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Faute du

Conful

& d'An

nibal.

comme de modéle pour conftruire toute leur flotte (a): de forte que fans cet accident, n'aiant aucune expérience de la marine, ils auroient été contraints d'abandonner leur entreprise. Pendant que les uns étoient occupés à la fabrique des vaiffeaux, les autres amaffoient des matelots & leur apprenoient à ramer. Ils les rangeoient la rame à la main fur le rivage dans le même ordre que fur les bancs. Au milieu d'eux étoit un Commandant. Ils s'accoûtumoient à fe renverfer en arriére, & à fe baiffer en devant tous enfemble, à commencer & à finir à l'ordre. Les matelots éxercés, & les vaiffeaux conftruits, ils fe mirent en mer, s'éprouvérent pendant quelque tems, & voguérent le long de la côte d'Italie.

Cn. Cornelius qui commandoit la flotte, après avoir donné ordre aux pilotes de cingler vers le détroit dès que l'on feroit en état de partir, prit avec dix-fept vaiffeaux la route de Meffine, pour y tener prêt tout ce qui feroit néceffaire. Lorfqu'il y fut arrivé, une occafion s'étant préfentée de furprendre la ville des Lipariens, il la faifit trop légérement, & s'approcha de la ville. A cette nouvelle Annibal, qui étoit à Palerme, fit partir le Sénateur Boode avec une escadre de vingt vaiffeaux. Celui-ci avança pendant la nuit, & envelopa dans le port celle du Conful. Le jour venu, tout l'équipage fe fauva à terre: & Cornelius épouvanté, ne fachant que faire, fe rendit aux ennemis; après quoi les Carthaginois retournérent vers Annibal, menant avec eux, & l'efcadre des Romains, & le Conful qui la commandoit. Peu de jours après, quoique cette avanture fit beaucoup de bruit, il ne s'en fallut prefque rien qu'Annibal ne tombât dans la même faute. Aiant appris que les Romains rangeant la côte d'Italie approchoient, il voulut favoir par lui-même combien ils étoient, & dans quel ordre ils s'avançoient. Il prit cinquante vaiffeaux; mais en doublant le promontoire d'Italie, il rencontra les ennemis voguant en ordre de bataille. Plu fieurs de fes vaiffeaux furent pris, & ce fut un miracle, qu'il put fe fauver lui-même avec le refte.

Les Romains s'étant enfuite approchés de la Sicile, & y aiant appris

(a) Ils s'en fervirent comme de modéle pour conftruire toute leur flotte.] Voici un paffage qui A'eft pas tout à fait indigne d'être relevé. Les Romains paffent le détroit, non pas feulement fur des bâtimens de cinquante rames, c'eft-àdire des galéres de bas bord? Mais encore fur des triremes, qui étoient des vaiffeaux ou galéres de guerre qu'ils avoient empruntés de leurs voifins, & Polybe nous dit après cela, que fi le vaiffeau Carthaginois n'eût échoué fur la côte, & dont ils fe faifirent, les Romains auroient été contraints d'abandonner leur entreprise: je ne comprens rien à cela. N'avoient-ils pas traversé le détroit avec des bâtimens propres pour la guerre ? Mais, dira

l'act-on, ces galéres ou vaiffeaux, fi on l'aime mieux, n'étoient pas pontés, & l'Auteur entend parler de ces fortes de bâtimens. Se moque-t-on? Quoi? ces bâtimens fi extraordinairement élevés, pou voient être autrement que pontés, qui peut douter qu'ils ne le fuffent, & même à deux ponts? Qui empêchoit les Romains d'en conftruire fur le même modéle de ceux fur lesquels ils avoient paffé le détroit? Polybe auroit ce me femble mieux fait de nous dire que celui qu'on prit se trouva d'un gabarit plus avantageux & plus propre pour les manoeuvres legéres; mais il ne pouvoit être différent des autres que dans la coupo qui dût leur paroître plus fine.

Faccident qui étoit arrivé à Cornelius, ils envoiérent à C Duillius, qui commandoit l'armée de terre, & l'attendirent. Sur le bruit que la flotte des ennemis n'étoit pas loin, ils fe difpoférent à un combat naval. Mais comme leurs vaiffeaux étoient mal conftruits, & d'une extrême pefanteur, quelqu'un fuggéra qu'il falloit fe fervir (a) de ce qui fut depuis ce tems-là appellé des corbeaux. Voici ce que c'étoit.

