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& fa néceffité ne font pas feulement fondées fur la confervation préfente d'un Etat: mais encore fur ce qu'on peut prévoir de l'avenir. C'est un mal qu'on prévient pour s'empêcher de tomber dans un plus grand.

S'il faut s'en rapporter au jugement d'une infinité d'Auteurs graves, il eft permis de prendre les armes contre une puiffance dont l'accroiffement nous pourroit nuire, & c'eft le confeil qu'on donnoit à Pyrrhus, qui vouloit, en très-mauvais politique, obferver le traité de paix fait avec Démétrius, tant qu'il fe trouveroit embaraffé dans une guerre. Mais une guerre eût mené Pyrrhus bien loin, & eût mis Démétrius en état de fe mocquer bientôt d'un Roi des Epirotes. Pyrrhus fuccomba à la tentation comme tant d'autres qui y fuccombent, fans qu'on puiffe y trouver à dire. Si l'on confulte Grotius, il vous dira qu'il demeure d'accord que lorsqu'on délibére fi l'on fera la guerre, on peut mettre auffi cette grande puissance en confidération, non comme une raifon de juftice, mais comme une raison d'intérêt, enforte que fi l'on a déjà un juste fujet de faire la guerre, cette feconde raifon fait voir qu'outre la justice, il y a auffi de la prudence de l'entreprendre. Grotius entend par cette raifon d'interêt, une raifon qui regarde notre falut ou notre liberté, & par là elle devient une raifon de juftice. Ceci fe confirme puiffamment par un paffage que je vais citer. Comme je ne me fouviens point du nom de l'Auteur, quelqu'un un peu mieux fourni de mémoire que je ne le fuis, s'en fouviendra. Il fe pourroit bien que je l'euffe lû dans Grotius. Il y a une maxime conforme à la doctrine des Peres & des meilleurs Scholaftiques, dit cet Auteur, qui porte que l'accroiffement des Rois voifins eft un fujet fuffifant pour leur faire la guerre; car la liberté eft une chofe que les droits divins & humains nous permettent d'aimer fi chérement, que l'appréhenfion d'être privé d'un fi grand bien, juftifie tout ce que nous faifons pour le conferver.

La guerre de 1701. n'eut d'autre fondement que la trop grande puiffance de la France; nos ennemis n'auroient-ils pas mieux fait d'alléguer cette raifon fondée fur la maxime précédente, que tant d'autres dont ils remplirent leurs Manifeftes? Il leur fuflifoit de prendre pour texte de tous leurs écrits (fi l'autorité des Peres n'étoit pas affez grave) ce paffage de Thucydide. Celui-là qui fait le moins de grace à fes ennemis & fouffre moins leur agrandiffement, eft celui qui a le moins de fujet de fe repentir & qui vit en plus grande affurance.

Polybe ne fe répand pas beaucoup en raifonnemens fur le principe de cette guerre des Romains; fi-non qu'il la croit injufte. Je ne fuis point de fon avis. Rome n'étoit pas en droit de punir les Mamertins; leur crime étoit infame, je l'avouë: mais comme ce peuple n'étoit pas fujet des Romains, ce n'étoit pas non plus à ceux-ci de les châtier, comme ils firent ceux de Rhége pour une perfidie fur un même & femblable modéle. C'étoit aux Souverains & aux autres puiffances de la Sicile de prendre la caufe des opprimés, de faire la guerre aux Mamertins, de les chaffer de Meffine & de remettre cette ville à fes anciens habitans.

Si Hiéron & les Carthaginois euffent affiégé les Mamertins par le feul motif de punir leur perfidie & de rendre cette ville à fes légitimes maîtres, la guerre des Romains eût été contre toute forte de juftice: mais l'on peut voir que cette guerre n'étoit fondée fur aucune de ces raifons. Si les Carthaginois euffent agi dans cette affaire felon les loix de l'honnête, rien ne les empêchoit de les mettre en éxécution. Les Mamertins leur avoient abandonné leur citadelle; quel plus beau prétexte de les chaffer de la ville, & de s'en rendre les maîrres, que celui de venger leur infidélité & l'atrocité de leur crime? C'étoit perdre leur occafion & le droit de premier occupant, ils ne s'en aviférent pas ; ils entreprirent enfuite une guerre fondée feulement fur ce qu'ils avoient été chaffés de la citadelle où ils n'avoient aucun droit, les habitans leur en avoient feu

