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les, & à quoi; fi l'une peut entreprendre fur l'autre, le chemin qu'elle a à faire; les obftacles qu'elle peut rencontrer dans fa marche, le tems qu'il lui faut pour venir à nous, ou à nous pour aller à elle; d'où chacune tire fes vivres ; fi nous pouvons intercepter fes convois, ou fi elle peut nous couper les nôtres; fi nous faifons tels & tels mouvemens fur notre droite, ou fur notre gauche, où eft-ce que cela nous ménera; où eftce que nous irons nous-mêmes, fi l'ennemi s'en avife plutôt que nous, ou s'il remuë fon camp d'une toute autre façon. Rien de plus inftructif que cela, & rien qui forme davantage l'efprit & le jugement: c'eft la logiqne militaire, au moins le commencement. C'eft ainfi qu'on médite d'abord fur la carte, mais véritablement fur une idée fort confufe; car la carte n'eft autre chofe que l'idée d'un païs: il s'en faut bien qu'on puiffe raisonner deffus avec quelque certitude.

On forme un projet de campagne dans le cabinet, foit d'offenfive, foit de défenfive; -on confulte la carte, c'eft prefque toujours l'oracle où l'on a recours, il feroit trop dangereux de s'informer des gens qui ont une grande connoiffance des lieux, cela leur feroit bientôt connoître les deffeins que l'on a en tête; on ne va donc. qu'au gros des chofes, le Général fe réservant d'agir enfuite felon la nature du païs où l'on s'eft déterminé de porter la guerre. Cela me femble peu fûr & fort abrégé pour un projet de campagne qui n'eft pas de petite importance, on ne fe conduit pas ainfi dans les confeils lorfqu'on trouve des Généraux, comme M. de Turenne, M. le Prince, le Maréchal de Luxembourg, qui raifonnoient & établiffoient l'état de la guerre fur la connoiffance qu'ils avoient du païs: un projet qui fort de telles mains, fort tout parfait, comme je crois qu'il le feroit encore pour la Flandre, fi M. de Puyfegur l'avoit enfanté.

Un Officier particulier qui n'eft pas initié dans les miftéres, & qui ne médite que pour s'inftruire aux grandes parties de la guerre, & fe former le coup d'oeil, n'a pas feulement l'avantage de raifonner fur la carte, comme on fait à la Cour; mais il en a un beaucoup plus grand, qui eft d'être fur les lieux, & de voir même plus librement, & de pouffer plus loin fa curiofité que ne peut faire fon Général; car rien ne l'empêche de courir le parti fur l'ennemi: ce que l'autre ne fauroit faire. Il peut aller où il lui plaît pour reconnoître le païs, & raifonner à la vûe des objets, après l'avoir fait fur la carte du païs; car c'eft la premiére chofe que l'on doit faire: par là on ne laiffe pas que de s'en former une idée qui nous aide beaucoup, lorfqu'après cet éxamen l'on fe tranfporte fur les lieux, où l'armée eft bien établie.

On doit d'abord commencer par bien reconnoître la pofition du camp, & tout le terrain que l'armée occupe, fes avantages & fes défauts: on paffe de là au champ de bataille, on le parcourt en gros, enfuite on l'éxamine en détail & par parties: on obferve d'abord fi les ailes font appuiées; fi c'est un ruiffeau, on en éxamine les bords & le fond, s'il eft bon ou mauvais, s'il eft guéable par tout, ou en certains endroits fculement. S'il l'eft, on doit juger alors que c'eft un mauvais appui; que l'ennemi peut profiter de cet avantage, & gagner le flanc ou les derriéres de cette aîle par un détour. On obferve alors le terrain qui eft en delà, s'il eft couvert, ou s'il eft ras & pelé, s'il y a des hauteurs qui commandent au camp, & s'il eft néceffaire de s'y établir pour se couvrir de ce côté, ou fi on peut s'en prévaloir contre l'ennemi. Si c'eft un marais qui couvre cette aîle, on doit éxaminer fi le fond eft de bonne tenuë, on doit le fonder, & s'informer des gens du païs, fi l'on peut faire regonfler les eaux, pour le rendre moins praticable. On écrit tout ce qu'on remarque pour y méditer à loifir, & en tirer les conféquences par l'infpection du terrain.

