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Situa

la Sicile.

blés, & les mèt en déroute. Un grand nombre refta fur la place, les
autres échapérent par une fuite précipitée. Il prit dix éléphans, avec les
Indiens qui les conduifoient. Le refte qui avoit jetté bas fes conduc-
teurs, envelopé après le combat, tomba auffi fous la puiffance du con-
ful. Après cet exploit, il paffa pour conftant que c'etoit à Cécilius que
l'on étoit redevable du courage qu'avoient repris les troupes, & du païs
que l'on avoit conquis.

:

CHAPITRE X.

Les Romains levent une nouvelle armée
gé de Lilybée. Situation de la Sicile.
Jon en faveur des Romains découverte.
bal. Combat fanglant aux machines.

**

navale, & concertent le fié-
Siége de Lilybée. Trabi-
Secours conduit par Anni-

Ette nouvelle portée à Rome, y fit beaucoup de plaifir: moins parce que la défaite des éléphans avoit beaucoup affoibli les ennemis, que parce que cette défaite avoit fait revenir la confiance aux foldats. On reprit donc le premier deffein d'envoier des Confuls avec une armée navale, & de mettre fin à cette guerre, s'il étoit poffible. Tout étant difpofé, les Confuls partent avec deux cens vaiffeaux, & prennent la route de Sicile. C'étoit la quatorziéme année de cette guerre. Ils arrivent à Lilybée, joignent à leurs troupes celles de terre, qui étoient dans ces quartiers, & concertent le projet d'affiéger cette ville, dans l'efpérance qu'après cette conquête il leur feroit aifé de tranfporter la guerre en Afrique. Les Carthaginois perçoient dans toutes ces vûes, & faifoient les mêmes réfléxions. C'eft pourquoi regardant tout le reste comme rien, ils ne penférent qu'à fecourir Lilybée, réfolus à tout fouffrir plutôt que de perdre cette place, l'unique reffource qu'ils euffent dans la Sicile; au lieu que toute cette Ifle, à l'exception de Drepane, étoit en la puiffance des Romains. Mais de peur que mes Lecteurs ne foient ici arrêtés, faute de favoir la carte de ce païs: tàchons en peu de mots d'en faire connoître la fituation.

Toute la Sicile eft fituée par rapport à l'Italie, & à fes limites, comtion de me le Peloponéfe par rapport à tout le refte de la Gréce, & aux éminences qui la bornent. Ces deux païs font différens, en ce que celuilà eft une Ifle, & celui-ci une Prefqu'Ifle. Car on peut paffer par terre dans le Peloponéfe, & on ne peut entrer en Sicile que par mer. Sa figure eft celle d'un triangle. Les pointes de chaque angle font autant de Promontoires. Celui qui eft au Midi, & qui s'avance dans la mer

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de Sicile, s'appelle Pachyn; (a) le Pelore eft celui qui, fitué au Septentrion, borne le détroit au couchant, & eft éloigné d'Italie d'en

(a) Le Pelore..... eft éloigné d'Italie d'environ douze ftades. Le ftade eft une mefure Grecque, voilà dequoi l'on peut être affuré; mais à l'égard de fa longueur, les Antiquaires ne font pas d'accord entr'eux. Par la fupputation de la Guilletié. re, le ftade a fix cens pieds Athéniens: c'eft peut-être un peu plus de cinq cens foixante-fix pieds de Roi mefure de France, ou cent treize pas géométriques: encore ne fommes-nous pas affurés de la longueur du pied Grec, encore moins du pied Romain. Le célébre Auteur de I'Antiquité expliquée, dit dans le chapitre des Colonnes millitaires, que ce fut C. Gracchus, felon Plutarque, qui fit mettre fur les grands chemins de ces colonnes de mille-en mille, pour marquer les diftances des lieux. Le mille, felon le même Auteur, faifoit un peu moins de huit ftades. La plû part donnent aux milles huit ftades, d'autres n'en donnent que fept & demi. Ces milles fe commençoient en Italie par la colonne milliaire, qui étoit au marché de Rome: de là on comptoit les diftances par mille. A chaque mille il y avoit une pierre plantée, où l'on marquoit II. IV. VIII..

