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CHAPITRE II.

Matiére des deux premiers Livres qui fervent comme de préambule à l'Hiftoire de Polybe. Jugement que cet Hiftorien porte de Philinus de Fabius.

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Elle fut la premiére expédition des Romains hors de l'Italie, & les raifons pourquoi ils la firent alors. Rien, ce me semble, n'étoit plus propre à établir la premiére époque de notre Hiftoire. Nous avons remonté un peu haut, pour ne laiffer aucun doute fur ce qui a donné lieu à cet événement. Car pour mettre les lecteurs en état de bien juger du faîte de grandeur où l'Empire Romain eft parvenu, il étoit bon d'éxaminer de fuite, comment & en quel tems les Romains, chaffés prefque de leur propre patrie, commencérent à avoir de plus heureux fuccès; en quel tems encore & comment, l'Italie fubjuguée, ils penférent à étendre leurs conquêtes au dehors. Qu'on ne foit donc pas furpris fi dans la fuite parlant des Etats qui ont fait le plus ds bruit dans le monde, j'avance dans les tems plus réculés. C'eft pour commencer aux chofes qui font connoître pour quelles raifons, en quel tems & par quels moyens chaque peuple eft arrivé au point où nous le voions. Mais il eft tems de revenir à notre fujet. Voici en peu de mots dequoi traiteront les deux premiers Livres, qui feront comme le préambule de cet ouvrage.

Nous commencerons par la guerre que fe firent en Sicile les Romains & la République de Carthage. Suivra la guerre d'Afrique, qui fera elle-même fuivie de ce que firent dans l'Espagne Amilcar, Afdrubal & les Carthaginois. Ce fut alors que les Romains pafférent dans l'Illyrie & dans ces parties de l'Europe. Enfuite viendront les combats que les Romains eurent à foutenir dans l'Italie contre les Gaulois. Nous finirons le préambule & le fecond Livre par la guerre appellée de Cléoméne, laquelle fe fit en ce tems-là chez les Grecs. Nous n'entrerons pas dans le détail de ces guerres; notre deffein n'étant pas d'en écrire l'Hiftoire, mais feulement de les mettre en racourci fous les yeux, pour préparer à la lecture des faits que nous avons à raconter. Dans cet abrégé nous ferons en forte que les derniers événemens foient liés avec ceux qui commenceront notre Hiftoire. Cette liaison justifiera la penfée que j'ai euë de rapporter en peu de mots ce qui fe trouve chez les autres Hiftoriens, & facilitera l'intelligence de ce que je dois dire. Nous nous étendrons un peu plus fur la guerre des Romains &

des Carthaginois en Sicile. Car on auroit peine à en trouver une qui ait été plus longue, à laquelle on fe foit préparé avec plus de foin, où les exploits fe foient fuivis de plus près, où les combats aient été en plus grand nombre, où il fe foit paffé de plus grandes chofes. Comme les coûtumes de ces deux Etats étoient alors fort fimples, leurs richeffes médiocres, & leurs forces égales, c'eft par cette guerre plutôt que par celles qui l'ont fuivie, que l'on peut bien juger de la conftitution particuliére de ces deux Républiques.

te Poly

Une autre raison encore m'a engagé à un plus long détail fur cette Juge: guerre, c'eft que Philinus & Fabius qui paffent pour en avoir parlé le ment plus favamment, ne nous ont pas rapporté les chofes avec autant de que por fidélité qu'ils devoient. Je ne crois pas qu'ils aient voulu mentir, leurs be de mœurs, & la fecte qu'ils profeffoient les met à couvert de ce foupçon. Mais Philinus il me femble (a) qu'il leur eft arrivé ce qui arrive d'ordinaire aux amans à bius. l'égard de leurs maîtreffes. Le premier, fuivant l'inclination qu'il avoit pour les Carthaginois, leur fait honneur d'une fageffe, d'une prudence & d'un courage qui ne fe démentent jamais, & repréfente les Romains

(a) Qu'il leur est arrivé ce qui arrive aux amans à l'égard de leurs maîtrelles.] Notre Auteur entreprend ici Philinus & Fabius fur la liberté qu'ils fe font donné d'ajoûter beaucoup de chofes de leur invention, & outre cela de mutiler, eftropier & fracaffer pour ainfi dire la fimétrie & Fordre des faits qu'ils rapportent. A ce que je vois les anciens avoient leurs Limiers à Rome comme nous avons les nôtres en Hollande, gens qui font métier de flater, de mentir & de faire triompher les vaincus.

