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fléxions fur le bon & fur le mauvais de la conduite des deux Généraux. Je me bornerai à un petit nombre, le fait portant affez fon instruction.

Le Général Carthaginois fe conduifit dans cette action avec toute l'adresse & tout l'art d'un Capitaine habile & expérimenté. Il attendoit le moment qu'une partie de la flotte ennemie entrât dans le port, pour tomber alors fur fa gauche, penfant bien que fi la droite, avertie que la gauche étoit attaquée, fortoit du port pour courir au fecours, elle ne pourroit arriver à tems, ni manoeuvrer fans quelque defordre; il prévoioit que l'entrée en étant fort étroite, les Romains ne pourroient fortir qu'à la file, & qu'étant trop preffés leurs galéres s'entrechoqueroient infailliblement par la hâte de gagner le large; qu'il falloit promptement attaquer & doubler leur gauche (5), & lui ôter par là le pouvoir de l'étendre & l'élonger vers la pleine mer, en la fortifiant des galéres (6) qui fortoient du port. Il attaque donc cette gauche, la tourne & la double, & par là la droite fe touve hors d'état d'avancer, & fe voit acculée vers la côte, où elle eft obligée d'échouer. Voilà ce qu'Adherbal avoir penfé, prévû & bien médité, & tout réuffit felon fes méfures: au lieu que fon antagoniste, qui avoit du tems de refte pour fe garantir du piége par des précautions qui n'alloient certainement pas au-delà des limites de l'efprit commun, s'y laiffa prendre.

La conduite du Carthaginois n'eft pas pourtant éxemte de tout défaut en bien des chofes qui n'ont point rapport au combat. Comment peut-on être aufli peu fur fes gardes au voifinage d'une armée auffi audacieufe & auffi entreprenante que celle des Romains? Non feulement il laiffe fes navires dégarnis d'une partie de l'équipage, comme s'il en étoit à cent lieues, mais il néglige encore toutes les régles de précaution & de défiance que la guerre enfeigne pour fe mettre à couvert des entreprises que l'ennemi peut tenter fur nous. Pourquoi ne pas envoier à la découverte, & avoir des bâtimens en mer pour croifer fur les côtes ennemies? Qui eft-ce qui en ufe autrement? Les Romains, qui s'apperçoivent d'une conduite fi peu prévoiante, pensent à entreprendre fur cette flotte, je le crois bien: car ce qui produit & fait imaginer les grands deffeins, eft la négligence & le peu de difcipline qu'on obferve dans les camps & dans les places fortes. Si l'éxécution de l'entreprise de Claudius eût été conforme au projet, la perte d'Adherbal étoit infaillible.

Les Romains font découverts pour être partis trop tard; c'eft la premiére caufe de leur infortune. Cette faute eft celle où l'on tombe le plus ordinairement ; c'eft la pierre d'achopement des efprits trop fins, comme celle des efprits trop lourds : les premiers fe forment des difficultés où il n'y en a point, & des obftacles qui naiffent plutôt de leur imagination de la chofe même, & auxquels l'ennemi ne penfe point; les feconds voient avorter leurs deffeins, pour n'avoir rien de tout ce que les autres ont de trop: parce qu'ils manquent de cette vivacité fi néceffaire à la guerre, & de ce bon fens qui ne l'eft pas moins, les chofes les plus aifées leur paroiffent infurmontables: ils s'arrêtent à celles-ci, & ce qui eft le plus difficile leur échape. Ils le négligent faute d'efprit & d'intelligence, & font leur capital & le fujet de leur attention de ce qui en eft le moins digne; mais dès qu'il s'agit de l'éxécution, & qu'ils s'y trouvent tout à fait engagés, ils reconnoiffent, à leur honte, qu'ils ont pris de fauffes mefures, qu'ils n'ont rien entendu, ni à la marche par rapport au païs, ni à l'opportunité du tems, qui doit nous régler pour partir & pour arriver à l'heure marquée; ni aux préparatifs, ni au choix des Officiers capables, ou d'éxécuter les ordres du Général, ou de les changer felon le tems & les conjonctures; enfin qu'ils n'ont pas autant fongé à attaquer qu'à fe défendre. Or quand on penfe trop à l'un, comme fit Claudius, on eft hors d'état de rendre aucun combat, parce qu'on n'a pas prévû qu'il arrive fouvent tout le contraire de notre deffein & de nos espérances.