lement donné la garde, ils les en chafférent lorsqu'ils s'apperçûrent qu'on vifoit à les foumettre & à fe faifir de leur ville; quoi de plus jufte que de fe remettre en liberté & de fecouer le joug de ces nouveaux maîtres? Que fi les Mamertins n'avoient pas plus de droit fur Meffine que les Carthaginois & les Romains; c'étoit donc au premier occupant qu'appartenoit la fouveraineté de cette ville; car, comme dit Grotius. elle fe perd lorfque le fujet, où réfidoit la fouveraineté ou la propriété de la chofe,cesse

d'être.

En rigueur le crime des Mamertins leur ôtoit tout droit de fouveraineté; la ville étoit donc au premier qui s'en rendroit le maîrre, ou au premier à qui les ufurpateurs la remettroient. Si c'eûffent été leurs enfans & que ceux qui avoient commis le crime n'euffent pas éxifté, la longue poffeffion rendoit le droit légitime & la fouveraineté à leurs fucceffeurs, & ceux-ci comme les autres étoient en pouvoir de remettre leur ville & de fe donner à qui bon leur fembleroit. Les femmes & les enfans des anciens habitans éxiftoient encore, ils ne faifoient plus qu'un même peuple avec les ufurpateurs, qui avoient eu des enfans de ces femmes; car il y avoit près de huit à neuf ans que cette affaire s'étoit paffée, & je ne crois pas qu'il reftât beaucoup de ces gens-là, la plupart aiant péri dans les guerres qu'ils avoient foutenues contre leurs voifins, & ceux qui reftoient étoient les fils de ceux qui avoient été égorgés ou chaffés de la ville.

Quand les Carthaginois ou Hiéron auroient eu pour principe de cette guerre le crime de ces malheureux, dont peu restoient en vie, ceux qui les attaquoient n'étoient pas en droit de le punir fur leurs enfans ou fur ceux qui n'y avoient eu aucune part. Que Dieu refufe fa miféricorde & la vie éternelle à des millions de perfonnes pour le pêché de notre premier pere, ce n'eft pas à nous de trouver à dire au droit fuprême qu'a le Créateur de difpofer comme il lui plaît de ces millions de perfonnes. Il n'eft pas permis aux hommes d'imiter Dieu, dit Grotius, outre que ce n'eft pas la même chofe; Dieu a droit fur notre vie fans la confidération d'aucun crime, au lieu que les hommes n'ont ce droit qu'en conféquence de quelque noire action, & qui foit du fait particulier des perfonnes qu'ils punissent.

Chacun doit être puni pour fon propre crime, c'eft la loi du Seigneur; c'eft encore une de fes loix de ne point faire mourir les peres pour leurs enfans, ni les enfans pour leurs peres. Les Paiens en avoient-ils d'autres? Y a-t-il aucun Etat, dit Ciceron, qui put fouffrir que quelqu'un y établit cette loi de punir le fils ou le petit fils, fi le pere ou l'ayeul avoient commis quelque crime? Les Romains n'euffent jamais fait mourir les enfans des foldats de Rhége, fi leurs peres n'euffent fubfifté encore & n'euffent été les mêmes qui commirent le crime; on ne trouvera dans aucun Auteur qu'ils aient fait mourir les enfans & les femmes de ces fcélérats. Dans le Droit Canonique, dit le célébre M. le Clerc, il eft porté que les péchés regardent ceux qui les commettent, & que la peine ue doit pas s'étendre plus loin que le délit. Ainfi tout ce que nous dit Polybe de la délicateffe & du fcrupule de confcience du Sénat Romain à rejetter l'alliance des Mamertins, & à refufer leur ville & leur citadelle pour ôtage de leur foi, eft une de ces chofes dont on ne peut raisonnablement douter. Il y auroit lieu de s'étonner qu'ils euffent balancé tout de bon dans une affaire de cette nature. Ils étoient trop habiles & trop fages pour ne pas s'appercevoir de ce qui devoit résulter de cette alliance & des offres des Mamertins; non feulement la conquête de la Sicile en dépendoit; mais encore leur propre falut & celui de toute l'Italie; ce qui n'étoit que trop visible comme Polybe le fait affez voir. Ainfi deux puiffantes raifons excitoient les Romains à paffer en Sicile, l'ambition des Carthaginois & la liberté de l'Italie & leurs propres intérêts plus que tout le refte. Ainfi tout fe trouvoit heureusement uni.

