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à Agricola, mais le premier l'emporte fur le héros de Tacite. Plutarque nous apprend dans la vie de ce grand Capitaine, qu'après toutes fes victoires il fit graver fur les trophées qu'il érigea: A Mars, à la Victoire & à Venus, pour marquer, dit l'Auteur; qu'il n'avoit pas moins remporté ces grands avantages par la faveur de la fortune que par fa grande capacité, par fa force & par la valeur de fes troupes. Mais voici quelque chofe de plus fort. Car il dreffa deux trophées, continuë Plutarque, le premier, qui fut celui du combat gagné dans la plaine, il le dreffa dans l'endroit où Archélaus avoit commencé à plier,& à fuir jufques fur les bords du Molus; & l'autre fur le fommet de Thurium, que l'on avoit heureusement gagné en tournant les Barbares, &fur ces trophées il étoit marqué en lettres Grecques: A LA VALEUR D'HOMOLOICHUS ET D'ANAXIDAMUS. C'eft qu'il dût uniquement à ces deux hommes la victoire qu'il remporta fur Archélaus. Ce qu'il y a de plus grand & de plus magnanime dans Sylla, c'eft que ces deux perfonnages n'étoient pas Romains, mais Grecs de la ville de Chéronée, qui s'offrirent d'aller gagner la cime de Thurium avec un petit nombre de foldats d'élite.

M. de Barbefieux commandant à Marseille en 1535. n'étoit pas un Sylla. En voici la preuve.

Charles-Quint s'étant mis la conquête de la France en tête, entra dans la Provence, & s'avança jufqu'à Aix, où il perdit fi bien fon tems, qu'il nous donna celui de nous fortifier à Marfeille, par où il eût dû commencer, & d'où il eût pû tirer tous ses vivres pour la fubfiftance de fon armée. Les grains ne lui manquoient pas, mais il lui falloit des moulins pour les moudre: on eut la précaution de les ruiner tous, de forte qu'il ne lui refta que celui d'Aubagne. François I. s'étoit avancé jufqu'à Avignon pour défendre le paffage de la Durance, ou pour le combattre en deçà dans la plus belle plaine du monde. Ce moulin d'Aubagne inquiétoit le Roi. Il avoit écrit aux Marfeillois de tenter de le détruire; mais l'entreprise parut impoffible à M. de Barbefieux, qui manda plufieurs fois au Roi que ce pofte étoit bien gardé, & à deux pas de l'armée Imperiale. Le Roi fe défefpéroit, parce qu'il voioit bien qu'en ruinant le moulin il coupoit la gorge à fon ennemi.

Le Capitaine Montluc, plein de reffources & de lumières, d'un efprit vif & entreprenant, voiant qu'on regardoit cette entreprise comme folle & téméraire, s'informa fi bien de l'endroit à des gens du lieu même, qu'elle ne lui parut que hardie, & ne dépendre que du fecret & de la diligence. Il fe réfout de tenter l'avanture. Il la propofa à M. de Barbefieux, & lui promit d'en rendre bon compte. Le Commandant rit de cette fanfaronade, ne s'imaginant pas que cela fut poffible, & qu'on pût y penfer fans témérité & fans folie, outre qu'il y avoit quatre bonnes lieues de Marfeille à Aubagne. Cependant Montluc l'entreprend, & ne demande que fix vingt falades, quoiqu'il y eût beaucoup plus de monde dans le moulin, où les ennemis s'étoient fortifiés, & beaucoup plus encore dans la ville. Le détail que l'Auteur fait de cette entreprise eft admirable, & écrit d'une maniére noble, fimple, amufante, & d'une trèsgrande inftruction. Je ne le rapporterai pas, parce que cela n'eft pas de notre sujet. Il fuffit de dire que Montluc força le moulin, le détruifit, & fe retira bravement, au grand étonnement de M. de Barbefieux, qui étoit de ces efpeces d'hommes qui ne croient jamais les autres capables de ce qu'ils ne font pas capables de faire eux-mêmes, & qui n'ont pourtant pas honte de s'attribuer baffement les actions d'autrui.

