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heurs, & fur tout dans la guerre de 1701. le même efprit d'erreur & d'aveuglement fubfiftant toujours, malgré les avis des plus fages, qui voioient qu'en remettant fur pied la marine, nous étions en état d'arrêter les progrès de nos ennemis.

Les Romains n'abandonnérent la marine que par impuiflance; & dès qu'ils trouvérent l'expédient de lever une flotte, ils reprirent la mer & de nouvelles efpérances; les côtes de l'Italie fe virent alors garanties des defcentes des Carthaginois. Ils firent le fiége de Lilybée, gagnérent une grande bataille fur mer, & fùrent fi bien en profiter, qu'ils bloquérent l'armée d'Amilcar devant Eryce, qui ne recevant plus aucune fecours de Carthage, obligea ce Général à demander la paix au nom du Sénat de Carthage; paix dont les conditions furent fi rudes & fi honteufes, que les Carthaginois furent contraints non feulement d'abandonner aux Romains tout ce qu'ils avoient de places dans la Sicile, mais encore de leur paier trois mille deux cens talens d'argent, fomme exorbitante pour ce tems-là: tant cette maxime qu'on attribue à Pompée affez mal à propos, eft véritable, que qui peut être maître de la mer l'eft de la terre. Nous avons ignoré cette maxime en France, pour en prendre une autre toute contraire que nous fuivons conftamment, plutôt par ignorance que par mauvaife volonté, ou par défaut de moiens

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Victoire des Romains. Pourquoi Amilcar n'alla point au-devant de Hannon.

Es Romains, qui avoient abandonné la marine par tant de naufrages, s'apperçûrent bien-tôt qu'il leur étoit impoffible de fe maintenir fur terre, d'y faire des conquêtes, & de garder même celles dont la confervation leur importoit fi fort pour s'aflurer du refte de la Sicile, s'ils n'étoient maîtres de la mer. L'efprit le moins rafiné en eût penfé tout autant; c'eft une de ces vérités qu'on laiffe en propre au feul fens Un Miniftre, ou un Prince, qui n'auroit rien au-delà, en uferoit tout de même que les Romains.

On attaque fort inutilement une place maritime, fi la mer ne lui cft tout à fait interdite. Le fiége de Candie en eft une bonne preuve, c'eft dommage qu'il n'ait pas fait le fujet d'un Poëme Epique comme celui de Troic. Le fiége de Ceuta a, je penfe, rempli trois fois le terme des deux premiers: nous n'en verrons jamais le bout tant que les affiégés auront la mer libre; il en eft de même de ceux de terre que de ceux de mer. Le fiége de Verrue dureroit encore, fi feu M. de Vendôme ne fe füt avifé de couper chemin aux fecours. Celui de Keiferfwert n'eût-il pas reffemblé à celui de Ceuta, fi la mode d'envoier des ordres de fe rendre fans aucune néceflité, 'n'eût été toute établie en France? Le Marquis de Goesbriand en reçut trois pour rendre Aire: s'il cût tenu bon au troifiéme, les Alliés fe fàffent infailliblement retirés très-honteufement, quoique ce brave homme eût à proportion infiniment plus d'ennemis en dedans qu'il n'en avoit au dehors.

Il ne reitoit aux Romains, pour achever la conquête de la Sicile, que Lilybée & E

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Putter.

J COUP D'ŒIL.

ryce. Ils voioient bien qu'ils y perdroient inutilement leur tems & leurs peines, s'ils ne remontoient fur mer. Point d'autre parti à prendre que celui-là. J'avois trop bonne opinion de ces fages Républicains, pour croire qu'ils euffent été fi longtems fans penfer à la conftruction d'une nouvelle flotte. Ils n'euffent pas différé d'un moment cette entreprise, fi les moiens ne leur euffent plutôt manqué, que le defir d'y fatisfaire. Ce n'étoit guéres leur coûtume de fe ménager, & d'ufer de retardement en pareilles conjonctures. Il vaut mieux faire un bon effort, tenir la mer & la terre, doubler fes forces, & tenter tout pour cela, que de doubler le tems. L'un nous met en état de finir bientôt la guerre par la conquête des places qui nous reftent à prendre, & l'autre nous expofe à perdre ce que nous avons gagné.

