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préfence d'efprit, d'habileté & d'expérince dans le Comte d'Albemarle. Il avoit, quoiqu'il en dife, des forces fuffifantes pour empêcher le paffage de l'Escaut, & donner le tems aux troupes les plus voifines d'accourir au fecours. La chofe étoit d'autant plus aifée, que la garnifon de Valencienne fit un contre-tems, & que nous ne fimes pas de notre côté affez de diligence. Car, pour dire en paffant, on ne voit guéres d'entreprises importantes qu'on puiffe dire pures & nettes de tout défaut. On fe vit enveloppé de mille difficultés & de mille obftacles aufquels on ne s'attendoit pas, pour n'avoir pas fait attention que dans les affaires d'une certaine nature, & où il s'agit du paffage d'une riviére, on ne doit pas feulement renforcer & doubler l'attelage des haquets à pontons, mais encore les faire marcher à la tête de tout. On les attendit trois heures, & il étoit trois heures de jour lorsqu'ils arrivérent.

Si le Comte d'Albemarle fe fût précautionné fur l'Efcaut, qu'il fût forti à la tête de fa cavalerie, & d'une partie de fon infanterie, & qu'il fe fût porté sur cette riviére; car il en avoit tout le tems, l'entreprise n'échouoit-elle pas? Nos gens aiant jetté leur pont, notre Cavalerie défila deffus; à peine fut-on arrivé au-delà, qu'on rencontra un marais qu'il fallut paffer avec des difficultés infinies, d'où l'on fe forma dans la plaine. C'eft une chofe furprenante que l'ennemi eût négligé d'empêcher le paffage de l'Efcaut, fi aifé à défendre. Tout cela fait voir le bonheur attaché à l'étoile du Maréchal de Villars. Un autre moins heureux auroit échoué par le tems qu'on perdit à attendre les pontons. Cet autre moins heureux que ce Maréchal, ne nous fera pas difficile à trouver dans l'Hiftoire, & nous ne remonterons pas même fort haut dans les efpaces des fiécles, nous le touchons prefque.

Les Espagnols aiant affiégé Saint Quentin, le Connêtable marcha au fecours de cette place à la tête d'un grand corps de troupes, dans l'intention d'y faire entrer quelque monde pour renforcer la garnifon, par le moien de dix à douze bateaux qu'il prétendoit jetter fur la riviére; mais bien loin de les faire marcher à la tête de fa petite armée, il les mit à la queuë; ce fut la caufe de fa perte; car ils furent fi longtems à arriver, que l'ennemi eut le tems non feulement de rompre toutes fes mefures à l'égard du fecours, mais de paffer encore une chauffée à travers les marais, de le charger dans fa retraite, & de le battre totalement.

Pour revenir à notre fujet, d'où l'on ne s'égare jamais lorsqu'il s'agit de l'inftruction, j'ai appris par des gens dignes de foi, & d'un Général des Alliés de grande réputation, qu'il y avoit dans leur armée tout au moins pour dix ou douze jours de fubfiftance. Cela ne fuffifoit-il pas? Mons, Bruxelles leur euffent affez fourni de vivres pour attendre de plus grands fecours des places de l'Efcaut. Pendant ce tems-là ils pouvoient preffer leur fiége de Landrecy. Les munitions de guerre pouvoient-elles leur manquer pour cette entreprife? Le Quefnoy n'en étoit-il pas tout rempli? Ce que les François en ont trouvé eft connu de tout le monde. En ménageant un peu moins leurs troupes & l'artillerie, Landrecy tomboit en fort peu de jours, & pendant ce tems-là leur armée d'obfervation fe portoit fur l'Efcaut, pour s'approcher de leurs vivres à leur droite. Le Maréchal de Villars auroit-il paffè cette riviére pour les combattre? Et quand elle n'eût pas été un obftacle, la fituation du païs ne le permettoit pas. Il étoit tellement coupé de ravines, de hauteurs, de ruiffeaux, enfin tellement bizarre & parfemé de chicanes, qu'il eût été fort dangereux de s'y engager. Je laiffe à penfer fi la cavalerie eût été là d'un fort grand ufage. Qui empêchoit les Alliés de détacher la plus grande partie de la leur, tous leurs huffars & leurs grenadiers, & d'entrer en France? Toutes nos forces n'etoient-elles pas dans l'armée du Maréchal? Si ce grand corps eût tourné du côté de Paris, quelles troupes avions-nous pour lui faire tête? N'eût-on pas envoié courriers fur courriers au Maréchal pour lui faire