L'in

L'intérêt & la juftice, car quand celle-ci auroit manqué, ils n'euffent pas moins tenté la conquête de cette Ifle à tort ou à droit, quoique leurs adorateurs en difent, qui nous les representent ornés & parés de toutes les vertus de ces tems antiques; je ne les leur refufe point: ils en auront tant qu'il leur plaira, je ne m'y oppose pas. Mais il ne faut pas non plus les croire irréprochables fur l'ambition & fur les vûes d'agrandiffemens & de conquêtes. On fait qu'en ce cas la confcience ne leur faifoit pas plus d'obftacle qu'elle en faifoit aux Carthaginois. Ceux-ci alloient à l'injuftice à vifage découvert & fans feinte, les autres la couvroient du voile de l'équité & de la juftice. A parler fincérement, les Romains & les Carthaginois étoient également injuftes & ambitieux. Je n'oublirai jamais ce que difoit Mithridate des premiers, que ce n'étoit pas à la mauvaise conduite des Rois qu'ils en vouloient, mais à leur puiffance & à leur grandeur. Je reviens au fujet d'où cette digreffion m'a tiré.

On ne fauroit accufer les Romains d'avoir manqué dans les formalités qui ont été introduites dans une guerre folemnelle. Ils s'engagérent d'envoyer du fecours à ceux de Meffine comme à leurs alliés; il n'étoit pas befoin d'une dénonciation publique, quand même Appius Claudius n'eût pas fait ce qu'il fit pour fortifier fon droit. Car après avoir paffé le détroit & qu'il fut entré dans la ville: Il fit d'abord parler aux Carthaginois & aux Syracufains, mais on ne daigna pas feulement écouter ceux qu'il avoit envoiés. Enfin la néceffité lui fit prendre le parti de hazarder une bataille & de commencer par attaquer les Syracufains.

Cette démarche des Romains eft fans doute honnête & louable ; quoiqu'elle ne fùt pas autrement néceffaire, puifqu'il ne s'agiffoit que de la caufe de leurs alliés qu'ils étoient obligés de défendre par les conditions du traité: car quand cette guerre des Romains eût été injufte, elle eût tourné en une guerre juste & folemnelle, lorsque les ennemis rejettérent toute propofition de paix.

L'on peut juger par tout ce que je viens de dire que les principes de cette guerre n'eurent rien qui fût contraire au droit des gens; elle devint d'autant plus jufte, qu'il n'y avoit aucun traité ni avec Hiéron ni avec les Carthaginois, qui empêchât les Romains de fe mêler des affaires de la Sicile & de fecourir leurs alliés. Si je me fuis un peu trop étendu fur cette matiére, c'eft qu'elle m'a paru très-importante: elle fert à approfondir les caufes d'une guerre fi longue & fi féconde en événemens extraordinaires, dont la fin fut la conquête de la Sicile & l'expulfion des Carthaginois de cette Ifle, d'où nâquit la guerre d'Annibal, la deftruction de Carthage, & l'Empire du monde aux Romains, puiffance où ils ne fuffent jamais parvenus fans la guerre de Sicile. Je dis plus; jamais Annibal n'eût penfé à une fi furprenante & fi hardie entreprife que celle de paffer en Italie & d'y porter la guerre, fi la paffion & la haine contre les Romains ne la lui euffent fuggerée; plutôt que la grandeur de fon courage & fon expérience dans la fcience des armes.

S. II.

Combats de Melfine. Fautes des Généraux Carthaginois & Syracufains. Soupçon fur la retraite de Hieron Roi de Syracufe.

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Olybe eft fort fuccint dans le récit qu'il nous donne des deux combats de Claudius contre les Carthaginois & les Syracufains. Il ne faut pas s'en étonner puifque fes deux premiers Livres, comme il le dit lui-même, ne font qu'une introduction à fa grande Histoire.