core de fa façon. Il eft bon de l'avertir que le Te Deum que les Allemans firent chanter à Tro ville, & dont Larrey fe moque dans l'Hiftoire de ce grand Roi, n'étoit pas fans doute pour remercier Dieu de leur victoire. Il fut chanté à autre intention, & uniquement pour lui rendre graces de ce que la plus grande partie de nos forces, qui étoit à Rivalta, n'avoit pas marché à notre secours, & n'étoit pas tombée fur leurs derrieres. Qui peut douter que les ennemis n'euffent paffé fous le joug, pour parler à la façon des anciens, L'Hiftoire de Louis XIV. de Limiers eft bien s'ils fe fuffent un peu plus obstinés: mais la autrement parfemée de faits moitié Roman, moi- bataille aiant été terminée en deux ou trois heutié Hiftoire, que celles de Philinus & de Fabius res, le Grand-Prieur de France n'eut peut-être fur lesquels Polybe tire fi fort. Il n'ufe pas mal pas le tems de profiter d'une fi belle occafion. fa poudre, nous n'uferons pas beaucoup de la no- N'eft-ce pas un très-grand fujet de louer Dicu, tre fur un Hiftorien qui ne vaut pas le coup. de s'être retirés d'un pas fi dangereux, & d'en Voiez, s'il vous plaît, quelle hardieffe! il fait affié avoir été quittes pour la perte du champ de ba ger Leffingue qui n'eft qu'à une lieuë d'Oftende. taille, pour des morts & des bleffés, dont la terc'eft-à-dire à deux pas de l'endroit où il écrivoit re étoit toute jonchée & de prefque tous les Géfon Hiftoire. Il dit que l'armée des alliés contre néraux. Si Philinus & Fabius eftropient & mula France en fit le fiége, que la garnifon fe ren- tilent les faits, du moins ils ne les fuppriment dit fans aucune réfiftance & qu'elle fut faite pri- point, lorfqu'ils ne font pas à l'avantage de leurs fonniere de guerre, felon la mode de ce tems-là, Héros: mais notre homme n'en fait non plus que le Maréchal de Villars retorqua fur eux deux mention que d'un non avenu. Ne pourrionsou trois campagnes après: ce fiége eft de fa fa nous pas demander à ce grand Hiftorien. où il a con Il ne fait pas que ce furent les François qui laiffé l'attaque de la Caffine de Mofcolini, ou j'éemporterent ce pofte d'infulte, que la garnison, tois: action très-violente, très-meurtrière & où le qui étoit Angloife, fut faite prifonniere de guerre, Prince Eugéne étoit en perfonne? nous fumes & que l'Auteur de cet ouvrage en eut le gouverne- forcés à la vérité; mais un cellier & un poulailment pour l'avoir fait prendre [Si Mr. de iler tinrent bon. Nous tumes fecourus après un miers a fait cette faute dans fon Hiftoire de ouis XIV. il a eu foin de la corriger dans la feconde Edition.]

La bataille de Caffano du même Hiftorien ga. zettier, dans le ftile comme dans le faux, eft en

combat qui dura toute la nuit, ou pour mieux
dire nous ne le fûmes pas, les Imperiaux s'en dé--
goûterent & nous laifferent-là, après avoir perdu.
plus de 14:0. hommes.

& de Fa

d'une conduite toute oppofée. Fabius au contraire donne toutes ces vertus aux Romains & les refufe toutes aux Carthaginois. Dans toute autre circonftance une pareille difpofition n'auroit peut-être rien que d'eftimable. Il est d'un honnête homme d'aimer fes amis & fa patrie, de hair ceux que fes amis haïffent, & d'aimer ceux qu'ils aiment. Mais ce caractére eft incompatible avec le mêtier d'Hiftorien. On eft alors obligé de louer fes ennemis, lorfque leurs actions font vraiment louables; & de blamer fans ménagement fes plus grands amis, lorfque leurs fautes le méritent. La vérité eft à l'Hiftoire ce que les yeux font aux animaux. Si l'on arrache à ceux-ci les yeux, ils deviennent inutiles, & fi de l'Hiftoire on ôte la vérité, elle n'eft plus bonne à rien. Soit amis, foit ennemis, on ne doit à l'égard des uns & des autres confulter que la juftice. Tel même a éte blamé pour une chofe, qu'il faut louer pour une autre; n'étant pas pollible qu'une même perfonne vife toujours droit au but, ni vraisemblable qu'elle s'en écarte toujours. En un mot il faut qu'un Hiftorien, fans aucun égard pour les auteurs des actions, ne forme fon jugement que fur les actions mêmes.