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Une piece de bois ronde, longue de quatre aunes, groffe de trois palmes de diamétre, étoit plantée fur la prouë du navire: au haut de la poutre étoit une poulie; & autour, une échelle clouée à des planches de quatre pieds de largeur, fur fix aunes de longueur, dont on avoit fait un plancher percé au milieu d'un trou oblong, qui embraffoit la poutre à deux aunes de l'échelle. Des deux côtés de l'échelle fur la longueur, on avoit attaché un garde-fou qui couvroit jufqu'aux genoux. y avoit au bout du mat une espèce de pilon de fer pointu, au haut duquel étoit un anneau; de forte que toute cette machine paroiffoit femblable à celles dont on fe fert pour faire la farine. Dans cet anneau paffoit une corde, avec laquelle, par le moien de la poulie qui étoit au haut de la poutre, on élevoit les corbeaux lorsque les vaiffeaux s'approchoient, & on les jettoit fur les vaiffeaux ennemis, tantôt du côté de la proue, tantôt fur les côtés felon les différentes rencontres. Quand les corbeaux accrochoient un navire, fi les deux étoient joints par leurs côtés, les Romains fautoient dans le vaisseau ennemi d'un bout à l'autre; s'ils n'étoient joints que par la prouë, ils avançoient deux à deux au travers du corbeau. Les premiers fe défendoient avec leurs boucliers des coups qu'on leur portoit en devant; & les fuivans pour parer les coups portés de côté, appuioient leurs boucliers fur le garde - fou. Après s'être ainfi préparé, on n'attendoit plus que le tems de combattre.

Auffi-tôt que Duillius eût appris l'échec que l'armée navale avoit reçû, Bataille laiffant aux Tribuns le commandement de l'armée de terre, il alla de Myle. joindre la flotte: & fur la nouvelle que les ennemis faifoient le dégât fur les terres de Myle, il la fit avancer toute de ce côté-là. A l'approche des Romains, les Carthaginois mettent avec joie leurs cent trente vaiffeaux à la voile: infultant prefque au peu d'expérience des Romains, ils tournent tous la proue vers eux, fans daigner feulement fe mettre en ordre de bataille. Ils alloient comme à un butin qui ne pouvoit leur échaper. Leur Chef étoit cet Annibal, qui de nuit s'étoit furtivement fauvé avec fes troupes de la ville d'Agrigente. Il montoit une galére à fept rangs de rames, qui avoit appartenu à Pyrrhus. D'abord les Car

(a) De ce qui fut depuis appellé corbeau.] La description de ce corbeau, laquelle fe trouve dans tous les manufcrits du Vatican, eft fort différente de celle-ci. On on voit une traduction Latine dans le Vegetius de l'édition de Plantin. Tome I.

Je m'étonne qu'on ait fi peu réuffi dans la dé-
couverte de cette machine. Le lecteur curieux
peut en voir la figure & tout ce que j'ai pensé
fur les différens corbeaux des anciens, dans les
obfervations fuivantes,

thaginois furent fort furpris de voir au haut des prouës de chaque vaiffeau, un inftrument de guerre auquel ils n'étoient pas accoûtumés. Ils ne laifférent cependant pas d'approcher de plus en plus, & leur avant-garde pleine de mépris pour les ennemis, commença la charge avec beaucoup de vigueur; mais lorsqu'on fut à l'abordage, que les vaiffeaux furent accrochés les uns aux autres par les corbeaux, que les Romains entrérent au travers de cette machine dans les vaiffeaux ennemis, & qu'ils fe battirent fur leurs ponts; ce fut alors comme un combat fur terre, une partie des Carthaginois fut taillée en pièces, les autres effraiés mirent bas les armes. Ils perdirent dans ce premier choc trente vaiffeaux & tout l'armement. La galére Capitaineffe fut aufft prife, & Annibal au défespoir fut fort heureux de pouvoir fe fauver dans une chaloupe. Le refte de la flotte des Carthaginois faifoit voile dans le deffein d'attaquer les Romains; mais lorsqu'ils virent de près la défaite de ceux qui les avoient précédés, ils se tinrent à l'écart & hors de la portée des corbeaux. Cependant à la faveur de la légèreté de leurs bâtimens, ils avancérent les uns vers les côtés, les autres vers la poupe des vailleaux ennemis, comptant fe battre par ce moien fans courre aucun rifque; mais ne pouvant, de quelques côtés qu'ils tournaffent, éviter cette machine, dont la nouveauté les épouvantoit, ils fe retirérent avec perte de cinquante vaiffeaux. (a) Une journée fi heureuse redouble le courage & l'ardeur des Romains. Ils fe jettent dans