On a vû pourtant de ces efprits lourds, en matiére de guerre, réuffir quelquefois; mais, fi l'on y prend garde, le fuccès de leurs affaires vient bien moins de la jufteffe des moiens qu'ils prennent, que de l'imprudence ou de l'ignorance, ou de la lâcheté de ceux à qui ils ont affaire. Finiffons ceci par une maxime d'un de nos Maitres: Celui qui pense à tout ne fait rien: celui qui pense à trop peu de chofes, eft fouvent trompé.

Autre faute du Romain. Lorfque Claudius s'apperçut qu'il avoit marqué l'heure, il pouvoit virer de bord, & s'en retourner d'où il étoit venu; c'étoit tout ce qu'il pouvoit faire de plus fage & de plus judicieux: l'autre parti étoit incertain & douteux. Ses foldats ne manquoient ni de courage ni de réfolution; mais cela ne fuffit pas pour la victoire. Il leur falloit un chef capable de les conduire, ils s'apperçurent bientôt qu'ils en manquoient. Pour reprendre fes fautes, car on ne le fauroit trop pour notre inftruction; dès qu'il fe fut préfenté devant le port, il ne fongea pas à fe mettre en bataille, & à fe précautioner en dehors; il fit plus: il négligea de faire reconnoître non seulement l'entrée du port, où il n'auroit vû perfonne, mais encore les rochers & les écueils qui étoient près de l'endroit où Adherbal s'étoit caché avec toute fa flotte. Si le Conful eût pris cette précaution, il fe dégageoit d'un piége, qui n'étoit pas autrement fort fubtil, & qui ne pouvoit réuffir que contre un Général imprudent, fans expérience & fans précautions. Pour peu qu'il en eût pris, l'ennemi fe fût trouvé très-embaraffé, & fût tombé lui-même dans le piége qu'il avoit tendu: l'on peut dire qu'il étoit furpris lui-même, attaqué, environné & acculé contre ces rochers fans aucune espérance de fe fauver, qu'en donnant tout au travers, & en faifant périr les bâtimens pour fauver les hommes. Difons la vérité: le Général Carthaginois donna beaucoup à la fortune, c'étoit une néceffité, que fai-je s'il ne fut pas plus heureux qu'il ne fut habile ?

L'entreprise de Telutias, Général de la flotte de Lacédémone, fur le port d'Athénes, fut bien autrement conduite que celle de Claudius. Elle mérite d'avoir place ici, c'eft Thucydide qui nous l'apprend: nous nous fervirons de la traduction d'Ablancourt; car lorfqu'on peut joindre l'utilité des éxemples aux charmes de la diction, il faut bien fe garder de négliger les Auteurs qui en font les mieux fournis.

Les Lacédémoniens aiant donné le commandement de leur armée navale à Telutias, avec l'applaudiffement de toute la flotte, il voulut faire voir à fes foldats qu'il étoit digne d'être à leur tête, par une entreprise des plus hardies dont l'I liftoire fafle mention, & d'une conduite fi admirable, que je ne vois rien de plus beau & de mieux ménagé: tout dépendoit du fecret & de la diligence. Il débuta par une harangue pour encourager fes foldats, & ces harangues font d'un grand effet. Quoique ce ne foit plus la mode d'en faire, celle-ci paffera ici avec le refte, pour nous exciter à la fobriété & à bien d'autres vertus.