tout abandonner, & n'eût-il pas été obligé de courir au plus preffé? Les Alliés ne voioient-ils pas que cette démarche hardie les menoit là? Ne falloit-il pas néceffairement que le Maréchal abandonnât tous les avantages que la belle action de Denain tri fourniffoit? J'aurois parié mille contre un que cela ariveroit, je l'avois même mandé à la cour; l'événement s'en mocqua; mais l'événement ne prouve pas que j'aie mal raifonné; il prouve feulement que les Généraux Alliés ont mal raifonné dans le parti qu'ils prirent, & les Romains très-bien penfé dans celui qu'ils embrafférent après la furprise d'Erbesse, avec des reffources infiniment moindres que celles de nos ennemis. S. III.

L

Probleme militaire. Après l'affaire de Denain les François poufferent-ils
leurs avantages auffi loin qu'ils pouvoient aller ?

Es François épuiférent-ils toutes les reffources qu'ils avoient pour faire repentir leurs ennemis de l'audacieux projet qu'ils avoient formé de pénétrer jufqu'à la capitale? Ne négligérent-ils aucun des avantages d'une action qui leur fait tant d'honner? Peut-on leur reprocher qu'ils firent le moins lorfqu'ils pouvoient le plus? Je ne déciderai pas fur un point de cette nature: les fuites de Denain font fi avantageufes, fi brillantes & fi profondes, qu'il femble qu'on n'y puiffe rien ajouter. Cependant comme les fautes des grands hommes, quelques légéres qu'elles puiffent être, peuvent nous être utiles, je croi qu'on nous pardonnera la liberté de les obferver, de dire ce que nous en penfons. Dieu eft infaillible; mais les hommes ne le font pas, & les plus grands laiffent toujours quelque queuë de glofe, quelque marque de l'imperfection humaine dans leur conduite. La providence le veut ainfi, pour leur faire fentir qu'ils font hommes comme nous, quoiqu'au deffus de nous par leurs belles qualités. Après ce petit choc de morale, voions s'ils poufférent auffi loin leurs avantages qu'ils auroient pû, ou fi nous ne nous trompons pas nous-mêmes dans ce que nous en penfons.

Déja je veux prouver par les régles de la guerre, comme par celles de la prudence, qui eft une de ces vertus qui entre dans toutes les autres, que le fait de Denain étoit infaillible, l'Escaut une fois paffé; fuppofant que l'on eût trouvé ce pofte hors de toute infulte, tout hériffé d'obftacles, & que l'on eût enfin jugé à propos de ne pas l'attaquer, on n'avoit qu'à le mafquer de toute l'armée par une ligne tirée de l'Efcaut à Efcaut, c'est-à-dire de l'inondation de Valenciennes à celle de Bouchain; cet espace étoit très-petit. Les ennemis auroient-ils bien eu la hardieffe de déboucher en notre préfence? C'eût été folie: pendant ce tems-là nous nous rendions également les maîtres de Marchiennes, & de tous les poftes où ils avoient établi leurs magafins. On peut voir par là que quand on n'auroit pas attaqué ce pofte on n'eût pas moins fait ce que l'on fit, foit que les ennemis s'y maintinffent, ou qu'ils ne s'y maintinffent pas; on les réduifoit également à l'abfurde. Rien ne prouve davantage le bon fens & la prudence du Prince Eugéne, & le peu de jugement de ceux qui ne furent pas de fon avis, qui étoit de faire transporter inceffamment au Quefnoi ces prodigieux préparatifs de guerre. Denain fut pourtant pris, dans quelle heureufe fituation ne fe trouva t-on pas? Il ne s'eft jamais vû, on n'a jamais ouï parler d'une chofe femblable. L'ennemi environné de riviéres impraticables, les Alliés réduits à ne favoir où fe tourner par la perte de leurs magafins; qui empêchoit de faire de plus grandes chofes, & d'entreprendre fur toutes les conquêtes de fes ennemis? Il n'y avoit prefque qu'à fe préfenter. Qui peut tenter plufieurs chofes à la fois, doit n'en négliger aucune, courir à toutes, & mettre en œuvre l'efcalade, le petard & tout ce que nous devons & pouvons imaginer lorfque la fortune nous rit.

