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Secours conduit par Annibal.

informer le Commandant des Carthaginois. Celui-ci auffi-tôt affemble les autres Officiers, il les exhorte, il emploie les priéres les plus preffantes & les plus belles promeffes, pour les engager à demeurer fermes dans fon parti, & à ne point entrer dans le complot. Il ne les eut pas plutôt gagnés, qu'il les envoia vers les foldats étrangers, Gaulois & autres. Pour leur aider à perfuader les premiers, il leur joignit un homme qui avoit fervi avec les Gaulois, & qui par là leur étoit fort connu. C'étoit Annibal, fils de cet Annibal qui étoit mort en Sardaigne. Il députa vers les autres foldats mercénaires Alexon, qu'ils confidéroient beaucoup, & en qui ils avoient de la confiance. Ces Dépu tés affemblent la garnifon, l'exhortent à être fidéle, fe rendent garans des promeffes que le Commandant faifoit à chacun des foldats, & les gagnent fi bien, que les traîtres étant revenus fur les murs pour porter leurs compagnons à accepter les offres des Romains, on eut horreur de les écouter, & on les chaffa à coups de pierres & de traits. C'est ainfi que les Carthaginois trahis par les foldats étrangers fe virent fur le point périr fans reffource, & qu'Alexon, qui auparavant par fa fidélité. avoit confervé aux Agrigentins leur ville, leur païs, leurs loix & leurs libertés, fut encore le libérateur des Carthaginois.

A Carthage, quoique l'on ne fût rien de ce qui fe paffoit, on penfe néanmoins à pourvoir aux befoins de Lilybée. On équipa cinquante vaiffeaux, dont on confia le commandement à Annibal, fils d'Amilcar, Commandant des galéres, & ami intime d'Adherbal: & aprés une exhortation convenable aux conjonctures préfentes, on lui donna ordre de partir fans délai, & de faifir en homme de cœur le premier moment favorable qui fe préfenteroit de fe jetter dans la place affiégée. Annibal fe met en mer avec dix mille foldats bien armés, mouille à Egufe entre Lilybée & Carthage, & attend là un vent frais. Ce vent fouffle, Annibal aufli-tôt déploie toutes les voiles, & arrive à l'entrée du port. L'embarras des Romains fut extrême. Un événement si subit ne leur donnoit pas le loifir de prendre des mefures: & d'ailleurs s'ils fe fuffent mis en devoir de fermer le paffage à cette flotte, il étoit à craindre que le vent ne les pouffat avec les ennemis jufques dans le port de Lilybée. Ils furent donc réduits à admirer l'audace avec laquelle ces vaiffeaux les bravoient. D'un autre côté les affiégés affemblés fur les murailles, attendoient avec une inquiétude mêlée de joie comment ce fecours inefpéré arriveroit jufqu'à eux. Ils l'appellent à grands cris, & l'encouragent par leurs applaudiffemens. (a) Annibal entre dans le

(a) Annibal entre dans le port té:e levée, &y débarque fes foldats.] Notre Auteur ne peut voir fans admiration l'audace étonnante de la flotte Carthaginoife, qui paTe tout au travers de celle des Romains. Je ne vois pas qu'il y ait dans cette

action un fi grand fujet de furprife. Annibal cingle par un tems frais & vent arriére droit au port, lorfque le vent cft tout à fait contraire aux Romains, & par confequent aux manoeuvres pour en empêcher l'entrée. Ils n'avoient garde de fe fer

port tête levée, & y débarque fes foldats, fans que les Romains ofaffent fe préfenter; ce qui fit plus de plaifir aux Lilybéens que le fecours même, quelque capable qu'il fût d'augmenter, & leurs forces & leurs efpérances. Imilcon, dans le deffein qu'il avoit de mettre le feu aux machines des affiégeans, & voulant faire ufage des bonnes difpofitions où paroiffoient être les habitans & les foldats fraîchement débarqués, ceux-là parce qu'ils fe voioient fecourus, ceux-ci parce qu'ils n'avoient encore rien fouffert, convoque une affemblée des uns & des autres: & par un difcours où il promettoit à ceux qui fe fignaleroient, & à tous en général, des préfens & des graces de la part de la République des