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,, Quoique je ne vous apporte point d'argent, Compagnons, j'efpére avec l'aide des Dieux, leur dit-il, de vous faire fubfifter par votre valeur & par ma conduite. Vous favez que tandis que j'ai commandé, vous n'avez point été traités plus mal que moi, & que j'ai toujours mieux aimé manquer de quelque chofe, que de vous en voir ,, manquer. En un mot, Je me pafferois plutôt deux jours de pain, que de vous en laiffer paffer un jour. jour. Auffi ne m'avez-vous jamais vû faire bonne chére, qu'alors » que vous avez eu de tout abondamment; & comme ma porte eft toujours ouverte, & que tous ceux qui ont affaire à moi me peuvent parler à toute heure, je ne vous , puis tromper ni furprendre: quand vous me voiez donc fouffrir, vous ne devez pas ,, trouver étrange de fouffrir avec moi, puifque c'eft pour votre intérêt. Ce n'eft , que par les travaux & les dangers que nos ancêtres font montés à ce haut faite de

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grandeur; & en continuant comme vous avez commencé, vous couronnerez les vôtres d'une fin heureuse. Il n'y a rien de plus glorieux que de ne dépendre de perfonne, & de vivre aux dépens des ennemis, fans avoir befoin de faire la cour ni aux Grecs ni aux Barbares. Les foldats s'écriérent qu'il les menât où il lui plairoit; & après avoir facrifié, il leur ordonna de repaître, & de s'embarquer auffi-tôt avec des vivres pour un jour, afin de pouvoir arriver à tems où Dieu les voudroit conduire. Il partit incontinent après, & cinglant de nuit vers le port d'Athénes, faifoit repofer de tems en tems les rameurs, s'approchant quelquefois d'eux pour les entretenir; que fi quelqu'un croioit que ce fut une témérité à lui, avec douze ,, galéres, d'en attaquer un plus grand nombre jufques dans le port; qu'il confidére, ,, qu'après la défaite de Gorgopas, les Athéniens s'étoient relâchés comme s'il n'y eût eu plus rien à craindre, & qu'il étoit plus facile de les défaire dans le port qu'ailleurs: car il favoit qu'à Athénes chacun croiant être en fûreté, iroit coucher dans fon lit, & qu'il ne demeureroit perfonne fur les galéres. Comme il fut à fix ,, ou fept cens pas du port, il fit halte pour donner haleine à fes gens, & attendre la venue du jour. Il n'eut pas plutôt paru, qu'il vogua à toutes rames droit au Pirée, fans fouffrir en arrivant qu'on coulât à fond, ni qu'on brifât aucun vaiffeau, fi ce n'étoit des galéres, qu'il faifoit mettre auffi-tôt hors de combat. On remor,, quoit les moindres vaiffeaux de charge, & l'on fe contentoit de faire des prisonniers dans les grands, jufqu'à en arrêter quelques-uns qui étoient couchés dans le ,, magazin. Cependant on court du Pirée donner l'alarme dans la ville, chacun fort ", pour voir ce que c'étoit, & tout le monde prend les armes & fe rend au port. Alors Telutias renvoia à Egine les vaiffeaux qu'il avoit pris, avec trois ou quatre galéres, & rafant la côte gagna quantité de barques de pêcheurs & de paffage: puis étant arrivé à Sunium, s'empara de plufieurs vaiffeaux marchands, après quoi il retourna vendre fon butin à Egine, & donna un mois d'avance à ses foldats. Enfuite il courut librement par tout, & prit tout ce qu'il put attraper; ce qui en"tretenoit le courage & l'obéiffance du foldat, & fourniffoit à fa fubfiftance.

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Junius paffe en Sicile. Nouvelle difgrace des Romains à Lilybée. Ils évitent heureusement deux batailles. Perte entiére de leurs vaiffeaux. Junius entre dans Eryce, defcription de cette ville.