(a) Une journ'e fi heureuse rédouble le courage &l'ardeur des Romains. ] Ceux qui ont fouvent été battus, ou qui par la perte de quelque combat, ou le fouvenir de leur derniere difgrace, fe font imaginé que leurs ennemis ont plus d'adreffe, d'habileté & d'expérince fur mer; ceux-là mêmes fentent redoubler leur courage, & prennent de nouvelles espérances, lorsqu'il leur arrive quelque bonheur: à plus forte raifon lorfqu'ils remportent une victoire complette, auffi continuent-ils laguerre avec plus de courage & de fierté que ne font les vainqueurs. Cela paroit encore plus dans ceux qui ont éprouvé tous les maux d'une guerre très-malheureuse, & dont ils croient ne pouvoir jamais fe relever; un retour de fortune, un changement fi inefperé produit des effets furprenans, & remet toute la machine du cœur au paravant démontée par la crainte de l'ennemi. Cela ne fe remarque pas feulement dans les foldats, mais encore dans les peuples. La joie qu'ils reffentent d'un bonheur prefque inattendu, les porte naturellement à fournir pour la continuation de la guerre des moiens qu'on croioit taris. Une bataille perdue caufe fouvent la même révolution, lorfque les foldats & leurs Généraux ont conbattu avec tout le courage & l'intrépidité poffible. La bataille de Malplaquet quoique perduë, peu s'en faut que je ne dife en apparence,

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puifqu'on abandonna le champ de bataille fans au
cune néceffité, & qu'une heure de répit nous don
noit la victoire que l'ennemi pensoit à nous cé
der. Cette bataille, dis-je, eft un bel exemple de
ce que je viens d'avancer. On ne vit jamais dans
les peuples plus d'empreffement & d'ardeur à
fournir dequoi réparer la perte que l'on avoit
faite dans cette célebre journée:

Pour revenir aux Romains, certe victoire de
Duillius leur éleva fi fort le cœur, & les remplit.
de tant d'efpérance, que ce Général obtint des
honneurs auffi nouveaux que le fut fon triomphe,
car il fut le premier qui triomphat après une vic.
toire navale,fpectacle qu'on n'avoit pas encore vu
dans Rome. On fit plus, on lui érigea une co-
lonne roftrale, ainfi appellée à caufe des prouës
de navires dont on ornoit ces colonnes, autre
nouveauté dans l'architecture. On déterra un mor-
ceau de celle-ci vers la fin du XVI, fiécle.

Le triomphe & la colonne ne parurent pas dignes d'une fi grande victoire. On pouffa plus loin la reconnoiffance. Un triomphe ne dure qu'une journée, après cela l'on n'en parle plus, & l'on vouloit s'en fouvenir tant qu'il y auroit des Duillius de la race du premier. On fit un decret public, qui devoit paffer à fes defcendans, par le quel on lui accordoit l'honneur de fe faire conduire à fon logis aux flambeaux & au fon des flûtes,

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la Sicile, font lever le fiége de devant Egefte, qui étoit déja réduite aux derniéres extrémités, & prennent d'emblée la ville de Macella.

mort

Après la bataille navale, Amilcar Chef de l'armée de terre des Car- Petit Exthaginois, aiant appris à Palerme, où il campoit, que dans l'armée ploit & ennemie les Romains & leurs alliés n'étoient pas d'accord, que l'on y d'Amildifputoit qui des uns ou des autres auroient le premier rang dans les car. combats, & que les alliés campoient feparément entre Parope & Termine, il tomba fur eux avec toute fon armée pendant qu'ils levoient le camp, & en tua près de trois mille. Il prit enfuite la route de Carthage avec le refte des vaiffeaux qui avoient échapé au dernier combat, & de là il paffa fur d'autres en Sardaigne, avec quelques Capitaines de galére des plus expérimentés. Peu de tems après aiant été envelope par les Romains dans je ne fai quel port de Sardaigne, (car à peine les Romains eurent-ils commencé à fe mettre en mer, qu'ils penférent à envahir cette ifle;) & y aiant perdu quantité de vaiffeaux, il fut pris par ceux de fes gens qui s'étoient fauvés, & puni d'une mort honteuse.

