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Finfanterie eft imparfaite & foible, dès qu'on la met en regard avec celle que je propofe. Tel Général, qui fe voit fupérieur en infanterie, & foible en cavalerie, s'il s'embarque dans les plaines, muni feulement de ce qu'il a appris de la routine & de l'ufage, ne fait plus où il en eft: la tête lui tourne, il ne trouve aucun reméde, & bientôt il porte la peine de fa témérité, ou il cherche au plutôt un azile par un délogement précipité. Il aime mieux abandonner les plaines à l'ennemi, & les voir défoler à fon aife, que de l'y chercher & de l'attaquer dans fon avantage. Il refte dans une honteufe inaction, & dans une défenfive toujours ruineufe à la réputation de fon Prince, & à la fienne propre. Il abandonne tout un païs, & des Provinces entiéres, fans ofer paroître lorfqu'il le pourroit avec gloire, en fe gouvernant par un fyftême différent de celui que nous fuivons communément; car à moins qu'il n'y ait une trop grande difproportion de forces, rien ne doit nous empêcher de tenter la fortune, perfuadés que l'adreffe, le courage, l'intelligence, qui réglent notre maniére de combattre, fuppléent toujours au défaut du nombre.

Il y a diverfes maniéres de ranger une armée en bataille dans un païs de plaine, lorfqu'elle fe trouve inférieure à celle de l'ennemi, foit que celui-ci le furpaffe par le nombre à tous égards, foit par la fupériorité d'une arme favorable au terrain, que L'autre n'a pas. Ce que l'ennemi a de plus de troupes à fes ailes, eft très-dangereux, lorfque le foible ne voit pas où appuier les fiennes pour s'empêcher d'être débordé, en fe rangeant felon l'ufage d'aujourd'hui, qui n'eft que trop foible & trop défectueux. Nos Tacticiens de ce tems, nation vraiment moutonniére, puifqu'elle ne connoît qu'une feule maniére de fe ranger & de combattre, propofent l'expérience imitatoire. Nous voilà certes bien favans. Cette expérience imitatoire eft-elle autre chofe que ce que nous combattons & que nous rejettons de toutes nos forces?

Les uns contre la fupériorité extraordinaire de cavalerie, nous propofent de mettre tout ce que l'on en a fur les ailes de la premiére ligne, les efcadrons & les bataillons alternativement mêlés, & de compofer la feconde du refte de l'infanterie. Cela feroit bon, fi ces bataillons combattoient fur plus de profondeur, & qu'avec cela ils fuffent fraifés d'un cinquiéme de piques; mais cela n'étant pas, ils ne fauroient jamais foutenir contre le choc des efcadrons qui leur feront oppofés, & qui leur pafferont aifément fur le corps. Par conféquent cet ordre ne vaut rien. J'aimerois beaucoup mieux des pelotons, ou des compagnies de grenadiers fur cinq de hauteur, entre les efpaces des efcadrons; parce que ces petits corps font prompts & fubits dans leurs mouvemens, ils fe jettent fur les flancs des efcadrons ennemis, & fe répandent partout. La premiére méthode eft la plus ordinaire, l'autre eft plus rarement pratiquée, ou pour mieux dire, elle ne l'eft plus depuis plus de foixante ans.

Les autres entrelaffent alternativement toute leur cavalerie entre les bataillons de leur premiére ligne, & leur feconde eft formée du refte de leur infanterie ; ce qui n'eft pas fans de très-grands défauts: mais cette maniére de fe ranger, auffi-bien que la premiére, eft une chofe fi commune & fi connue, que fi l'ennemi en fait autant, on eff réduit au même embarras. Il fe trouve toujours dans le même avantage de fupériorité à fa cavalerie, & en poffeffion du terrain propre à cette arme, qu'on ne fauroit lui enlever par ces fortes de difpofitions mille fois répétées, & toujours les mêmes, fans qu'il en paroiffe aucune autre depuis près d'un Gécle.