Les Mamertins étoient réduits à l'extrêmité à l'arrivée des Romains. Ceux-ci
Tome I.
C

l'augmentérent, & cette extrémité tourna tout en bien. Dans un Général moins réfolu que Claudius elle eût tourné tout en mal; il tira fon falut de cette extrémité ; il ne vit point d'autre parti à prendre que de rifquer le tout pour le tout; c'étoit agir en habile homme contre un ennemi, qui fit affez connoître par la difpofition de fes poftes qu'il ne l'étoit pas trop. En effet il s'étoit partagé en deux corps ou en deux camps féparés; il eft aifé de comprendre qu'ils étoient fort éloignés l'un de l'autre. Le Général Romain remarqua parfaitement cette faute. Il vit qu'il pouvoit entreprendre fur le camp de Hiéron, & le battre avant que les Carthaginois penfaffent à le fecourir. Il engage cette affaire très-promptement, de peur que l'ennemi ne fe ravise, il marche aux Syracufains qui fortent de leurs retranchemens, l'action s'engage, les Romains font victorieux & l'ennemi se fauve dans fon camp comme dans un lieu d'afile. Les Cathaginois voient toute cette affaire en fpectateurs paifibles & fans branler. Je ferois fort embaraffé d'en donner la raifon. Seroit-ce par un trop grand excés de prudence de leur Général? car cette vertu portée à l'excés eft un très-grand vice dans un chef d'armée pour ne pas dire une lâcheté; peut-être qu'il craignit qu'on n'en voulût à lui-même & que la démarche du Romain ne fût qu'un artifice pour faire diverfion des forces de l'un & tomber fur l'autre. Hiéron, tout habile chef qu'il étoit, n'eût jamais dû fortir de fes retranchemens, lorfqu'il s'apperçut que toutes les forces des Romains & fans doute celles de la ville, lui alloient tomber fur le corps; il pouvoit foutenir longtems, & les Carthaginois euffent eu le loifir de le fecourir & de tomber fur les derrieres des Romains, Ceux-ci eurent d'autant meilleur marché des premiers, que l'action fe paffa en rafe campagne, & que les uns étoient animés par la gloire & les autres par la néceffité qui eft la plus forte de toutes les armes. Les Syracufains battus fe retiréreut dans leur Camp, où Claudius ne jugca pas à propos de les attaquer. J'en ignore les raifons. Où en étoit-il, fi Hiéron eût regardé cette défaite comme un non avenu, & qu'il fût refté dans fon camp clos & couvert & fans quitter partie? Claudius s'en füt-il bien trouvé? N'étoit-ce pas à recommencer? Heureufement il abandonna fon camp & tira droit à Syracufe nuitamment & à la fourdine, fans que fes alliés en euffent la moindre nouvelle. Quoiqu'il en foit, Hiéron fit la retraite en homme fage & prudent, bien moins par faute de courage, que par indignation contre des gens dont il avoit embraffé la caufe, & defquels il fe voioit abandonné. Il leur rendit bien le change.

Sans doute qu'il ne fut pas fâché de cette difgrace & que les Carthaginois échouaffent dans cette entreprise, où il n'y avoit rien à gagner ni à profiter pour fon païs: il étoit trop habile pour ne voir pas qu'il avoit plus à craindre de ceux-ci que des Romains, qui étoient bien plus honnêtes gens. La politique vouloit qu'il leur cédât pour diminuer la puiffance des autres. Il voioit bien que fi les Carthaginois fe rendoient maîtres de Meffine, ils ne manqueroient pas de lui chercher tôt ou tard chicane & de le chaffer de Syracufe.

C'étoit aux Carthaginois de penfer à ce qu'ils avoient à faire après cet échec & la retraite des Syracufains. Ils euffent mieux fait & plus prudemment de fe retirer, de peur de les imiter par leur défaite. Ce premier parti étoit le meilleur. Ils choifirent le pire. Comme ils étoient vains & qu'ils ne connoiffoient pas affez les Romains, ils s'imaginérent qu'il leur feroit honteux d'abandonner leur pofte,comme s'il ne l'étoit pas plus de s'expofer à un danger évident contre un ennemi victorieux & haut à la main. Ils voulurent tenter la fortune, & la fortune leur tourna le dos. Claudius, qui les vit immobiles dans leur camp, n'eut garde de ne pas profiter de cette bévûe. Il entreprend fur leur pofte, le force fans peine & les met en fuite.