Fepenfois bien, dit ce favant Officier, que M. de Barbefieux, lorfque le Roi arriva à Marseille, me préfentát à Sa Majesté, & lui dit comme j'avois fait l'entreprise, afin d'être connu de Sa Majesté. Mais tant s'en faut qu'il le fit, qu'au contraire il s'attribua tout l'honneur, difant que c'étoit lui qui avoit inventé la dite entreprife, & qu'il

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heus l'avoit baillée à éxécuter. M. de Montpezat fe trouva fort malade, qui n'en pus rien dire, de forte qne je demeurai autant inconnu du Roi que jamais. Ce que je fús du Roi Henry de Navarre, qui m'a dit avoir lú les lettres que ledit fieur de Barbafieux avoit écrit au Roi,par lesquelles il s'attribuoit tout l'honneur de ladite entreprise. M. de Lautrec n'eût pas fait cela. Il fied mal de dérober l'honneur d'autrui, il n'y a rien qui décourage tant un bon cœur. M. de Tavanes; qui eft en vie, peut témoigner de la vérité, & fi eft-ce que ces ruptures de moulins tant d'un côté que d'autre; memement de celui-là, mirent le camp de l'Empereur en fi grand néceffité, qu'ils maugeoient le blé pilé à la Turque, & les raifins qu'ils mangeoient mirent leur camp en fi grand défordre de maladie & mortalité, mêmement parmi les Allemans, que je pense qu'il n'en retourna jamais mille en leur païs.

S. VIL

Blocus d'Agrigente. Il eft plus prudent de bloquer que d'affiéger en forme les villes d'u ne grande étendue. Quand les lignes font menacées, fouvent le plus fúr eft d'en fortir. Affaire de Turin en 1706.

L paroît affez que le deffein des Romains étoit d'affiéger Agrigente dans les formes. La perte de leurs machines, plus que toute autre chofe, les détermina à un blocus, & ce blocus, fans qu'ils y priffent garde, fut la caufe de leur falut & de la prise de la place, qui felon toutes les apparences leur échapoit. La garde de leurs travaux & de leurs machines eût fait une telle diverfion de leurs forces, qu'il leur eût été moralement impoffible de foutenir leur circonvallation & leurs travaux tout en même tems. Les fiéges des grandes villes font très-difficiles & très-incertains, lorfqu'elles font bien munies, que de puiffantes garnifons & des Officiers habiles les défendent, & que les garnisons fentent une armée en campagne, qui n'est point empêchée par une autre qui la tient en cervelle, & qui retorque fur fes mouvemens pour lui couper broche, comme parle Brantome. C'eft ce que nous appellons aujourd'hui Armée d'obfervation: Méthode, pour le dire en paffant, qui eft felon mon fens, fujette à de fâcheux inconveniens. Quoiqu'on en dife, le pour & le contre combattent également des deux côtés, je tiendrois plutôt pour celui-ci que pour l'autre. Un Général habile, qui cherche à fecourir la place, le peut plus aifément qu'on ne fe l'imagine. Un mouvement fait à propos le met au deffus du vent, & démonte toutes les mesures de l'antagoniste. Témoin Denain. Ces fortes de manoeuvres n'appartiennent pas à tout le monde, les imaginations communes ne vont pas fi loin. Deux Généraux, également habiles & expérimentés, fe joindront bientôt: fi celui, qui veut fecourir la place, ne trouve rien de plus fubtil à faire, & que l'autre ne puiffe l'éviter, la fortune du fiége dépend de cette affaire: le hazard ne manque jamais d'y avoir la principale part, & fouvent toute entiére: fi le dernier eft battu, voilà fon fiége évanoui & fa réputation perduë. On manque fon coup, c'eft un grand mal, & l'on perd une bataille, ce qui eft encore pis. J'aurois mille chofes à dire là deffùs; mais je les écarte avec regret, cela pourra venir ailleurs. Puifqu'il s'agit dans cette affaire d'une armée toute emploiée dans un fiége, & renfermée dans une ligne environnante d'une très-grande étendue, & divifée en plufieurs quartiers; je crois que dans ces occafions un blocus eft toujours plus prudent & plus affuré qu'un fiége dans toutes les formes.

Céfar n'eut garde d'affiéger Alexia, il fe contenta de bloquer cette place par ces deux lignes fi célébres dans l'Hiftoire. Il ne fut pas fi mal avifé que de fonder fa fubfistance Tome I.

H

fur les places voifines de fon camp; il le munit de toutes fortes de provifions de guera re & de bouche; ce qui devroit apprendre aux Généraux d'armée à ne pas compter fur les convois qu'ils reçoivent de tems en tems des villes les plus proches. Cela s'appelle vivre au jour la journée.