Quelques éxemples feront mieux fentir la folidité de ces maximes. Philinus, entrant en matière au commencement de fon fecond Livre, dit que les Carthaginois & les Syracufains mirent le fiége devant Meffine, qu'à peine les Romains furent arrivés par mer dans cette ville qu'ils firent une fortie fur les Syracufains; qu'en aiant été repoulés avec perte ils rentrérent dans Melline, que revenus enfuite fur les Carthaginois, ils perdirent beaucoup de monde ou tué ou fait prifonnier. Il dit de Hiéron, qu'après la bataille la tête lui tourna tellement, que non feulement il mit le feu à fon camp & s'enfuit de nuit à Syracufe, mais encore qu'il abandonna toutes les fortereffes qui étoient dans la campagne de Meffine. Il n'épargne pas davantage les Carthaginois : à l'entendre, ils quittérent leur retranchement aullitôt après le combat, ils fe difperférent dans les villes voilines, aucun n'ofa fe montrer au dehors. Les Chefs voiant les troupes faifies de fraïeur, craignirent de s'expofer à une bataille décifive. Selon lui encore les Romains pourfuivant les Carthaginois ne fe contentérent pas de défoler la campagne, ils entreprirent encore d'affiéger Syracufe. Tout cela eft à mon fens fort mal afforti & ne mérite pas même d'être éxaminé. Ceux qui felon cet Hiftoire alliégeoient Melline, & remportoient des victoires, font ceux-là même qui prennent la fuite, qui fe réfugient dans les villes qui font alliégés, qui tremblent de peur; & au contraire ceux qu'il nous dépeignoit comme vaincus & alliégés, il nous les fait voir enfuite pourfuivant les ennemis, fe rendant maîtres de tout le païs & affiégeant Syracufe. Quel moyen d'accorder enfemble ces contrariétés? I1 faut de néceflité ou que ce qu'il avance d'abord, ou que ce qu'il dit des événemens qui ont fuivi; foit faux. Or ces événemens font vrais.

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Il eft für que les Carthaginois & les Syracufains ont déferté la campagne & que les Romains auffi-tôt ont mis le fiége devant Syracufe. convient lui-même qu'Echetla, ville fituée entre les terres des Syracufains & celles des Carthaginois, fut auffi afliégée. On ne doit donc faire aucun fond fur ce qu'il avoit affuré d'abord; à moins qu'on ne veuille croire que les Romains ont été en même tems & vaincus & vainqueurs. Tel eft le caractére de cet Historien d'un bout à l'autre de fon ouvrage, & l'on verra en fon tems que Fabius n'eft du même défaut. Mais laiffons là enfin ces deux Ecrivains, & par la jonction des faits tâchons de donner aux lecteurs une idée jufte de la guerre dont il eft question.

pas exemt

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M. Otacilius & M. Valerius Confuls font alliance avec Hieron. Préparatifs des Carthaginois Siége d'Agrigente. Premier combat d'Agrigente. Second combat, & retraite d'Annibal.

D

Es qu'on eut avis à Rome des fuccès d'Appius dans la Sicile, on créa Confuls M. Octacilius & M. Valerius, & on leur donna ordre d'y aller prendre fa place. Leur armée confiftoit en quatre Légions, fans compter les fecours que l'on tiroit ordinairement des alliés. Ces Légions chez les Romains fe lévent tous les ans & font compofées de quatre mille hommes d'infanterie & de trois cens chevaux. A l'arrivée des Confuls, plufieurs villes des Carthaginois & des Syracufains fe rendirent à difcrétion. La fraïeur des Siciliens jointe au nombre & à la force des Légions Romaines, faifant concevoir à Hiéron que cellesci auroient le deffus, il dépêcha aux Confuls des Ambaffadeurs pour traiter de paix & d'alliance. On n'eut garde de refufer leurs offres, on craignoit trop que les Carthaginois tenant la mer ne fermaffent tous les paffages pour les vivres: crainte d'autant mieux fondée que les prémieres troupes qui avoient traversé le détroit, avoient beaucoup fouffert de la difette. Une alliance avec Hiéron mettoit de ce côté-là les Légions en fûreté, on y donna d'abord les mains. Les conditions furent que le Roi rendroit aux Romains fans rançon ce qu'il avoit fait fur eux de prisonniers, & qu'il leur paieroit cent talens d'argent. Depuis ce tems Hiéron, tranquille à l'ombre de la puiffance des Komains, à qui dans l'occafion il envoioit des fecours, regna paifiblement à Syracufe, gouvernant en Roi qui ne cherche & n'ambitionne que l'eftime & Famour de fes fujets. Jamais Prince ne s'eft rendu plus recommandable, & n'a jouï plus longtems des fruits de fa fagefle & de fa prudence.