Et échec, quelque confidérable qu'il fût, ne ralentit pas chez les

nation. On ne négligea rien de ce qui fe pouvoit faire pour cela, & l'on ne s'occupa que des mefures qu'il falloit prendre pour continuer la guerre. Des deux Confuls qui avoient été créés cette année, on choifit Lucius Junius pour conduire à Lilybée des vivres & d'autres munitions pour l'armée qui alliégeoit cette ville, & on lui donna foixante vaiffeaux pour les escorter. Junius étant arrivé à Mefling, & y aiant groffi fa flotte de tous les bâtimens qui lui étoient venus du camp & du refte de la Sicile, il partit en diligence pour Syracufe. Sa flotte étoit

de fix vingt vaisseaux longs, & d'environ huit cens de charge. Il don na la moitié de ceux-ci avec quelques-uns des autres aux Quelteurs, avec ordre de porter inceffamment des provifions au camp, & refta à Syracufe pour y attendre les bâtimens qui n'avoient pû le fuivre depuis Melline, & pour y recevoir les grains que les Alliés du milieu des terres devoient lui fournir.

Vers ce même tems Adherbal, après avoir envoié à Carthage tout ce qu'il avoit gagné d'hommes & de vaiffeaux par la derniére victoire, forma une efcadre de cent vaiffeaux, trente des fiens, & foixante & dix que Carthalon qui commandoit avec lui avoit amenés, mit cet Officier à la tête, & lui donna ordre de cingler vers Lilybée, de fondre à l'improvifte fur les vaiffeaux ennemis qui y étoient à l'ancre, d'en enlever tout le plus qu'il pourroit, & de mettre le feu au refte. Carthalon fe charge avec plaifir de cette commiflion, (a) il part au point du

(a) Il part au point du jour, brille une partie de la flotte ennenie. Tout ce que l'art peut inventer de rufes & d'artifices, de grand & de profond: enfin, tout ce qu'un homme brave & déterminé peut oppofer de nouveau & de furprenant dans l'attaque & la défenfe des places, on n'a que faire de le chercher autre part que dans le fiége de Lilybée. Il renferme tout entier à pur & à plein ces deux parties de la guerre. Ce font des faits dont il est très-aifé de tirer les préceptes, fans recourir aux raisonnemens du Commentateur. Ce qu'on trouvera peut être de bien furprenant, c'eft que tout ce qu'on peut imaginer d'événemens extraordinaires qui peuvent entrer dans la compofition d'un fiége, ou qui naiffent dans le cours d'une défenfe de plufieurs mois, foit dans le fecours, foit dans les forties, fe trouvent dans celui-ci. Ne diroit-on pas que notre Auteur, à l'imitation de Xénophon, a voulu traiter de l'atraque & de la défenfe des places en titre d'Hiftoire, ou de Roman militaire, comme bien des gens le prétendent à l'égard du dernier dans fa Cyropedie, quoiqu'il femble qu'il n'y ait rien de romanefque dans la conduite, dans la fageffe & les autres vertus militaires de fon Héros: car tout ce qu'il en dit n'a rien de furprenant, ni rien qui foit au deffus des forces humaines. Un Roman bâti de la forte amufe, plait & inftruit, & nous porte aux grandes penfées comme à la vertu. Ce fiége, que notre Auteur décrit, n'eft pas un Roman fait à plaifir, mais un des plus beaux morceaux de fon Hiftoire: c'est dommage qu'il ne fe foit pas donné car. riére dans ce qu'il rapporte de l'incendie de la flotte Romaine, qui bloquoit Lilybée du côté de la mer. Il décrit ce fait d'une manière fi coupée & fi étranglée, que j'ai lieu d'en être étonné, à caufe de la rareté de l'entrepiife. Je l'appelle rareté, parce que les Anciens n'étoient pas à beaucoup près fi incendiaires que nos Modernes, aufquels on attribue l'invention diabolique de ces fortes de

bâtimens qu'on appelle brûlots, fi peu eu ufage dans les Anciens: je ne trouve qu'un feul éxem. ple dans l'Hiftoire où il foit parlé de brûlot. C'est Appien qui me le fournit dans fa defcription du fiége de Carthage par les Romains.