vir de leurs voiles, encore moins de leurs avirons, & de nager à l'ennemi, comme on dir, debout à la lame, non feulement ils n'euffent pû l'aborder, mais ils s'expofoient encore d'être emportés dans le port avec les ennemis par l'impétuofité du vent ce qui fit qu'ils n'oferent leur en empêcher l'entrée. Cette manœuvre n'étoit pas ce qu'il y avoit le plus à redouter, Polybe ne dit-il pas une ou deux pages plus bas, que la paffe étoit très-difficile & très-dangereufe, entre des bancs de fable. Il n'étoit donc pas poffible aux Romains de s'oppofer à l'entrée du fecours qui venoit de Carthage, fans fe précipiter dans un péril manifefte, le vent & les flots leur étant tout à fait contraires, au lieu que tout étoit favorable aux ennemis: l'entrée du port, quoique difficile, étoit difpofée de telle forte que les vaiffeaux y en troient à la file, les uns derrière les autres, & fur le même rumb de vent, & fur la même trace navale.

Le fameux Jean Baert arrivant de la mer Baltique avec une flotte chargée de grains, dont la France manquoit, apprit fur fa route que la flotte Angloife bloquoit le port de Dunkerque, où il avoit ordre de débarquer. L'entrée en étoit difficile, il falloit paffer à travers cette flotte, & furmonter une infinité d'obstacles très-périlleux: il ne laiffa pas que de tenter l'avanture, & de la mettre à fin par les manœuvres les plus hardies, les plus fines & les plus rufées dont on ait jamais ouï parler.

Je ne fuis nullement furpris qu'Annibal foit entré dans le port de Lilybée avec fon convoi, rien n'étoit plus aifé que cette entreprife: mais celle d'en fortir quelques jours après, voilà ce qui me furprend; car bien que le vent lui fût favorable, il ne pouvoit éviter ce femble d'être attaqué par l'armée Romaine, ou d'en être fuivi. En effet le même vent qui le pouffoit hors du port, n'étoit pas moins avantageux & moins favorable aux Romains pour le joindre & pour le combattre, & cependant ils le laiffent paffer: Sela me femble difficile à comprendre. Je m'imagine affez que les premiers navires pouvoient aifément s'échaper, parce qu'il falloit du tems pour appareiller; mais les autres qui fuivoient à la file, pouvoient-ils é viter d'être abordés debout au corps ? Et cepen

dant rien ne branle & rien ne remuë, je n'en vois pas la raifon : eft-ce faute de courage, ou d'expérience? Je ne déciderai pas là-deffus: s'il me l'étoit permis, je dirois que le courage ne leur manquoit pas, mais que leur ignorance dans la marine. les difpenfoit de bien de manoeuvres hardies, que les autres peuples plus éxercés dans cet art n'euffent pas laiffé échaper. Il eft hors de doute que les Romains n'y excellérent jamais; car quand les Hiftoriens ne nous l'apprendroient pas, l'éxemple des faits que Polybe rapporte, nous méneroit à la conviction. Il eft vifible que leurs vaiffeaux étoient très-lourds & très-groffiérement conftruits, leurs pilotes & leur chiourme fans expérience, l'éxemple de tant de naufrages achève de nous en convaincre; on ne les reconnoît pas feulement à ces marques dans la premiére guerre Punique, mais encore dans celle d'Antiochus l'an 563. de Rome, où il paroit qu'ils n'étoient guéres plus avancés dans la conftruction que la premiére fois qu'ils montérent fur mer. Qui le croiroit? Ils ne l'étoient guéres davantage du tems même de Céfar. Quoiqu'on prétende que les Tyriens & les Carthaginois étoient les plus habiles hommes de mer dont l'Hiftoire faffe mention, nous ne voions pas qu'ils aient furpaffé les Rhodiens en adresse, en expérience, & même dans la conftruction. Céfar nous fait très-bien connoître l'ignorance des Romains dans la marine: s'ils ont fait quelques bons coups dans les actions navales, les Rhodiens, en ont eu eux feuls la gloire, autant par leur adreffe que par leur courage; c'eft à l'expérience, & à la hardieffe d'Euphranor, qui commandoit les galéres de Rhodes, qu'il dût la victoire qu'il remporta fur les Egyptiens auprès d'Alexandrie. Cé far en fait un éloge très-honorable; il affure qu'il lui dût le gain de cette bataille. Il y avoit, dit-il, des bancs de fable entre les deux armées: or comme la paffe étoit étroite, chacun attendoit que l'autre paffat pour le charger en défordre: Euphranor voiant Cefar dans l'incertitude, fe chargea de paffer le premier avec quatre galéres; elles font tout à l'inftant invefties par les ennemis: mais elles fe démélérent fi bien par leur adreffe & par leur expérience, qu'on ne pût jamais leur gagner le flanc, & les joindre debout au corps: de forte qu'on eut le tems de les fecourir.