On paffera de là à la gauche: fi elle fe trouve fermée par un.village, il en fera le tour pour le reconnoître avec toute l'éxactitude militaire; il éxaminera les maifons qui le bordent, fi elles font bonnes, ou de bois & de chaume; s'il y en a qui en foient é

loignées, & dont l'ennemi puiffe fe fervir, s'il eft important de fortifier le village, ou de faire des coupures dans les rues, en foutenant les maifons; fi l'Eglife eft bonne, fi le village n'eft point commandé par quelque hauteur, ou s'il peut être tourné, il l'attaquera par imagination, il le défendra de même: rien ne me paroît plus capable de former le coup d'œil & le jugement que cette méthode. Après avoir mûrement éxaminé & écrit ce qu'on aura remarqué & obfervé du côté des aîles, on doit parcourir tout le front du champ de bataille d'une aile à l'autre.

Si l'armée eft campée felon la coûtume ordinaire, la cavalerie fur les ailes, & l'infanterie au centre, on doit éxaminer le terrain que la premiére a devant elle, & s'il eft propre à cette arme: s'il cft couvert & qu'il forme une plaine affez fpacieufe pour contenir cette aile de cavalerie, celui qui l'éxamine ne doit pas fe régler là-deffus: il doit obferver le terrain qui eft en delà, & que l'ennemi doit occuper; car le pofte de l'un doit fervir de régle à l'autre pour la difpofition des armes. En effet fi l'ennemi qu'on veut combattre, ou qui cherche à nous attaquer, a derriére ou devant lui un terrain tout différent, & favorable à l'infanterie, il eft aifé de comprendre par le raifonnement & les régles de la guerre, que fi l'ennemi eft pouffé jufqu'à l'endroit couvert qu'il aura derriére lui, que la cavalerie devient alors inutile, qu'elle ne pourra pouffer plus loin fon avantage, & qu'elle fera repouffée par l'infanterie que l'ennemi plus habile & plus fenfé aura logée dans ces lieux couverts pour foutenir fa cavalerie.

Cette obfervation doit lui faire connoître la néceflité de faire foutenir cette aîle par une autre d'infanterie à la feconde ligne (2); car fi la cavalerie de la première ligne (3) eft pouffée par (4) jufqu'à l'infanterie 'ennemie (5), logée dans ces endroits couverts, il ne faut pas douter qu'elle ne fe rallic fous le feu de cette infanterie, qu'elle ne revienne enfuite à la charge, & que l'infanterie ne s'introduite dans les efcadrons: on peut juger ce qu'il peut arriver, fi l'on n'a pas de l'infanterie à lui oppofer; au lieu qu'en faifant foutenir une aîle de cavalerie par une d'infanterie à la feconde, & des pelotons (6) cntrelaffés & emboîtés dans les efcadrons, on fe trouve en état, après avoir battu (4), de le culbuter fur fon infanterie (5), & de l'attaquer à l'inftant par l'infanterie (2), qu'on peut faire paffer promptement entre les diftances des efcadrons. Ces raifonnemens naiffent aifément par l'infpection du terrain. On juge alors qu'une aile de cavalerie foutenue par ele feule ne vaut rien, & que le Général auroit dù faire camper de l'infanterie où il a mis de la cavalerie: on remarque cette faute pour en faire ufage, & en avertir le Général, s'il eft capable de recevoir un avis de cette importance. Qu'on ne nous dife pas qu'on tombe rarement dans ces fortes de fautes, nous répondrions qu'on les remarque tous les jours dans les campemens, & qu'on cft obligé, lorfqu'on fe trouve attaqué, de faire une infinité de manœuvres toujours dangereufes en présence de l'ennemi, en changeant une arme, & la remplaçant par une autre. Je pourrois citer une infinité d'éxemples, même de nos jours, fi cette matiére n'étoit un peu trop abondante pour l'alonger par des faits d'une beaucoup moindre importance que des raifonnemens démonftratifs.

Tout le terrain du front de cette aile étant bien obfervé, on pouffe vers l'infanterie, que nous fuppofons au centre, on jette les yeux fur ce terrain, on s'apperçoit qu'il eft varié, & mêlé en certains endroits de chicanes & d'obftacles très-propres pour l'infanterie, & quelques autres où la cavalerie peut être d'un grand effet, foutenue par l'autre. Après avoir éxaminé le terrain de la droite de l'infanterie (7), fi l'on trouve que le terrain eft également avantageux d'un côté comme de l'autre, ou du moins propre à cette forte d'arme, on avancera plus avant fur le champ de bataille, ou fur le terrain que les deux armées doivent occuper des deux côtés. L'on fuppofe qu'il eft différent de l'autre que l'on vient d'obferver, c'eft une petite élévation de terre (8) qui va fe perdre en pente douce jufqu'à l'ennemi (9). On doit l'obferver avec foin. Si le terrain qui lui Tome I.