Il y avoit fi peu de monde à Douai qu'on l'eût infailliblement emportté d'infulte, & par l'efcalade, & en attaquant en même tems toutes les portes. A peine y avoit-il du monde pour les garder. Il falloit bloquer la place dès le jour même, pour empêcher que rien n'y entrât, l'infulter deux heures avant le jour, & faire une infinité d'attaques fauffes ou vraies; il s'en feroit trouvé quelqu'une qui auroit fait le coup; c'est ce qui arriva à l'escalade de Modéne en 1707. Je puis en dire des nouvelles fûres, j'y étois. Il n'y avoit que deux bataillons, un dans la citadelle, & l'autre dans - la ville: le Général Wallis nous accabla de tant de différentes attaques qu'il nous réduifit à rien de forte que nous fùmes emportés en deux endroits, car toutes les portes furent petardées en même tems. Il s'en falloit pourtant bien que cette place ne fût d'une auffi grande garde que Douai.

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Mais fuppofons que Douai ne fut pas infultable, on ne fauroit me nier que les autres places ne le fuffent. Il n'y avoit que deux bataillons à Lille, qu'on fit entrer dans la citadelle auffi-tôt après la nouvelle de Denain: il n'y avoit donc qu'à y courir & à s'y préfenter. Tournai n'en avoit pas davantage, & l'on en ufa comme à Lille: ajoutez qu'une partie des foffés de la ville étoient fecs, auffi s'attendoit-on de nous y voir bientôt. Les bourgeois ne fouhaitoient rien davantage. Il n'y avoit qu'un feul bataillon à Bethune, & un foffé fec du côté de la porte d'Arras, autant à Aire, cent hommes à Saint Venant; enfin toutes ces places étoient comme abandonnées.

Si l'on me dit que vingt mille hommes euffent à peine fuffi pour l'infulte de toutes ces places tout en même tems, & que l'on fe fût extrêmement affoibli au camp d'Anchin par une fi grande diverfion de fes forces, cette objection feroit peu digne. d'un homme du métier s'il s'étoit trouvé fur les lieux; & quand même il en feroit à cent lieues, fuppofé qu'il fût au fait de la pofition des deux armées, la carte du païs ne le mettroit-elle pas dans la route des raifonnemens & des conféquences? Nous étions trop avantageufement poftés pour rien craindre. Car quand même l'on auroit détaché la moitié de l'armée, & au-delà, jamais les ennemis n'euffent ofé tenter ui entreprendre fur notre camp. Je me fuis affez expliqué là-deffus. Si l'on me dit que je ne raifonne qu'après l'événement, je répondrai que cela n'eft pas vrai; mais quand cela feroit vrai, on n'en peut pas conclure que je raisonne mal: c'est toujours autant de gagné pour notre instruction. Je pourrois pourtant prouver par les lettres des Généraux, que j'avois prévû d'un peu loin tous les avantages que l'on pouvoit tirer de cette entreprise.

Quand même on auroit détaché trente mille hommes de nos forces, on n'eût pas moins pris Marchiennes & nétoié tous les poftes, pris les magafins de vivres & de munitions de guerre établis imprudemment fur la Scarpe, parce qu'ils fe trouvoient fur nos derriéres ou à notre flanc, & à deux pas de nous. Les François ne s'en rendirent-ils pas d'abord les maîtres? Marchiennes n'étoit pas un obftacle contre le deffein que je propofois, & ce deffein ne demandoit aucun des préparatifs qui éloi- gnent les entreprifes importantes ou difficiles dans l'éxécution: peut-être eût-on manqué de petards, dont la mode eft paffée, mais dont on ne doit être jamais dégarni dans les places frontiéres. On n'ignore pas que les échelles fe trouvent partout; que fi l'on ne vouloit pas fe rendre maitre de Lille & de Tournai, à caufe des citadelles, tout au moins étoit-on affuré d'emporter d'infulte Douai, Bethune, Aire & Saint Venant, entiérement dégarnies.

