la forme des mulets. Combien d'autres bêtes, fans être ânes ni éléphans, ont gagné des batailles, & fait chanter des hymnes & des actions de gra ces? Les Hiftoires anciennes & modernes en font toutes remplies.

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22

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S. IV.

Réfléxions fur les fautes des Romains.

E l'ai déja dit plus haut, & il n'y a pas grand mal de le répéter, l'ordre de bataille de Régulus à fon infanterie, aux diftances des colonnes près, eft digne de remarque;

mais quant à la pofition de fa cavalerie, je ne vois rien de plus abfurde & de moins fenfé. Les deux armées étoient en bataille dans une plaine rafe & découverte, & par conféquent les aîles de part & d'autre fe trouvoient en l'air. Voilà l'égalité à l'égard du terrain, elle étoit affez la même à l'égard du nombre; mais il n'y en avoit point dans la nature des armes, Régulus n'aiant que trois cens chevaux, & Xantippe quatre mille. En récompenfe le premier a trois mille hommes d'infanterie de plus. Il n'y a que les éléphans qui puiffent rendre les Carthaginois fupérieurs; c'eft ici l'avantage d'Antiochus, auquel les Carthaginois euffent dû dreffer un trophée. Laiffant les éléphans, je fuis perfuadé qu'en ce tems-ci un Général foible en cavalerie, ou fans le fecours de cette arme, iroit avec un peu plus de ménagement & de circonfpection que ne fit Régulus: il n'auroit garde de fe jetter dans les plaines avec fa feule infanterie, qui ne connoît pas fa force, & qui la connoîtroit bientôt, fi nous n'ignorions l'art de nous ranger par colonnes, contre lefquelles la cavalerie ne peut & ne pourra jamais rien. Il n'en étoit pas ainfi de l'infanterie Romaine, elle connoiffoit très-bien fon pouvoir. Jamais cavalerie n'ofa l'attaquer de droit front, elle n'y eût pas trouvé fon compte. Il s'en falloit bien que celle-ci eût des armes auffi avantageufes que la nôtre, & cependant la nôtre n'oferoit s'abandonner fur nos bataillons minces d'aujourd'hui, auxquels elle pafferoit aisement fur le ventre, fi les Officiers de cavalerie connoiffoient bien leurs avantages: tant eft grande la foibleffe de nos bataillons rangés fur trois ou quatre de hauteur.

Régulus avoit fi bien ordonné fes légions, qu'il étoit impoffible de les entamer & de les rompre, quelque effort déterminé que la cavalerie des Carthaginois cût pû faire. Leur force étoit égale partout, par mon principe des colonnes, & quelques débordées qu'elles pûffent être, fe trouvant rangées d'une maniére fi admirable, elles n'avoient rien à craindre, puifque là défaite de la phalange Carthaginoife entraînoit nécessairement celle de fa cavalerie, ou du moins l'obligeoit à quitter partie, & à s'en aller, fans qu'il lui fût poffible de favorifer la retraite & les débris de l'infanterie, dont la défaite étoit d'autant plus affurée, qu'elle ne valloit pas à beaucoup près celle des Romains. Si Régu lus, comme je l'ai répété fi fouvent, avoit laiffé de bonnes diftances entre fes colonnes, tout au moins triples à leurs front, comme il le pouvoit fans rien craindre, à caufe de l'avantage de ces corps qui attaquent & fe défendent indépendamment les uns des autres, & dont toute la force eft dans eux-mêmes, il donnoit par ces grands efpaces une étendue double à fon ordre. Qui peut douter qu'en fuivant cette méthode, la défaite de Xantippe ne fût complette & certaine ? Quelle reffource, quel azile pouvoit-il trouver dans fa phalange outre-paffée à fes ailes, & rangée plus imparfaitement? Quels avantages pour Régulus, s'il eût pû les connoître? Rien pourtant de plus aifé: le bon fens & l'expérience dont il étoit affez bien pourvû, lui échapérent en cette occafion. Il faudroit que nous euffions peu de l'un, & que nous manquaffions totalement de l'autre, pour ne pas remarquer tous ces avantages. Il laiffè fa cavalerie dépouillée de tout ce qui pouvoit fuppléer à fa foibleffe. Quelle conduite! Rien ne l'empêchoit de la fortifier & de la faire foutenir de fes Triaires enchâffés dans fes efcadrons.