Voilà le commencement de la premiére guerre Punique & la premiére époque de la grandeur Romaine.

La faute capitale des Carthaginois eft d'avoir négligé de bloquer Meffine du côté de la mer, & de faire avancer leur armée de ce côté-là. Ils ignorérent même les préparatifs des Romains, quoiqu'ils fe fiflent à deux pas d'eux. Ils ne pouvoient s'imaginer qu'ils ofaffent paffer le détroit, & qu'ils euffent des vaisseaux en assez grand nombre pour cette entreprise, & affez d'expérience pour ofer combattre fur mer, quand même ils auroient eu des vaiffeaux. Sur ce fondement ils s'éloignent de la ville avec leur armée navale, comme pour avertir les Romains de faifir l'occafion de fecourir leurs alliés; Claudius n'eut garde de ne pas profiter de cet avis; il paffe le détroit à la faveur du tems & des ténébres & cingle droit au port; où il entre.

Toutes les fois que je réfléchis fur la conduite & fur les allures de Hiéron, fur fon efprit, fur fa prudence, auffi-bien que fur fes actions, je ne puis m'empêcher de revenir à ce que j'ai déjà dit, qu'il ne fut pas fâché du bonheur des Romains. Cette retraite précipitée me fait beaucoup foupçonner fon fait. Qui fait s'il ne favorifa pas couvertement leur entreprife? Qui fait s'il ne s'entendoit pas avec eux? J'ai peine à balancer là-deffus. Cette paix fi promptement faite à l'infù de fes alliés, donne licu à quelque chofe de plus fort qu'un fimple doute. Quoiqu'il en foit il fit le trait d'un habile homme & d'un politique très-éclairé. Si j'avois été à fa place & que j'euffe eu de tels alliés que les Carthaginois, j'aurois mieux aimé me faire battre & me confoler d'un peu moins de réputation, que de rifquer la perte de mon Roiaume en me battant bien. En effet fi Hiéron eût défait les Romains, Meffine n'eût-elle pas été le prix de cette victoire? Les Carthaginois ne s'y fuffent-ils pas établis? Que devenoit alors Syracufe? Elle excitoit trop la cupidité de ceux-ci pour la laiffer en repos, ils n'euffent pas manqué d'en chaffer Hiéron; elle leur étoit trop néceffaire & trop importante pour le deffein qu'ils avoient de paffer en Italie, dont ils méditoient depuis longtems la conquête. S'il en faut croire Florus, Hiéron étoit trop habile pour ne voir pas que fa puiffance ne tenoit à rien avec des voifins fi dangereux & fi redoutables. Il ne vit point d'autre expédient pour conferver fon Roiaume que de les mettre aux prifes avec les Romains, bien affuré que la guerre feroit longue & opiniâtre entre ces deux Républiques, égales finon en vertus, du moins en puissance; qu'aucun des partis ne penseroit à l'opprimer tant qu'il feroit en guerre avec l'autre, que tant qu'il les ménageroit tous les deux il fe foutiendroit & fe conferveroit leur amitié; que les aidant tous les deux dans leurs befoins ou dans leurs infortunes, il prolongeroit la guerre, fans en fentir le poids ni les calamités, & que le victorieux ne lui feroit pas moins redevable que le vaincu. Il ne fera pas hors de propos, puifque nous avons à parler de ce grand homme, de dire quelque chofe de fes moeurs & de fa fortime.

H

S. III.

Eloge de Hiéron.

Téron nâquit à Syracufe. Son pere étoit un homme d'une naiffance illuftre; il defcendoit de Gélus qui avoit régné autrefois en Sicile; il n'en étoit pas de mème du côté de fa mére, s'il faut s'en rapporter au témoignage de Juftin, qui eft un peu fufpect de hablerie.fon pere eut honte de le reconnoître pour fon fils, de peur qu'une fi grande difproportion ne deshonorât fa maifon. Il s'étoit réfolu de le faire expofer pour s'en défaire, mais certains prodiges le firent réfoudre à le reconnoître & à le faire élever avec grand foin. Les Syracufains remarquérent en lui tant de vertus

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