M. Dacier compte que vingt ftades font une lieue de France. Il y a eu, dit-on, des ftades de différentes mefures, fuivant les tems & les lieux. Si cela eft, je n'ai pas le mot à dire; mais fi les Auteurs, qui ont écrit devant, ou peu après Polybe, ne font pas les milles d'une plus grande étendue que de huit ftades, le nôtre fe feroit furieufement trompé, ou il y auroit faute au texte: car il ne met qu'environ douze ftades du cap du Pelore à l'Italie: il y a pourtant trois milles aujourd'hui, c'eft à-dire vingt ftades, à moins que ce détroit ne fe foit élargi par quelque tremblement de terre; ce qui ne feroit pas incroiable. Je m'étonne que notre Auteur ne fe foit pas un peu égaié fur ceci, comme il a fait fur le Pont-Euxin: cette digreffion n'auroit peut-être pas déplû dans fon Hiftoire. Qui fait fi le Peloponéfe n'a pas été un cap? C'eft aujourd'hui une Prefqu'Ifle: une fecouffe de la terre peut avoir fait le coup, une autre furviendra peut-être qui le féparera tout à fait du continent: peu s'en fallut que Néron, plus prodige & plus redoutable qu'un tremblement de terre, n'en fit une Ifle. Plufieurs bons Auteurs prétendent que la Sicile avoit formé un même continent avec l'Italie. Si je cite le Pere Kirker dans fon Mundo fubterraneo, on me dira que je prens un Auteur trop crédule pour garant de cette opinion, comme fi les Anciens ne s'en étoient pas coiffés tout comme lui. Elle n'eft pas fi ridicule qu'on diroit bien, & ce Jefuite fi vifionnaire que l'on penfe. Je ferois affez de fon avis, fans pouffer la crédulité audelà des bornes raifonnables; c'est le fentiment de

Pline, de Juftin, & de quelques autres.

Qui fait fi le Sund, fi l'Angleterre, fi l'Efpagne n'ont pas été un feul continent? Qui peut af furer que la mer Méditerranée n'a pas été une grande étenduë de terre, qu'aucune mer ne féparoit de l'Afrique que par de très-grands fleuves? Quelques Auteurs pretendent que l'Amérique n'étoit pas fi éloignée de nous qu'elle l'eft aujourd'hui. Ce qui étoit autrefois continent eft devenu mer, & ce qui eft mer aujourd'hui peut devenir terre: car ce que la mer gagne d'un côté, elle le perd de l'autre. Cela fe prouve par les coquillages que l'on trouve dans les rochers & les pierres que l'on taille dans les endroits les plus éloignés de la mer. Il ne faut pas autre miftére pour produire ce changement, qu'une violente fecouffe de la terre, caufée par le feu central qui aura communiqué à quelque immenfe magafin de matiéres combuftibles & inflammables, dont la terre eft toute remplie, comme des cavernes d'une profondeur & d'une étendue étonnante. Sans avoir mê. me recours à ccs fortes de phenoménes ignées, un petit écart de la terre hors de fa fphère d'activité, quelque mouvement hors de fon axe, ou quelque mauvaife rencontre, peuvent avoir produit certains changemens confidérables.

Qui m'affurera que le Roiaume de Naples, ou du moins une bonne partie, ne croulcia pas, & ne difparoîtra pas un jour, & qu'il n'en arrivera pas de même à la Sicile ? Gardons-nous bien d'en douter: on fait que la ville de Naples eft toute creufe par deffous, & bâtie fur un très-grand nombre d'immenfes cavernes, où il y a des abîmes d'eau ou de matiéres combustibles, comme le païs aux environs du Véfuve. Il ne faut pas douter que celui-ci, comme le refte, ne fonde & ne difparoiffe dans la fuite des tems dans ces abîmes épou vantables? L'Hiftoire rapporte une infinité de ces fortes de phénoménes, de villes & de païs entiers. métamorphofés en lacs, ou en toute autre chofe: ce qui étoit montagne eft devenu plaine, & ce qui étoit plaine, peuplé de villes & de villages, s'eft changé en déferts tout à fait affreux.

Ce que je dis ici eft-il plus prodige que de voir des Ifles fortir tout d'un coup de la mer, comme des Tritons? Ces fortes de phénoménes font-ils bien rares? Les Anciens en parlent; nous en avons vu deux ou trois de nos jours, & le dernier dans l'Ocean, bien autrement abime que la mer Mediterranée. Ces nouvelles nées fubfiftent encore aujourd'hui, il viendra un tems où l'on jettera l'ancre tout au milieu de Sicile.

Je crois très-fermement la Sicile en l'air, & pofée fur ces prodigieufes & affreufes cavernes qui fondront un jour. Dans la derniére guerre en Espagne, & pendant le fiége de Saint Scbaftien, je me mis en tête, dans mes heures de délaffement,

Siége de

viron douze ftades. Enfin le troifiéme fe nomme Lilybée. Il regarde l'Afrique, fa fituation eft commode pour paffer de là à ces Promontoires de Carthage, dont nous avons parlé plus haut. Il en eft éloigné de mille ftades ou environ, & tourné au couchant d'hiver, il fépare la mer d'Afrique de celle de Sardaigne.