Ff

eft oppofé forme une plaine, on juge alors que c'eft un endroit propre pour y dreffer une batterie (10), que l'ennemi n'aura garde de laiffer en repos, de peur d'en être longtems incommodé; & que pour s'en délivrer par un bon effort de ce côté-là, l'attaquer & s'en rendre le maître pour féparer les deux ailes des deux autres, il ne pourra faire le coup que par de l'infanterie (9), foutenue d'autant d'efcadrons (11) que la petite plaine en peut contenir. Il jugera alors qu'il faut pofter de l'infanterie fur cette petite éminence foutenue de la cavalerie (12) pour oppofer des armes femblables.

S'il fe préfente enfuite des terrains variés & mêlés de petites plaines, de champs clos, de maifons tant d'un côté que de l'autre fur tout le front de l'infanterie, il les obfervera avec attention. S'il y en a qui lui paroiffent difficiles à forcer du côté de l'ennemi, il jugera bien que l'ennemi s'y poftera, qu'il n'abandonnera pas un tel avantage, & qu'il y auroit trop de témérité à les attaquer. Il doit donc par imagination fortifier ces endroits moins que les autres, c'eft-à-dire qu'il doit les tenir un peu moins garnis d'infanterie que ceux qui lui paroiffent plus foibles, où il doit approcher fes réferves (13), & obferver les emplacemens les plus commodes & les plus avantageux, pour y établir des batteries. Si en avançant plus avant jufqu'à la gauche (14), & au ruiffeau (15) qui la couvre, il voit que le païs eft ras & ouvert, & propre pour les manœuvres de cavalerie, il trouvera que la cavalerie eft bien placée felon la méthode ordinaire, obfervant pourtant fi les bords du ruiffeau font bordés de haies & d'arbres touffus: fi les bords de l'autre côté ne font pas garnis comme ceux 'en deçâ, il jugera alors que l'ennemi pourroit y loger de l'infanterie, & y établir un feu fur le flanc ce cette aîle, & prendre même des revers; il penfera alors d'enlever cet avantage à l'ennemi, non feulement en propofant de rafer & de couper ces haies, ces taillis ou ces arbres, mais de pofter de l'infanterie ou des dragons (16) fur les flancs des deux aîles de la cavalerie.

Par ces obfervations il comprendra bientôt qu'on s'eft campé, en bien des endroits, tout au contraire de ce qu'on doit pratiquer felon les régles de la guerre ; qu'une partie de la cavalerie, qui fe trouve postée à une aîle, auroit dû être placée au centre, ou vers le centre, & l'infanterie occuper fon terrain. C'eft la nature des lieux qui doit régler le campement & l'emplacement de chaque arme. On ne peut pas camper par tout, & dans toutes fortes de fituations, felon l'ordre ordinaire de bataille; car lorfqu'on fe trouve l'ennemi fur les bras, l'on fe voit obligé de changer tout l'ordre, & un tel remuement d'armes eft très-dangereux. On fait tout à la hate, les corps tranfportés d'un terrain à un autre font déforientés, ils ne fe reconnoiffent plus, au lieu qu'ils connoiffoient leurs premiers poftes d'où l'on vient de les retirer.

Un champ de bataille, quelque bon & quelque avantageux qu'il puiffe être, perd tout le mérite de fa fituation fi chaque arme n'eft en fa place, c'eft-à-dire poftée au terrain qui lui convient. Les Généraux qui lévent un peu la tête au-deffus de ceux du commun, fe contentent de fuivre ces régles, & croient avoir avancé beaucoup : en effet c'est beaucoup; mais ceux qui excellent dans le coup d'œil, qui l'ont fin & prompt, vont fort au-delà; ils s'apperçoivent bientôt, par les obfervations qu'ils font fur la nature des lieux, qu'il faut qu'une arme foit foutenue par l'autre. Mais comme cela doit être par tout, & dans toute forte de terrains, nous nous réfèrvons de le démontrer dans le cours de cet ouvrage. Revenons à notre fujet.