Dans la Sicile les Romains ne firent la campagne fuivante rien de Siége de mémorable. Mais A. Atilius Regulus & C. Sulpicius, Confuls, s'é. quelques tant venus mettre à leur tête, ils allérent à Palerme, où les Carthagi-villes. nois étoient en quartier d'hiver. Etant près de la ville, ils rangent leur armée en bataille; mais les ennemis ne fe préfentant pas, ils marchent vers Ippana, & la prennent du premier affaut. La ville de Muttiftrate, fortifiée par fa propre fituation, foutint un long fiége, mais elle fut enfin emportée. Celle des Camariniens, qui peu auparavant avoit manqué de fidélité aux Romains, fut auffi prife après un fiége en forme, & fes murailles renverfées. Ils s'emparérent encore d'Enna & de plufieurs autres petites villes des Carthaginois. Enfuite ils entreprirent d'affiéger celle des Lipariens.

toutes les fois qu'il fouperoit en ville chez fes amis. Il y avoit dequoi entretenir tous les joueurs de flûtes de Rome, fans doute qu'il s'en munit abondamment. Il ne faut pas douter que fes defcendans ne s'en muniffent auffi, & qu'ils ne foupaffent très-fouvent en ville fans fe faire beaucoup prier, pour ne pas perdre un privilége fi honorable & fi glorieux dans la famille. Il y a bien des Auteurs qui prétendent qu'il s'arrogea cette espéce de triomphe nocturne. Je renvoie le lecteur au Dictionaire de Bayle, qui a épuisé

cette matiere. Il n'y a rien de plus beau dans
les Princes, & de plus capable d'engendrer l'é-
mulation & la reconnoiffance, que de continuer
les graces & les honneurs aux defcendans de
ceux qui leur ont rendu des fervices signalés.
Les defcendans de Themistocle, dit Plutarque,
fix cens ans après la mort de ce grand homme,
confervoient encore à Magnefie certains hon-
neurs que le Roi de Perfe Artaxerxès lui avoit
accordés.

OBSERVATIONS.

Sur la bataille navale de Milazzo entre le Conful Duillius &
Annibal, Général des Carthaginois.

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S. I.

Ordre de bataille des deux armées. Précipitation d'Annibal,
caufe de fa défaite.

Oici la premiére bataille que les Romains gagnérent fur mer. Le victorieux fut auffi le premier à qui ils accordérent le triomphe naval, cette nouveauté dûr plaire beaucoup à Rome. On lui érigea une colonne avec une infcription, c'eft Florus qui nous apprend ceci : il a dit vrai, car vers la fin du feiziéme fiécle on en déterra à Rome un morceau. Ces fortes de colonnes fe nommoient Roftrata; elles étoient ornées de prouës de navires, comme on voit dans la figure, lefquelles avançoient en dehors, rangées en quinconce. Duillius obtint encore d'autres honneurs en reconnoiffance de cette victoire. Bien des Savans fur de bons témoignages prétendent qu'il en excroqua une bonne partie; c'eft dequoi je ne déciderai pas.

Ce Duillius eft le même, felon quelques Auteurs, qui fe plaignit un jour à fa femme qu'elle ne l'avoit jamais averti d'un défaut qu'on venoit tout fraîchement de lui reprocher, c'étoit d'avoir l'haleine puante. Sa femme bien étonnée, lui répondit qu'elle croioit que tous les hommes lui reffembloient fur ce point. Ce feroit dommage que le nom de cette femme miraculeufe fe fût perdu: S. Jerôme nous l'a confervé. Elle s'appelloit Cilia. Ces fortes de femmes font rares dans l'antiquité. Nos tems font plus heureux. Aujourd'hui même, il en eft jufqu'à trois que je pourrois citer.

Duillius fut donc le premier des Romains qui défit les Carthaginois fur un élément où ils paffoient pour de très-grands maîtres. Cette bataille mérite quelques obfervations. Mais j'ai lieu de craindre que les marins ne foupçonnent mon fait à ces mots d'observations fur une bataille de mer. Que le pilote raifonne fur les vents, diront-ils, nous ne le trouvons pas étrange: cela eft de fon métier. Que le Bouvier parle de fes bœufs, & le Berger de fon troupeau, on n'y trouve pas à dire. Il n'eft pas non plus étonnant que le Guerrier s'entretiennent de fes combats & des bleffures qu'il a reçûes, cela eft dans l'ordre: on l'écoute & on le croit.

Bafti al Nochiero ragionar de venti,
Al bifolco de itori, & le fue piaghe
Contil guerrier, contil paftor gli armanti.

Mais qu'un homme qui n'eft marin ni de fait ni de profeffion, fe mêle de parler guerre de mer, cela eft hors de fa competence. Point du tout. Car pour ne rien dire ici de quelques voiages que j'ai faits fur cet élément, quoique je n'aie fervi que fur terre, je n'ai pas laiffé dans mes heures perduës que d'étudier ce qui pouvoit m'être néceffaire pour raifonner pertinemment fur un combat naval, fans néanmoins rien décider: d'ail

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