La fcience de la tactique ne roule pas fur un feul ordre de bataille dans les plaines, & dans les païs bizarres & mêlés, où l'on met chaque différente forte d'armes en fa place, & le plus fouvent fans y faire réfléxion, comme je l'ai mille fois remarqué. S'il n'y avoit que cela à apprendre à la guerre, la tactique ne feroit pas une fcience, ni un art, mais purement une routine. La véritable tactique a fes régles, fes princi

& fes démonftrations peuvent s'enfeigner indépendamment de cette expérience pes', tant vantée, & dont le fruit feul eft de nous perfectionner & de nous affermir dans nos entreprifes & dans les dangers. Voilà des réfléxions qu'il m'a paru très-nécessaire & très-important de faire; avant que de paffer à l'explication de notre ordre de bataille, ou de nos deux ordres: mon deffein étant de ranger l'armée fupérieure en cavalerie, quoique moindre en nombre de bataillons, de la maniére la plus favorable, felon la méthode de notre tems.

Je fuppofe donc ici que l'ennemi eft plus fort en cavalerie, & l'autre en infanterie : de forte néanmoins qu'il y ait égalité en nombre de troupes, je tiens moi, que fi les deux armées combattent dans l'ordre ordinaire, celui-là ne fauroit s'empêcher d'être battu par la cavalerie, qui prévaudra fur l'autre, à caufe du terrain favorable à cette arme. Si je ne connoiffois aucune autre méthode que celle dont nous nous fervons aujourd'hui, & que je me viffe fupérieur en cavalerie contre une infanterie plus nombreuse, je formerois une bonne ligne de mon infanterie (2), foutenue par toute ma cavalerie en feconde ligne (3), ce que j'aurois de furplus (4) partagé aux aîles de ma feconde ligne & mes dragons (5) en réserve. J'attaquerois dans cet ordre, je crois que ce feroit le mieux qu'on pût faire, quoiqu'on ne l'ait peut-être jamais pratiqué, parce qu'alors une arme fe trouve foutenue par l'autre. Cette maniére de fe ranger seroit redoutable en ce tems-ci, parce que celui qui combat fur deux lignes, n'aiant prefque point de cavalerie, fe trouve fur les bras les deux armes ensemble, & de gros efcadrons oppofés à fes bataillons minces. Contre un tel ordre ne pouvant oppofer prefque aucune cavalerie à l'ennemi par le peu que j'en ai, voici mon ordre de bataille. Soit que l'ennemi attaque dans l'ordre que je viens d'expliquer, foit qu'il combatte felon la méthode ordinaire, la cavalerie fur les aîles, l'infanterie au centre, les deux armées dans une plaine rafe & pelée, & les aîles en l'air, comme on dit.

Ma première ligne (6), fur une ligne de bataillons difpofés en colonnes fur une feule fection. Chaque bataillon de vingt-fix files, le refte en hauteur. Les aîles couvertes de deux colonnes (7), chacune de trois baraillons, ou fections. Deux colonnes (8) au centre, pour faire effort en cet endroit, & féparer les ennemis de leurs aîles. Ma feconde ligne formée du refte de mon infanterie. Deux colonnes (9), de deux fections à chaque aîle, où j'y partage ce que j'ai de cavalerie (10). Les efcadrons entreJaffés chacun de deux compagnies de grenadiers (11). Le centre des bataillons (12), fur huit de profondeur. La réferve (13) de ce que j'ai de dragons. Voilà l'ordre de bataille fur lequel je voudrois combattre. Ceci n'a pas befoin de Commentaire, j'en laiffe le jugement aux connoiffeurs, qui font au fait de mon principe des colonnes. J'appelle connoiffeurs tous ceux qui auront lû & bien éxaminé mon fyftême pour bien comprendre ma tactique; car fans cette connaiffance, il n'y a pas moien qu'ils puiffent rien entendre, ou fort peu de chofe dans ma nouvelle méthode de fe ranger & de combattre.

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ORDRE DE BATA QUE CELLE QUI LUI EST OPPOSÉE.

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Victoire navale des Romains, & la tempête dont elle fut fuivie. Où les précipite leur génie entreprenant. Prife de Palerme.