Ce feroit peu, & ne faire les chofes qu'à demi, que de s'en tenir à ce que je viens de dire. On doit fe retirer dans fa tente, méditer très-profondément fur ce qu'on aura remarqué, l'accompagner de réfléxions, former un projet & un ordre de bataille felon la nature du terrain. C'eft la premiére journée ; on ne s'inftruit pas moins à la feconde; on monte à cheval pour reconnoître le païs jufqu'aux grandes gardes; on s'informe des

noms des villages, des hameaux & des maifons; on remarque les chemins, les ruiffeaux, les bois, les marais, les hauteurs; enfin on ne laisse rien échaper, & l'on médite fur tout ce qui peut être favorable ou défavantageux à l'ennemi, s'il marchoit à nous, ou fi l'on avoit quelque deffein d'aller à lui, ou fi l'on n'auroit pas mieux fait de se poster ailleurs que dans l'endroit que l'on a choifi; ce qui n'eft pas difficile à remarquer: car il y a quelquefois certains camps, où l'on va plutôt par coûtume que par raison, parce qu'un grand Capitaine les aura occupés, fans favoir que ce qui êtoit bon de fon tems ne vaudra rien dans un autre.

La Flandres eft aujourd'hui toute changée, le païs eft fi couvert qu'il ne différe en rien de la Lombardie & du Mantouan, & je fuis perfuadé qu'à la premiére guerre la cavalerie fera d'un beaucoup moindre ufage que l'infanterie: cela n'empêchera pas d'en lever beaucoup, & d'en inonder le païs fans aucune néceffité. On ne trouve pas toujours des Turennes qui fe contentent de peu.

Les fourrages forment beaucoup le coup d'oeil & l'affinent extrêmement: on ne doit pas en manquer un feul; comme on va plus avant du côté de l'ennemî, lorfqu'on fourrage devant foi, on voit tout le païs qui eft entre nous & lui. Si l'armée décampe, & fe met en pleine marche, on doit alors éxaminer l'ordre des colonnes, le païs qu'elles traverfent, & l'espace à peu près qu'il y a de l'une à l'autre. On fe demande alors, fi l'ennemi par une marche fecrette & accélérée venoit tout d'un coup tomber fur la tête de notre marche, quel parti prendroit notre Général, ou quelle réfolution prendrois-je moi-même fi j'étois à fa place? Voilà une colonne de cavalerie engagée dans un païs brouillé & parfemé de défilés, où elle ne fauroit agir. Si l'ennemi lui oppofoit de l'infanterie, que ferois-je? Comment m'y prendrois-je pour la retirer d'un tel coupe-gorge, & d'un pas fi dangereux, pour la tranfporter d'un lieu en un autre, où elle pût être de quelque ufage?

De l'autre côté je m'apperçois qu'une colonne d'infanterie marche tranquillement à travers la plaine, où elle aura peut-être en tête une partie de la cavalerie ennemie ; ce n'eft peut-être pas la faute du Général que les chofes arrivent de la forte, parce que le païs change à tout moment. Peut-être feroit-on mieux dans les marches de partager les deux armes dans les colonnes, c'eft-à-dire qu'on devroit mêler l'infanterie avec la cavalerie; en forte que l'une ne marchât jamais fans l'appui de l'autre, pour être préparé à tout événement: cela me femble dans les régles. Sans cette précaution tout eft perdu. Si l'ennemi profite d'une marche pour engager une affaire, on eft d'autant plus furpris que ces fortes d'entreprifes font très-rares & toujours fûres. Il faut fe ranger, fe mettre en bataille dans ces cas inopinés; la fituation des lieux doit me régler, dira cet Officier appliqué & méditatif, cette fituation eft maîtreffe de l'ordre pour placer chaque arme au terrain qui lui convient. Comment s'y prendre, puifque la cavalerie fe trouve embarquée dans un terrain qui n'eft propre qu'à l'infanterie? Comment faire ? C'est ce que nous ne dirons pas ici: mais dans le cours de cet ouvrage, où l'on verra par quels moiens & par quelle méthode un Général d'armée pourra fe tirer d'intrigue en pareille occafion. Voilà un grand fujet de fe former le coup d'œil; mais comme je veux couler cette matiére à fond, nous ne prétendons pas en demeurer-là: car on n'eft pas toujours à la guerre, & on ne la fait pas toujours: s'il falloit l'attendre pour fe former dans l'art de voir en guerrier, à peine trois ou quatre campagnes fuffiroient-elles.