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Combat

chines.

Carthaginois, il fut tellement enflamer leur zéle & leur courage, qu'ils criérent tous qu'il n'avoit qu'à faire d'eux fans délai, tout ce qu'il jugeroit propos. Le Commandant, après leur avoir témoigné qu'il leur favoit gré de leur bonne volonté, congédia l'affemblée, & leur dit de prendre au plutôt quelque repos, & du refte d'attendre les ordres de leurs Officiers.

Peu de tems après il affembla les principaux d'entr'eux, il leur affifanglant gna les poftes qu'ils devoient occuper, leur marqua le fignal & le tems aux ma de l'attaque, ordonna aux Chefs de s'y trouver de grand matin avec leurs foldats. Ils s'y rendirent à point nommé. Au point du jour on fe jette fur les ouvrages, par plufieurs côtés. Les Romains qui avoient prévû la chofe, & qui fe tenoient fur leurs gardes, courent par tout où leur fecours étoit néceffaire, & font une vigoureufe réfiftance. La mêlée devient bientôt générale, & le combat fanglant. Car de la ville il vint au moins vingt mille hommes, & dehors il y en avoit encore un plus grand nombre. L'action étoit d'autant plus vive, que les foldats fans garder de rang fe battoient pêle-mêle, & ne fuivoient que leur impétuofité. On eût dit, que dans cette multitude, homme contre homme, rang contre rang, s'étoient défiés l'un l'autre à un combat fingulier. Mais les cris & le fort du combat étoient aux machines. C'étoit çe que les deux partis s'étoient propofé dès le commencement, en prenant leurs poftes. Ils ne fe battoient avec tant d'émulation & d'ardeur, les uns que pour renverfer ceux qui gardoient les machines, les autres que pour ne point les perdre: ceux-là que pour mettre en fuite, ceuxci que pour ne point céder. Les uns & les autres tomboient morts fur la place même qu'ils avoient prife d'abord. Il y en avoit parmi eux, qui la torche à la main, & portant des étoupes & du feu, fondoient de tous côtés fur les machines avec tant de fureur, que les Romains fe virent réduits aux derniéres extrémités. Comme cependant il fe faifoit un grand carnage des Carthaginois, leur Chef qui s'en apperçut, fit fonner la retraite, fans avoir pû venir à bout de ce qu'il avoit projetté; & les Romains qui avoient été fur le point de perdre tous leurs préparatifs, reftérent enfin maîtres de leurs ouvrages, & les confervérent fans en avoir perdu aucun. Cette affaire finie, Annibal fe mit en mer pendant la nuit, & dérobant fa marche, prit la route de Drépane, où étoit Adherbal Chef des Carthaginois. Drépane eft une place avantageufement fituée, avec un beau port à fix vingt ftades de Lilybée, &. que les Carthaginois ont toujours eu fort à cœur de fe conferver.

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