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U commencement de l'été les Romains mirent en mer trois cens cinquante vaiffeaux fous le commandement des deux Confuls M. Emilius, & Servius Fulvius. Cette flotte cotoia la Sicile pour aller en Afrique; au promontoire d'Hermée, elle rencontra celle des Carthaginois, & du premier choc elle la mit en fuite & gagna cent quatorze vaiffeaux, avec leur équipage. (a) Puis reprenant à Afpis la troupe de

fes troupes, fort inférieures à celles des Romains. Le Sénat de Rome, compofé de têtes fi fages en ce tems là, à quoi penfoit-il de dreffer de fi grandes forces navales pour retirer une garnison? Pourquoi ne pas profiter du tems, des conjonc tures, & d'une victoire qui réduifoit les Cartha

terdite pour le fecours de la Sicile, & pour !cur propre païs? Car leur puiffance, femblable à celle de Rome, étoit auffi redoutable hors de l'Afrique, qu'elle étoit foible au dedans.

(a) Puis reprenant à Afpis la troupe de jeunes foldats qui y étoient reftes.] Voici une feconde victoire qui affure la mer aux Romains. Cette victoire les mettoit en état de revenir fur leurs avantages en Afrique, avec d'autant plus d'efpé. rance de réuflir, que le feul homme qu'ils avoient à redouter n'étoit plus par la perfidie des Carthaginois à ne favoir où courir, la mer leur étant inginois. Cependant ces Romains, dont on éléve fi haut la renommée, font ici une faute fi grof fiére, & fi dépourvûe de jugement, qu'il faudroit beaucoup rafiner pour trouver quelques bonnes raifons, ou du moins apparentes, pour les tirer du bláme qu'ils méritent. Je ne vois rien qu'ils ne pûffent entreprendre après cette victoire: d'où vient qu'ils ne defcendent pas en Afrique? La conquête de Carthage étoit-elle au-deffus de leurs forces & de leur courage? Non fans doute, puifque peu auparavant Régulus à la tête de quinze mille hommes & de trois cens chevaux, ne s'étoit pas feulement rendu maître des places qui lui ouvroient le chemin de cette capitale, mais s'étoit encore réfolu d'en faire le fiége, & il s'en eft, approché effectivement après une grande victoire: & aujourd'hui ces mêmes Romains victorieux, & maîtres d'une ville & d'un port qu'ils avoient fû conferver après la défaite de Régulus, & qui leur ouvroit l'entrée de l'Afrique & le chemin de Car thage: ces Romains, dis je, avec des forces formidables, ne mettent pas feulement pied à terre. Mais ce qui met le comble à la fottife, ils marquent fi peu de jugement, qu'ils abandonnent encore une place importante, & en retirent la garnifon, car s'ils fullent defcendus, les Carthaginois fe voioient dans la néceffité de faire venir une partie des forces qu'ils avoient en Sicile pour fauver l'Afrique, & Amilcar, pere d Annibal, luimême, Capitaine célébre, le plus grand de fon fiécle, & qui s'étoit rendu plus redoutable par fa façon de faire la guerre, que par le nombre de

La fameufe diverfion d'Agatocles étoit-elle in connuë aux Romains? N'auroit elle pas dû leur fervir de leçon ? Celle de Régulus, dont les commençemens furent fi heureux & fi brillans, & la fin fi honteufe au nom Romain, n'étoit elle pas une marque évidente du pouvoir de la diversion? Car la caufe de la ruine de fon armée ne venoit point de la difficulté & des obftacles qu'il rencontra dans l'exécution de fon entreprise. Il n'en fut jamais de plus aifée. Les Carthaginois fe voioient bientôt réduits à leur capitale; deux places qui leur font enlevées, fans prefque aucune réfiftance, & une bataille perdue, font le coup. Que reftoit-il à faire à Régulus, que d'y marcher pour en faire le fiége, ou pour combattre les ennemis, s'ils vouloient courre les risques d'une bataille rangée à la vûe de leurs remparts? ils s'y déterminent, & paroiffent en préfence de l'armée Romaine, a forces égales à l'égard du nombre, tant leur puifiance étoit médiocre, dans leur pro. pre païs; & s'ils font victorieux, on ne doit point attribuer le fuccès de leurs affaires à la valeur & au nombre de leurs troupes, mais à l'imprudence & à la fottife du Proconful, ou plutôt à celle du Sénat Romain, qui envoie cent quarante mille hommes pour une diverfion en Afrique, & les retire tout auffi-tôt après la prife d'Afpis, pour ne laiffer qu'un corps de quinze mille fantaffins

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