J'ai dit que la chaffe étoit un bon moien pour fe former le coup d'œil; mais tout le monde n'eft pas agité de cette paffion, quelque noble & honnête qu'elle foit. Les voiages peuvent nous être à peu près de la même utilité. Je n'en ai pas fait un que je n'aie mis à profit, foit par coûtume, foit par inclination au métier. On foupçonnera peutêtre que c'étoit auffi pour trouver la fortune. Mais non, jamais je ne l'ai cherchée,

Quelquefois elle s'eft préfentée fur ma route; mais comme elle n'étoit pas d'humeur à marcher de compagnie avec l'honneur, la franchife, la probité, & quelques autres vertus militaires que je méne affez volontiers avec moi, je l'ai envoiée porter fes faveurs à d'autres, qui moins difficiles s'en font accommodés aux conditions qu'elle a voulu, & j'ai continué mon chemin, ne penfant qu'au coup d'oeil dont eft question.

Lors donc que l'on eft en voiage, on éxamine en marchant tout le païs qui fe trouve à portée de la vûe, toute la ligne du terrain le plus éloigné, comme toute l'étenduë de celui où nous fommes. On campe par imagination une armée fur le terrain qui fe découvre le plus devant nous, & que nous voions en face. On en confidére les avantages & les défauts, on voit ce qui peut être favorable à la cavalerie; ce qui eft propre à l'infanterie; je fais la même chofe dans le païs qui eft en deçà, je forme imaginairement les deux ordres de bataille, & imaginairement je mets en œuvre tout ce que je fai de tactique & de rufes de guerre. Par cette méthode je me perfectionne le coup d'œil, je me rends le païs familier, & je me fortifie dans l'art de faifir promptement les avantages des lieux, ou ce qui peut y être défavantageux; outre que j'avance en connoiffances & en favoir, & que je paffe mon tems fans aucun ennui, en fatisfaifant ma paffion. Paffons maintenant aux obfervations fur la défensive & sur l'offenfive, par rapport à la guerre d'Eryce.

S. V.

Qu'une guerre défensive ne peut être estimée, fi l'offenfive ne s'y
trouve fouvent mêlée.

N voit fouvent des Généraux à la tête d'une armée formidable, & d'une telle

avec celles de l'ennemi, qu'on diroit qu'elle le va en

gloutir, & lui faire fon épitaphe, & cependant on paffe tout une campagne, & fouvent plufieurs de fuite, fans rien faire, fans avancer d'un pas, quoique la valeur foit égale des deux côtés. Les Anciens & les Modernes nous fourniffent une infinité de ces fortes d'éxemples. D'où vient cela? C'est que l'un, bien que plus foible, eft plus habile & plus rufé que l'autre. Mais cette inégalité de forces ne devroit-elle pas produire quelque chofe de plus que ce que l'on voit? Eft-ce toujours un Agéfilas, un Aléxandre, qui d'une hardieffe inconcevable en apparence, attaquent un grand Empire, chacun à la tête d'une petite armée contre un nombre innombrable de Perfes efféminés? Non, je ne fuppofe pas un tel contrafte, où il n'y a ni inftruction ni profit pour les gens de guerre, je fuppofe tout le contraire dans ce que je vais traiter: deux nations belliqueutes, un Amilcar contre un Conful Romain, tous les deux hardis, braves, entendus & déterminés, dont l'un habile plie fous un plus habile. On alléguera qu'une grande armée contre une autre beaucoup moindre, mais favorifée de l'avantage des lieux, ne pourra rien, parce qu'en comparant la foible avec la forte il y aura équilibre dans toutes les deux. Voici donc ce que nous avons pensé là-deffus, ou ce que les faits, que notre Auteur rapporte en grand nombre, & ce que notre propre expérience nous ont appris.

Un Général d'armée, confommé dans la fcience de la guerre, hardi, entreprenant, fin, rufé, fage, d'un grand fens, & d'un coup d'œil admirable, tel enfin que Barcas, fe trouvant réduit à vingt mille hommes contre foixante mille d'une valeur égale, n'a garde d'agir offenfivement, & haut à la main, en pleine campagne, la partie ne feroit pas tenable: quoique M. de Turenne nous ait fait voir le contraire au combat de Moltzei, & en bien d'autres occafions; mais comme ce grand Capitaine étoit un de ces

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