Sur ce dernier cap eft la ville de même nom, & dont les Romains Lilybée. firent le fiége. Elle eft bien fermée de murailles, & entourée d'un foffe profond que la mer remplit, & qu'on ne peut traverfer pour aller fur le port, fans beaucoup d'ufage & d'expérience. Les Romains aiant é tabli leurs quartiers devant la ville de l'un & de l'autre côté, & aiant fortifié l'efpace, qui étoit entre les deux camps, d'un foffé, d'un retranchement, & d'un mur, ils commencérent l'attaque par la tour la plus proche de la mer, & qui regardoit la mer d'Afrique. (a) De

de m'ériger en Créateur d'un monde: je le nompofai dans mon imagination, moitié Kirker, moi. tié Descartes, comme on dit de Varillas, qu'il a écrit moitié Roman & moitié Hiftoire; cel ouvrage eft demeuré par les chemins fort près d'arriver au gîte. C'est un compofé de vifions, dirat-on, d'accord: pouvons-nous donner autre chofe que des vifions? Tout eft incompréhenfible, tout eft inexplicable dans la nature, & nous-mêmes qui en raifonnons: ceux qui croient l'incompréhenfibilité de toutes chofes ne font peut-être pas les moins raisonnables.

(a) De nouveaux ouvrages fuccédant toujours aux premiers.] Le fiége de Lilybéc eft fans contredit le chef d'œuvre de l'art & de la capacité Romaine. Tous les autres dont l'Hiftoire fait mention avant la premiére guerre Punique, méritent à peine notre attention, ou font peu digues de remar que. Dans celui de Lilybée le courage & l'intelligence paroiffent tout à découvert, & le plus habile des deux Antagonistes y reçoit une couronne digne du zéle avec lequel il défendit cette place: il est plus grand homme que celui qui la lui vouloit enlever, mais celui-ci n'eft pas moins digne des éloges de la postérité. La portion du hazard, qui eft prefque en tout la plus groffe à la guerre, eft ici réduite à rien. Nous voions, dans ce fiége célébre,toutes les pratiques dont les Modernes fe font honneur très-fauffement, c'eft-à-dire, les tranchées & les grandes paralléles; les galleries fouterraines, &c. & tout ce que nous pratiquons dans la défense, ou ce que nos péres ont pratiqué avec beaucoup plus d'intelligence & de valeur; car depuis plus d'un fiécle nous n'avons vû ni ouï parler d'aucun affaut général foutenu au corps de la place, & une garnifon qui aime mieux inille fois périr que de fe rendre, & qui éprouve les plus affreufes miféres. Nous ne connoiffons qu'un feul homme de nos jours qui ait rempli fon devoir fur ce point dans toute fon étendue. Ce phénoméne d'intrépidité fe trouve dans la défenfe de

nou

Tortone en 1706. Le Gouverneur, qui étoit Ef pagnol, foutint bravement l'affaut, & fe fit tuer fur la bréche du corps de fa place.

Imilcon, après avoir foutenu divers affauts, & défendu fes bréches, fe retranche encore dans l'intérieur de la ville, & s'y maintient fans pouvoir être emporté. Ces fortes de défenfes font trèscommunes chez les Anciens. Nos ancêtres les ont imités, finon avec autant d'intelligence, du moins avec autant de valeur : j'entens ici par nos ancêtres les nations de toute l'Europe, & un efpace de trois fiécles entr'elles & nous.

Nous coupons nos baftions lorfque les affiégeans commencent de battre en bréche le corps de la place: qui ne croiroit, à voir une garnifon occupée à ces fortes d'ouvrages, qu'elle veut foutenir l'affaut, & cependant c'est à quoi l'on penfe le moins. Nos plus belles défenfes ne nous offrent aucun éxemple de ces fortes d'actions vigoureufes.

Les tours baftionnées du Maréchal de Vauban font très-bonnes ; mais jufqu'ici nous n'avons pas vû qu'aucun de ceux qui ont défendu Landau, en ait fait le moindre ufage. On diroit qu'elles n'ont été faites que pour la montre.