Au refte tout ce que je dis ici ne tire pas à conféquence contre la capacité du Maréchal de Villars. Il ne craint point les délateurs de ce côté-là: il a donné des marques trop vifibles de ce qu'il vaut; mais ni lui ni aucun Capitaine du monde n'en a donné d'infaillibilité. lui fuffit qu'il foit marqué au coin des grands hommes, &

qu'il en ait eu un autre en tête, qui ne lui cédoit ni en habileté ni en intelligences On ne doit pas être furpris s'il n'a pas jugé à propos de pouffer plus loin les avantages qu'il fembloit pouvoir tirer du premier. Un retour de fortune ranime, il est vrai, les courages rebutés par les infortunes précédentes; mais il n'efface pas d'abord de l'imagination les traces & le fouvenir des malheurs paffés. On fe défie de cette fortune & de fes caprices. On craint perpétuellement, par la connoiffance que l'on a de l'état de fes affaires, du tems & des lieux, que l'ennemi ne prenne une réfo lution déterminée, que nous prendrions nous-mêmes fi nous étions en fa place; parce que nous penfons mieux que lui. On agit avec beaucoup moins de circonfpection après un coup d'éclat & d'intelligence; mais il nous en refte encore affez pour ne point entreprendre ce que nous voudrions bien. Voilà ce qui nous tient encore flotants fur l'éxécution. des grandes entreprises, qui femblent devoir être une fuite néceffaire de la prémiére. Tout ceci peut être regardé comme une critique de fortune à l'égard d'un grand Capitaine, à qui elle préfente les occafions. Je ne prétends pas dire que ce qu'a fait M. de Villars foit peu de chose en comparaison de ce qu'il auroit pû faire; puifque ce qu'il a fait eft très-grand, & que je ne fuis pas affuré qu'il eût pû entreprendre au-delà.

La lettre que le Maréchal me fit l'honneur de m'écrire fur ma propofition, comme celle du Comte fon frere, qui mourut peu de jours après, me fit affez connoî tre qu'on raifonnoit fur ce que les ennemis pouvoient faire pour rompre les mesures que demandoit l'éxécution de ce que je propofois. On crut que leur retraite feroit plus prompte qu'elle ne fut; mais je croi que cette retraite ne pouvoit être un obftacle à l'infulte des places de Bethune, d'Aire, Saint Venant & de Douai, comme il me femble l'avoir dit. Peut-être n'ai-je pas raisonné conféquemment dans ces réfléxions fur Denain: & que je n'ai pas pris garde à cette maxime fi connuë, que la raifon a diverfes faces, & qu'elles ne fe préfentent pas toutes du même côté à diverfes fortes d'efprits, & fur tout à ceux qui ne font pas initiés au fecret des affaires. On me pardonnera, je m'affure, la longueur de ces réfléxions; car outre qu'elles appartiennent de droit à ce difcours fur Agrigente, la matiére m'a paru fi neuve, fi intéreffante, & fi pleine d'inftructions, que j'ai cru ne devoir point me piquer de briéveté & de laconifine. Révenons.

S. IV.

Embarras réciproques des Romains & des Carthaginois devant Agrigente. Importance de bien munir les places. Conduite que l'on doit tenir quand les munitions manquent. Faute commife au fiége de Tournai.

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Ette hardieffe de Pofthumius de bloquer une ville qui renferme de fi grandes forces dans fes murailles, fi cependant ces forces étoient fi grandes, car il pourroit fort bien fe faire qu'il y eût faute au texte: cette hardieffe, dis-je, de bloquer une ville qui renferme une armée en dedans, pendant qu'on eft foi-même bloqué en dehors, me paroît digne de fon courage: car d'enfermer une place à couvert de bons retranchemens, lorfqu'on n'a rien à craindre en dehors; que les affiégés plus forts que ceux qui les bloquent, font affez dépourvûs de jugement & de hardieffe pour fe laiffer brider; qu'ils manquent à mettre en œuvre tout ce que la fupériorité ou l'égalité peuvent nous infpirer de ferme & de réfolu, & qu'ils ne penfent pas a rendre inutiles les précautions ordinaires d'une armée qui bloque un pius fort que foi; ces fortes d'éxemples ne font pas nouveaux, & il n'y a rien là de fort extraordinaire. Car com

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me on n'eft pas étonné qu'un Gouverneur de place fe défende longtems & glorieufement avec deux ou trois mille hommes, contre une armée formidable, on doit mille fois moins l'être fi l'affiégeant plus foible que l'affiégé éléve une nouvelle place autour de l'autre, & qu'il l'enchaffe comme dans un étui. Ils fe trouvent tous les deux en mêmes termes, avec cette différence, que celui qui s'eft fi bien précautionné contre les entreprises de ceux de la place, n'a rien à craindre de la difette, s'il n'eft bloqué fui-même, comme il arriva aux Romains devant Agrigente.