Nous tombâmes dans une faute toute femblable au fiége d'Arras en 1640. fous le regne de Louis XIII. Le Cardinal de Richelieu étoit affez bien informé que les Efpagnols affembloient toutes leurs forces pour le fecours d'une place fi importante. On confeilla au Cardinal Infant de couper les vivres aux affiégeans. Rien n'étoit plus aifé. Richelieu y avoit très-mal pourvu. L'Infant devoit favoir que lorfqu'il s'agit d'une entreprise extrémement importante, telle qu'étoit celle-là, qu'on fait d'ailleurs que l'ennemi n'oubliera aucun effort pour le fecours de la place; que l'on fait encore qu'il eft maître de la campagne, & qu'on n'a d'armée à lui oppofer que celle qui eft enfermée dans fes lignes; quand on fait, dis-je, tout cela, peut on demeurer fufpendu entre ce qu'on fera & ce qu'on ne fera pas? Rien ne l'empêchoit de couper les vivres aux affiégeans, en fe campant entre eux & les places d'où ils tiroient leurs convois. N'étoit-ce pas là le fentiment de tous les Généraux? S'il eût pris ce parti, & qu'il n'eût pas perdu à délibérer le tems qu'il falloit emploier à agir, il eût obligé les François à lever honteusement le fiége. Il eut tout le tems de voir cela pendant qu'il fut campé auprès des lignes, au lieu qu'il les attaqua fans fruit à cause de leur force extraordinaire. Mais Richelieu étoit-il bien affuré que le Général d'Eglife ne verroit goute dans cette foule d'avantages & d'occafions qui fe préfentoient pour ruiner & réduire à néant une entreprise de cette importance? Ces avantages étoient frapans. Un peu de réflexion fuffifoit de refte pour les reconnoître, fi le Général Efpagnol en cette occafion eût été homme à en faire. Mais le Miniftre François fut-il plus habile & plus clairvoiant? J'en doute. Car pourquoi ne munit-il pas fon camp de vivres & de munitions de guerre pour tout le tems du fiége? Dans les entreprises de cette conféquence, c'eft peu lorfqu'on n'en a pas pour trois mois. Ce n'étoit pas là le pis qui nous pouvoit arriver en levant le fiége de cette place; il falloit fe retirer, & la retraite ne pouvoit fe faire qu'en paffant fur le corps de l'armée Espagnole, beaucoup fupérieure à la nôtre, & compofée de tout ce que l'Espagne avoit de fort & de redoutable.

Si le Cardinal Infant pancha plutôt à infulter nos lignes qu'à nous couper les vivres, parti qu'il crut peu digne de fon courage, ou qui palloit fon intelligence; fi, dis-je, il rejetta celui-ci pour prendre l'autre, & s'il le prit tard, c'eft qu'il s'imagina qu'il nous trouveroient foibles, abattus & atterrés des travaux du fiége & de nos pertes. C'étoit mal raisonner, il n'eft pas toujours für, il ne l'eft même jamais de fecourir une place lorfqu'elle eft à l'extrémité, & que les affiégeans n'en peuvent plus, ou que le fiége eft fort avancé. Il l'eft encore moins au commencement d'une guerre, & à la premiere grande entreprise. Je ne faurois être du fentiment de ceux qui s'imaginent que le tems le plus propre eft, lorfque les troupes font affoiblies par la défense vigoureufe & opiniâtrée des affiégés. "Rien n'éxerce davantage les troupes que les fiéges, & fur tout ceux qui font féconds en grandes forties. Quand on attend ce temsFà au commencement d'une guerre, c'eft expofer une armée déja aguerrie contre une autre qui l'eft encore plns. Le meilleur & le plus prudent à l'ouverture d'une guerre, eft de débuter par quelque fiége important qui aguerriffe les troupes de nouvelles levées, ou celles qui n'ont encore rien vu.

Dans le même fiége, lorfque le Cardinal Infant fe préfenta devant nos lignes, on affembla le Confeil. La Meilleraie propofa de fortir des lignes, & d'aller au-devant des ennemis pour les combattre. On fut d'un avis contraire. Leur armée, disoit-on, est du moins auffi forte que la nôtre. Pour aller à eux il faudroit lever tous les quartiers:

1. Do Putter facit.

COLONNE ROSTRIE ERIGEE A ROME EN MÉMOIRE DE LA VICTOIRE NAVALE REMPORTÉE PAR CAIVS UWIKIVS SVE LES

CARTHAGINOIS.

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