Ce ne fut jamais la maxime des Romains de tirer les affaires en longueur par les défauts de préparatifs. Leurs guerres étoient fortes & courtes, mais vives. Ils ne croioient pas qu'une languiffante défenfive, ou des efforts médiocres fuffent dignes du nom Romain, de leur courage & de leur fageffe. C'étoit leur politique, il n'y en a point de meilleure.

Notre Auteur n'entre dans aucun détail, & ne dit pas un mot de l'ordonnance des deux armées: je n'ai garde de m'en plaindre. S'il y avoit eu quelque chofe de nouveau dans la difpofition de l'une des deux armées, il n'eût pas manqué de nous l'apprendre; car de tous les Hiftoriens de l'antiquité, il eft peut-être le feul qui foit le moins fujet aux défauts, aux variations, & au peu d'éxactitude des autrcs, qui courent à l'action fans parler des mefures qui la préparent & qui la précédent. On voit bien qu'il n'avoit pas beaucoup à dire de ces mefures, en récompenfe il nous fait voir beaucoup de prévoiance & de hardieffe dans la conduite de Lutatius.

Hannon étoit informé que les Romains étoient en mer. Il fentoit bien qu'il n'étoit pas en état de leur tenir tête, & qu'il ne pouvoit rien faire de plus avantageux & de plus prudent, que de leur échaper & d'éviter leur rencontre. Son deffein, dit Polybe, étoit d'aborder à Eryce faus être apperçu des ennemis, d'y décharger fes vaisseaux, de groffir enfuite fon armée navale des foldats étrangers, d'aller avec Barcas préfenter la bataille aux Romains.

Lutatius avoit fort bien pénétré le deffein de fon ennemi, il ne falloit pas trop enfon-cer pour le connoître & gagner les devans. Il voioit d'ailleurs la conféquence qu'il y avoit de s'oppofer à la jonction des deux flottes, & de profiter de l'occafion qui s'offroit d'attaquer les Carthaginois qui cingloient au fecours de Barcas. C'étoit un coup de partie pour les Romains; car dans de pareilles conjonctures, & lorfqu'il s'agit d'un fecours de troupes & de munitions fur lequel agit toute l'efpérance d'une armée qui manque de tout, il faut rifquer toutes chofes, & combattre une partie pour donner de la terreur à l'autre: car la défaite de Hannon faifoit tomber Barcas fans coup férir. Celuici ne comptoit que fur cette jonction des deux flottes, afluré qu'avec ce fecours il feroit en état d'attaquer les Romains & de les battre, & je ne fai fi ceux-ci euflènt ofé fe préfenter de droit front contre un Capitaine de cettre réputation.

Je cherche pourquoi Amilcar n'alla pas au-devant du fecours qui lui venoit avec ce qu'il avoit de vaificaux. Polybe ne nous dit pas s'il pouvoit fûrement fe mettre en mer, & tenter cette avanture: cela étoit peut-être délicat. Il l'étoit encore à Hannon de s'approcher un peu trop d'Egufe, & à la vûe des Romains. Il eût pû fe dispenser de les reconnoître, & par là il fauvoit fon convoi, fes troupes & fa réputation.

Les Carthaginois avoient le vent. Ils cuffent pû, puifqu'ils avoient tant fait que de reconnoître Egufe, & vû les ennemis prêts à lever l'ancre pour leur aller au-devant : ils euffent pû, dis-je, virer de bord, faire force de voiles & gagner le large, ou les jouër par de fauffes routes, favorifés par un gros frais, contre des gens peu expérimentés

pour ces fortes de manoeuvres. Hannon craignit peut-être que ce mouvement de retraite ne marquât un peu trop de ménagement. Il crut qu'il valloit mieux faillir contre les régles de la prudence, que contre celles de fon courage. Sur ces confidérations, très-imprudentes, il fe détermine au combat: & voiant que les Romains appareilloient, il améne les voiles, & fe prépare à les combattre.