Le Comte de Harcourt éprouva pareille avanture au fiége de Turin, qu'il tourna en blocus en 1640. car pour avoir négligé de pourvoir fon camp, il fe vit à la veille de mourir de faim. Cet événement eft un des plus extraordinaires qu'on ait vû depuis longtems. Le Prince Thomas s'étoit rendu maître de la ville, & ne l'étant pas de la citadelle, il fe mit dans la tête de l'affiéger. M. de Harcourt vint au fecours, & affiégea le Prince Thomas. Les Espagnols commandés par Leganés, accourent au fecours de celui-ci. Les affiégés comme les affiégeans, fe trouvent dans une égale difette: mais comme le Général Harcourt fupporta fes maux avec une conftance qui n'a guére d'éxemples depuis les Romains; il eut le même bonheur, la ville fut obligée de capituler faute de vivres, & Leganés de fe retirer faute de conduite & de fermeté; car il faut lui rendre cette juftice qu'il manqua de l'une, & qu'il ne marqua pas beaucoup de l'autre.

Voilà des fautes d'imprudence bien remarquables dans les deux éxemples que je viens de citer. Ne font-ce pas les mêmes que celles des Romains & des Carthaginois? Les premiers établiffent leurs magasins à cinq lieues de leur fiége, avec la plus grande fécurité du monde, comme fi leurs ennemis n'avoient pas le fens commun. Ceux-ci remarquent cette faute; ils en profitent, leur enlevent leur Denain & leur coupent les vivres. Le Général Harcourt, un des plus grands hommes de fon fiécle, tire fes vivres de Suze; c'est en être bien éloigné. Il avoit le tems de fe précautionner contre la faim, & de bien munir fon camp; il le néglige, Leganés arrive, qui le réduit à l'extrémiré; mais il trouve à qui parler. Il trouve un autre Conful Romain, qui ne voit aucun milieu entre mourir de faim & foutenir fon entreprise. Il fait voir fon courage & fa patience, mais en même tems fa faute, que l'événement fait oublier & tourne à fa plus grande gloire; mais celle des Alliés contre nous eft une de celles fur lefquelles le Sophifte le plus fubtil ne fauroit chicaner le terrain. Il faut paffer condamnation.

re.

Hannon n'en est éxemt non plus, mais fon heure n'eft pas venue; car il feroit injufte de le charger des iniquités du Sénat de Carthage, qui eut toujours le défaut de fournir le plus petitement qu'il pouvoit aux dépenfes les plus capitales de la guerUn éffort de finance l'épouvantoit; & lorfque la néceffité l'y obligeoit, ces fupplémens arrivoient fi tard, qu'ils devenoient inutiles; c'eft ce qui contribua le plus à fa perte. Agrigente en eft une affez bonne preuve, fans parler de la feconde guerre Punique. On munit fi mal cette place qu'elle fuccomba par cela feul, & cela feul rompit les mesures de Hannon, & produifit enfin fa perte.

Qu'on fafle bien attention à ce que je vais dire. La plupart des places les plus importantes ne fe perdent ordinairement que par le défaut de fubfiftance. On fe contente de les fournir pour trois ou quatre mois. Peu de vivres, encore moins de munitions de guerre, & beaucoup moins d'argent, fans fonger qu'elles peuvent être bloquées, ou tenir fort longtems. Un Gouverneur qui n'eft pas d'humeur à s'ennuier, & qui veut faire fon devoir, peut tenir plus de fix mois ; & fouvent l'affiégeant rebuté voiant qu'il n'avance point, ou que l'ennemi l'inquiéte au dehors, tourne fon fiége en blocus. Ce n'eft pas affez de fortifier les places, & de les munir feulement pour le tems qu'el

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