Cenforinus fe trouvant à l'ancre avec fa flotte dans l'étang qui étoit tout auprès du Mole, & ne pouvant y tenir à caufe de la puanteur de fes eaux, qui n'avoient aucun cours, outre qu'on é toit alors dans les plus grandes ardeurs de la Canicule: Cenforinus, dis-je, fe réfolut de jetter l'ancre plus avant dans la pleine mer. Les Carthagi nois s'en étant apperçûs, penférent que s'ils pou. voient brûler fa flotte, ils feroient lever le fiége. ou que du moins ils le retarderoient de plufieurs jours. Ils s'aviférent de remplir plufieurs de leurs vaifeaux de matiéres faciles à s'enflammer, & aiant attendu le tems propre pour cette entreprife, iis fortirent du port, & voguérent droit à Cenforinus, qui les voiant arriver fur lui, léve l'ancre & leur vient au devant. La rufe étoit d'un tour trop nouveau, pour s'imaginer qu'il s'agit dans cette affaire de toute autre chofe que d'un combat dans les formes; il fe trompa dans fon opinion: car à peine les eut-il approchés, que les Carthaginois mettent le feu à leurs vaiffeaux, qui fe prit aux autres avec tant de fuccès & de violence, à caufe du vent qui les chaffoit contre, que les Romains ne pûrent s'en garantir. Ils y perdirent la plus grande partie de leur flotte, qui fut entiérement brûlée.

Il n'eft pas difficile de comprendre qu'on peut brûler une flotte à l'ancre dans une rade: mais un Hiftorien qui oublie de ramaffer les circonftances des chofes, des lieux & des moiens que Carthalon avoit de brûler la flotte Romaine, afin que le Lecteur puifle entendre comment il en est venu à bout: un Iiftorien, dis-je, qui écarte tout cela, eft d'autant moins pardonnable, qu'on ne voit que très-peu d'éxemples dans l'iifloire de

jour, brûle une partie de la flotte ennemie, & disperse l'autre. La terreur fe répand dans le camp des Romains. Ils accourent avec de grands cris à leurs vaiffeaux; mais pendant qu'ils portent là du fecours, Imilcon qni s'étoit apperçu le matin de ce qui fe paffoit, tombe fur eux d'un autre côté avec fes foldats étrangers. On peut juger quelle fut la confternation des Romains, lorfqu'ils fe virent ainfi envelopés.

ce tems-la de ces fortes d'entreprifes. Qu'on re. monte encore plus haut, ils font encore plus rares: on n'en voit même aucun. L'imagination des Lecteurs n'aura pas beaucoup à travailler,pour déviner quels pûrent être les moiens dont le Général Carthaginois fe fervit pour brûler cette flotte, fans avoir recours à ceux dont nous nous fervons aujourd'hui pour réuffir. Végéce nous les apprend dans fon quatrième Livre, ou plutôt dans fon cinquième, où il traite de la guerre navale. Je ne fai comment Stéwéchius a pû confondre l'un avec l'autre. Quoiqu'il en foit, notre Auteur militaire eft conforme aux Hiftoriens qui ont écrit des machines dont on se servoit pour bruler les vaiffeaux dans les combats de mer C'étoient les mêmes dont on ufoit dans les fiéges. On fe fervoit de dards & de fléches enflammées, que les Anciens appelloient Malleoli. Ammien Marcellin en donne la defcription, qui ne me femble pas affez curieufe pour mériter d'avoir place ici. Il dit feulement que ces dards & ces fléches avoient la figure d'une quenouille dont on fe fert pour filer. Je lui paffe fa quenouille, mais non pas toutes les autres machines qui la compofent; les Auteurs prétendent qu'on envelopoit de l'étoupe trempée, ou paitrie dans une compofition de matiére propre à s'enflammer, où il y entroit, felon Végéce, de l'huile, du foulphre & du bithume, & peut-être du camphre: on lançoit ces dards & ces fléches contre les tours ambulantes & les tortues des affiégeans, & par le moien des balistes, & fouvent des pots à feu remplis de ces fortes d'artifices: on s'en fervit depuis fur mer, mais fort tard, caravec ces feux on commença d'ufer de toutes fortes de machines de jet dans les affaires de mer. Ceux de Lilybée fe fervirent fort heureusement de ces fortes de dards enflammés contre les travaux des afliégeans, aufquels ils mirent enfin le feu dans une grande fortie, où un vent impétueux qui s'éleva leur fut auffi favorable qu'à Carthalon, qui emploia fans doute cet artifice pour brûler une partie de la flotte des Romains; car le même vent, qui le menoit à l'ennemi, faiioit voguer fes efpé'rances comme fes fléches & fes dards dans la vague de l'air, & le tems qui ne pouvoit être que contraire aux Romains rendoit leurs manoeuvres inutiles & prefque fans effet.