Lutatius parut quelque tems incertain de ce qu'il feroit à la vûe de l'ennemi; la mer lui étoit contraire, & les vagues fort élevées; mais réfléchiffant fur la néceflité & l'importance de l'entreprife dont le fuccès finiffoit la guerre, il jugea qu'il falloit paffer pardeffus tous ces obftacles. D'ailleurs il confidéra que le péril étoit égal à l'égard de la groffe mer, & que fi l'ennemi étoit au vent, il avoit cet avantage fur lui, que fes vaiffeaux étoient éxemts de tout embarras, & plus propres pour le combat; qu'il n'avoit affaire qu'à une partie des forces Carthaginoifes, & contre un Général moins redoutable & moins expérimenté que Barcas, dont la réputation étoit fort grande parmi les Romains.

Le Conful, qui voit l'ennemi comme furpris de cette rencontre, fe hâte de le joindre, de peur de perdre une occafion fi favorable; il pouvoit fe raviser & lui échaper, & pour cela il falloit ufer d'une extrême diligence; car la gloire militaire, non plus que celle du Ciel, n'eft pas le partage des tiédes & des circonfpccts. Le Général Romain fe range fur une feule ligne, cela paroît par le commencement & le cours du combat, & je conjecture que l'ennemi en fit de même. Cette affaire fe vuida en très-peu de tems. Hannon fut battu fi pleinement, qu'on peut dire que cette victoire fut l'unique caufe da la perte de la Sicile, & de la fin de la guerre.

S. IL

Réfléxions fur les fautes des Carthaginois.

A négligence de Hannon à l'égard des précautions qu'il eût dû prendre pour échaper aux Romains, eft à peine concevable, & fon imprudence ne l'eft pas moins de combattre fans néceffité. Croioit-il Lutatius fi malhabile, ou pour mieux dire fi fot, que de négliger une occafion d'aller à la rencontre d'une armée toute auffi embaraffée qu'une flotte marchande, dont la jonction avec l'autre le mettoit hors d'état d'attaquer le tout? Qui eft le Général qui laiffe aller de fi bons coups à faire, s'il n'eft le plus ignorant & le plus négligent de tous les hommes? Où eft-ce que l'ennemi pouvoit fe porter pour fe trouver ou pour l'attendre, finon à Egufe? Le Carthaginois n'eût-il pas mieux fait, & plus prudemment, de fe paffer de reconnoître cette Ifle? Il avoit mille autres routes à prendre. S'il eût embraffé ce parti, il fauvoit fon armée, & Barcas fe trouvoit en état de prendre le deffus par fes forces de mer & de terre l'aiant déja par fon habileté & fon expérience; mais l'une & l'autre ne fervent de rien, fi l'on n'a ni vivres ni troupes: car il y avoit longtems que ce grand Capitaine tenoit bon contre les Romains avec des forces très-médiocres, & avec lefquelles les Généraux ennemis n'cuffent ofé paroître s'ils euffent été à la place de ce grand homme, qui les roula de chicane en chicane comme de vrais écoliers.

S'il lui eût été poffible d'aller audevant du fecours avec ce qu'il avoit de vaiffeaux, qui peut douter qu'il ne l'eût fait? Il en fentoit bien l'importance & la néceflité; mais La néceffité ne tente pas l'impoffible. Notre Auteur nous fait affez connoître qu'il n'y avoit rien à espérer qu'un malheur manifefte; car en fe mettant en mer il s'exposoit à perdre fon pofte, fans être affuré de rencontrer le fecours. Je raifonne ici fur des conjectures, fans prétendre que ce Génétal füt infaillible: à parler dans l'éxactitude ferupu

leufe,

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