Un fiége, pour être digne de l'admiration des experts, ou de leurs éloges, ne confifte pas dans la grandeur des préparatifs, ni dans la durée : tous cela ne fignifie rien. On me demandera en quoi donc je fais confifter le mérite d'un fiége. Je répondrai que c'eft en l'habileté : deux antagonistes ne peuvent-ils pas être deux hommes très-bornés, deux manoeuvres, l'un pourtant un peu moins manœuvre que l'autre ? Ils ne laifferont pas pourtant que de l'être tous les deux, au jugement des connoiffeurs, qui ne verront rien que de médiocre dans ce qu'ils feront, foit dans l'attaque, foit dans la défenfe. Cela n'empêche pas que le fidge ne tire en longueur, & n'aille fon train, parce que l'un fera un génie très-médiocre, & l'autre tout à fait lourd, qui l'attaquera très-mal. Si celui-ci

ne

nouveaux ouvrages fuccédant toujours aux premiers, & s'avançant de plus en plus, enfin ils culbutérent fix tours qui étoient du même côté que la précédente, & entreprirent de jetter bas les autres à coups de bélier. Comme ce fiége fe pouffoit avec beaucoup de chaleur, que des tours il y en avoit chaque jour qui menaçoient ruine, & d'autres qui étoient renverfées, que les ouvrages s'avançoient de plus en plus, & jufqu'au dedans de la ville, les affiégés étoient dans une épouvante & une confternation extrême, quoique la garnifon fût de plus de dix mille foldats étrangers, fans compter les habitans, & qu'Imilcon qui commandoit fit tout ce qui étoit pollible pour se bien défendre, & arrêter les progrès des affiégeans. Il relevoit les bréches, il faifoit des contremines. Chaque jour il voltigeoit de côté & d'autre, il guêtoit le moment où il pourroit mettre le feu aux machines: & pour le pouvoir, il livroit jour & nuit des combats plus fanglans quelquefois, & plus meurtriers, que ne font ordinairement les batailles rangées.

couver

Pendant cette généreufe défenfe, quelques uns des principaux Offi- Trahiciers des foldats étrangers, complotérent entr'eux de livrer la ville aux fon déRomains. Perfuades de la foumillion de leurs foldats, ils paffent de te. nuit dans le camp des Romains, & font part au Conful de leur projet. Un Achéen, nommé Alexon, qui autrefois avoit fauvé Agrigente d'une trahifon que les troupes à la folde des Syracufains avoient tramée contre cette ville, aiant découvert le premier la confpiration, en alla

ne fe rebute pas, il faut bien que la place fe rende. Le voilà très-glorieux de fa conquête, l'autre ne le fera pas moins de fa défense: tous les deux éblouiront les fots, mais les gens éclairés qui ont la vûe moins foible, en penferont tout différem

ment.

S'il faut le dire en paffant, tous les fiéges font prefque les mêmes dans l'attaque comme dans la défenfe. Celle-ci paroît une fcience dans les An ciens, & même très-profonde: c'est aujourd'hui une routine, l'autre l'eft encore plus; on ne va pas plus loin que certaines régles déja furannées, au lieu que les habiles gens fuivent des méthodes différentes dans leur façon d'affiéger ou de fe défendre; il y a toujours quelque nouveauté, & fouvent tout eft nouveau dans une défenfe. I eft des fiéges comme des batailles: un Général du commun en gagnera dix contre un autre trèsau-deffous. Quel dégât de fuperlatifs & d'éloges ambulatoires! Il fera mis tout au moins au niveau de Céfar & du grand Alexandre. S'il en rencontre un autre fort au deffous de ces deux grands hommes, mais pourtant fort au deffus de lui, il en perdra autant & au-delà qu'il en aura gagné, le voilà dégradé de tous ces titres pompeux de grand homme, d'homme excellent; il tombera dans le dernier mépris, & il en fera digne.

Tome 1.

Le fiége de Lilybée eft mémorable, parce que la fcience & la valeur fe trouvent dans les Chefs des deux partis. Rien de plus favant, rien de plus beau, rien de plus inftructif que cette attaque, rien de plus admirable & de plus profond que cette défense: tout ce que l'art a de plus fin & de plus rufé, paroît ici au plus haut degré de perfection. On y voit tout ce que nous avons de chicanes, paralléles, fappes, retranchemens derrière les bréches, jufques dans l'intérieur de la ville, galeries fouterraines, contre-galeries, combats dans ces lieux fouterrains: ceux qui font les moins taupes des yeux & de l'efprit, rendent inutiles les ouvrages des autres; tout ce qui fe paffe fous terre cft admirable, tout ce qu'on voit deffus eft furprenant. A-t-on jamais oui parler d'un fiége, où les forties font des batailles en forme, & où l'on pcrd tout autant de monde, foit pour renverfer les travaux, foit pour les défendre. Voilà affurément un beau fujet de Commentaire, nous n'avons garde de le laiffer échaper. Il nous a fourni un ouvrage régulier de l'attaque & de la défenfe des places des Anciens, & un nombre d'obfervations fur ces deux parties de la guerre: comme c'eft ici un des endroits des plus curieux, le plus neuf & le plus intereffant de ce grand ouvrage, j'y renvoie le Lecteur, qui le trouvera à la fin du premier Livre de Polybe.

Υ

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