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Préparatifs des Carthaginois.

Siége

gente.

On apprit à Rome avec beaucoup de joie l'alliance qui s'étoit faite avec le Roi de Syracufe & le peuple fe fit un plaifir de la ratifier. On ne crut pas après cela qu'il fût néceffaire d'envoier en Sicile toutes les troupes, deux Légions fuffifoient: parce que Hiéron s'étant rangé du parti de Rome, le poids de cette guerre n'étoit plus à beaucoup près fi pefant, & que par-là les armées auroient en abondance toute forte de munitions. Les Carthaginois voiant que Hiéron leur avoit tourné le dos & que les Romains avoient plus à cœur que jamais d'envahir la Sicile, ils penférent de leur côté à fe mettre en état de leur tenir tête & de fe maintenir dans cette Ifle. Ils firent de grandes levées de foldats de-là la mer, dans la Ligurie, dans les Gaules, plus grandes encore dans l'Espagne & les envoiérent toutes en Sicile; & comme Agrigente (a) étoit la ville la plus forte & la plus importante de toutes celles qui leur appartenoient, ils y jettérent tous leurs vivres & toutes leurs troupes, & en firent leur place de guerre.

Les Confuls qui avoient fait la paix avec Hiéron étant de retour à d'Agri- Rome, on leur donna pour fucceffeurs dans cette guerre L. Pofthumius & Q. Mamilius, qui aíant pénétré d'abord où tendoient les préparatifs que les Carthaginois avoient faits à Agrigente, pour commencer la campagne par un exploit considérable, laifférent là tout le refte, furent avec toute leur armée attaquer cette ville, & campérent à huit ftades (b) de la place & renfermérent les Carthaginois dans fes murs. C'étoit

(a) Comme Agrigente étoit la ville la plus forte & la plus importante.] Agrigente ou Agragas ville de Sicile, ajourd'hui Gergenti, autrefois celebre par fes richeffes comme par fa force. Po. lybe en donne la defcription dans fon IX. Livre. Diodore de Sicile en parle magnifiquement. Bayle dans fon Dictionaire renverse tout ce que Moreri en a dit. Nous en parlerons en son lieu.

(b) Campérent à huit ftades de la place. ] Il y a eu anciennement deux ftades, comme deux talens. On comptoit fix cens pieds à chacun de ces ftades, dans les lieux où il étoit en ufage, comme on comptoit foixante mines à chaque talent.

L'un de ces deux ftades étoit néanmoins plus petit que l'autre de deux cinquièmes, de forte que les fix cens pas du grand ftade valoient mille pieds tels qu'on les emploioit au petit ftade.

Et tout de même l'un des deux talens étoit plus petit que l'autre de deux cinquièmes, de forte que les foixante mines du grand talent valoient cent mines de celles dont on comptoit foixante au petit talent...

Le petit ftade & le petit talent étoient le ftade & le talent d'Athenes: c'étoient le stade & le ta lent les plus communs.

Le grand ftale étoit le ftade de Delphes & le grand talent étoit le talent d'Egine.

Le petit ftade étoit de quatre cens pieds Ro mains, ou de quatre-vingt pas.

Ainfi, il y en avoit douze & demi au mille Romain.

Le grand ftade étoit de cent trente-trois pas Romains deux tiers, & il y en avoit fept & demi au mille.

Ce fyftême für le ftade eft de M. de la Barre, qui en donnera les preuves dans fes notes fur Hérodote, dont il fe difpofe ànous donner une nouvelle traduction.

En attendant que cet ouvrage paroiffe, nous nous en tiendrons à la commune opinion, qui est que la longueur réguliére du ftade étoit de 125. pas, qui reviennent felon Pline à 625. pieds Romains. Nons ne fommes pourtant pas plus fa vans fur cette me fure, fi nous ne fommes bien affurés du pied Romain: Le célébre Dom Bernard de Montfaucon dit, qu'on croit que le pied Romain d'aujourd'hui eft le même que l'ancien pied Romain, dont la mesure fe trouve au Capitole. Le pied Romain a un douzième moins que notre pied de Roi. L'ancien pied Romain, ou Italien, avoit felon Hieron, deux feiziémes & demi moins que le pied de Roi ancien, qu'on appelloit auffi Philæterius Si le pied Romain d'aujourd'hui est le même que l'ancien, il s'enfuit de là que l'ancien pied de Roi, dont parle Hiéron, étoit confidérablement plus

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