Tout dépendoit du fecret & de la diligence, mais il dépendoit du Général Romain d'éventer l'un, & de réduire l'autre à l'abfurde, s'il n'eût

Tome I.

manqué de prévoiance, de prudence & de précau tions. Il fe laiffa furprendre de la maniére du monde la plus honteufe, & c'est l'ordinaire aux armées qui ont une trop grande opinion de leurs forces & de leur courage; ce qui arrivoit affez ordinai. rement aux foldats & aux Généraux Romains. Il eft bon, & même c'est une régle de politique militaire, d'infpirer aux foldats un très grand mépris de l'ennemi: mais c'eft un très-grand défaut au Général d'armée de penfer de même que fes foldats; ceux qui fe gouvernent de la forte font plus foldats que Capitaines, & quelquefois rien de tout cela.

Qu'on remarque bien ce que je vais dire: les Romains ont plus perdu de batailles par la faute de leurs Généraux, que par l'ignorance & le peu de valeur de leurs foldats. Leur difcipline mil taire faifoit souvent un tel effet, qu'ils réparoient par leur courage, & plus fouvent encore par leurs manoeuvres, les bévues de leurs Chefs; Céfar nous le fait affez appercevoir dans la bataille contre ceux du Hainaut & du Cambraifis. On fait que ce grand Capitaine fe trouva furpris, c'étoit le péché originel des Romains. Tous les Hiftoriens con. viennent qu'il s'en fallut bien peu qu'il ne périt avec toute fon armée. Si Céfar ne le dit pas formellement, il eft aifé de comprendre par le paffage de fes Commentaires, qu'il n'échapa de ce péril que par la valeur & l'expérience de les foldats. Céfar, dit-il fe trouvoit bien empêché, car il falloit planter l'étendart, qui étoit le figne du combat, faire fonner la charge, retirer les Joldats du travail, rappeller ceux qui étoient écartés, ranger l'armée ex bataille, l'encourager, lui donner le mot ; ce qui ne fe pouvoit faire tout en un tems, aiant les ennemis fur les bras: MAIS L'EXIE'RIENCE DU SOLDAT, ajoute-t-il, SUPPLE'OIT À TOUT. Et en effet fans cette expérience il perdoit la bataille, les Gaules & fa réputation. Voiez ce que e'est que d'être furpris, & s'il eft bien aifé de fe tirer des embarras où les furprises nous jettent. Céfar ne nous les repréfente pas tous : il eft certain qu'une flotte, qui eft à l'ancre, fe trouve beaucoup moins embaraflée qu'une armée de terre,lorfqu'elle fe voit surprise; & l'ennemi fur les bras. Uue flotte prife au dépourvû dans fon mouillage, coupe fes cables, laiffe fes ancres,& met à la voile: c'eft une affaire d'un inftant. Je crois encore que c'est une très-petite affaire, aux efprits même les plus communs, de s'empêcher d'ètre furpris, & plus aitement fur A a

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