Mais remarquez, je vous prie, à quoi il tenoit que celui qui vient d'être battu & terraffé ne le fût pas, & ne fit tomber fur le victorieux toute la honte de cette journée. Une bagatelle, un rien pouvoit faire le coup, fans qu'il fût befoin de tant d'art ni d'une difpofition fi rafinée : & ce rien, lorfqu'on ne l'ignore, ou qu'on ne le néglige pas, eft capable de renverfer les entreprifes les mieux concertées. Seize éléphans de l'armée d'Antiochus Soter, fur lefquels ou comptoit auffi peu que fur rien, viennent à bout d'un ennemi formidable que ce Roi de Macédoine croioit invincible, comme dit Lucien; en voici cent qui ne font guéres moins fiers de la défaite des Romains, que les

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HISTOIRE DE POLY BE,

feize de celle des Galates. A quoi tenoit-il, encore une fois, que ceux-ci de leur côté, & les Romains de l'autre, ne fiffent voir par une rufe & un fecret ignoré jusqu'alors, & qui n'a été connu que quelque tems après, que ces animaux n'étoient que des groffes bêtes, & qu'elles avoient certains foibles, comme certains hommes, qui affrontent les plus grands dangers, & qui s'épouvantent à la vûe d'une fouris, d'un chat, d'une anguille, &c. Si Régulus, & le Général Galate avoient fù que le cri d'un cochon étoit capable de porter la terreur & l'épouvante dans le coeur de ces animaux, & de les mettre en fuite, il n'eût eu garde de manquer d'oppofer une ligne de cent cochons à celle des cent éléphans de Xantippe: & en ce cas celui-ci ne perdoit-il pas la bataille? Car ces cent éléphans fuffent tombés fur leurs propres gens, & les euffent mis en défordre; & les Romains donnant là-deffus, je laifle à penfer ce qu'il en feroit arrivé. Régulus jufte & équitable, comme il étoit, eût fans doute imité Antiochus, il eût fait le même compliment à ses foldats, & fait élever pour trophée un cochon. J'ai trouvé ce fecret dans Procope. Ce feroit furieufement négliger les régles des affortimens, fi je ne rapportois pas le paffage.

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Quand Cofroës affiégea Edeffe, il y avoit dans fon armée un prodigieux élé,, phant, qui portoit une tour semblable à la machine que l'on appelle Hélépole, & dans ,, cette tour un grand nombre de vaillans hommes, qui faifoient pleuvoir une grêle de ,, traits dans la ville: de forte que ceux qui gardoient le tour des murailles, furent o,, bligés de fe retirer; mais à l'instant même ils évitérent le danger, par le moien d'un ,, porc qu'ils attachérent au haut de la tour, & dont le cri un peu plus perçant que de ,, coûtume, effaroucha l'éléphant & le fit reculer. Ce n'eft que depuis ce fiége que les Romains apprirent, dit l'Auteur, cette rufe de rendre les éléphans inutiles.

A la guerre les fautes ne font jamais petites, le Lecteur fe le tiendra pour dit, une feule peut tout perdre, & Régulus en fait deux. S'il eût fù profiter de l'avantage qu'il remporta à la droite de fon infanterie, car celle-ci aiant enfoncé & mis en fuite les étrangers foudoiés, pafférent outre & fe mirent à leurs trouffes; fans s'embaraffer ni fans prendre garde à ce qui fe paffoit, ou alloit arriver à leur gauche, & que cette aile victorieufe eût tourné fur l'aîle de la phalange, les affaires cuffent peut-être changé de face. Xantippe, profitant habilement de cette étourderie, & de l'avantage de fa cavalerie & de fes éléphans, attaque les Romains de toutes parts, & les taille en piéces.

Il y a peu de batailles où les Généraux d'armées puiffent trouver de plus belles leçons de tactique que dans celle-ci. Attilius Régulus eft le premier après les Grecs, à qui nous fommes redevables du systême des colonnes, & le feul devant les Grecs qui ait combattu fur une ligne de colonnes parfaites. C'est donc à lui que nous devons cet ordre, & non à Scipion. Varron avant celui-ci, ou fon Collégue, s'en étoit fervi à Cannes, quoique cela ne paroiffe pas dans la traduction de Cafaubon, qui fautte de termes propres pour expliquer cette évolution, n'a pû débrouiller ce miftére. Il faut plus que favoir le Grec, pour bien traduire ces endroits d'un Auteur militaire. Si Dom Thuillier n'avoit fu ce que c'étoit que cette évolution, l'ordre de bataille de Cannes nous feroit encore inconnu.

Lorfque l'on combat par colonnes contre un ennemi plus fort, & qui ne répond pas dans le même ordre, fa fupériorité ne lui fert de rien. Le nombre d'une arme fur une autre, n'eft d'aucune confidération pour un Général habile, & expérimenté dans F'infanterie j'entens habile dans l'infanterie celui qui en connoit la force: or ceux-ci font très-rares en tout tems & en tous lieux.

Après tant de réfléxions & de remarques, finiffons par d'autres, qui ne font pas moins importantes pour l'inftruction des gens de guerre. Notre méthode de rainger

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