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dans un Général d'armée: quand même cette hardieffe inconsidérée auroit eu un fuc cès aufli heureux, qu'il fut trifte & honteux pour lui.

Il faut avouer qu'un Général qui a des forces fuffifantes pour combattre fon ennemi, & qui s'avance fur lui avec la moindre partie par un trop grand défir de vaincre, commet une imprudence très-grande. C'eft celle du Général Carthaginois; mais celle du Romain eft-elle moins grande? Ne fait-il pas voir ici & en Afrique, où nous le verrons bien-tôt, qu'il étoit un de ces hommes qui s'imaginent que le courage feul fuffit pour remplir le devoir d'un Général. A peine eft-il informé que l'ennemi paroit, que fon impatience le tranfporte. Il donne ordre aux troupes de s'embarquer, & de lever l'ancre; & fans penfer à ce qu'il va faire, il fort du port avec dix vaiffeaux qu'il avoit en état de combattre, tant il étoit mal inftruit & peu fur fes gardes. Il fe hâte donc de fortir: trop de circonfpection eût fait manquer l'occafion; elle étoit belle, s'il n'eût combattu l'ennemi à forces fi inégales; il vogue à lui plein de mépris, comme à une victoire affurée; il l'attaque fans héfiter, & fe trouve avoir affaire à une ligne toute formée. Les Carthaginois qui le débordent à fes ailes, le doublent & l'envelopent promptement. Le Conful fe fauve à peine avec fon vaiffeau, après en avoir perdu neuf pour acte de fes diligences. Un homme qui fort d'un combat en fi petite compagnie, doit être bien honteux.

La défaite d'Annibal par Duillius ne vint que d'une faute prefque femblable. Elle eût dû fervir de leçon à Regulus pour l'empêcher d'y tomber, il mérite d'en fervir aux autres. Voilà ce qui arrive aux Généraux téméraires & imprudens, qui fongent plus à la victoire qu'aux précautions de fe l'aflurer.

Défefpéré & confus d'un tel début de campagne, dont il étoit lui feul coupable, & réfléchiffant d'ailleurs que les fuites de cette affaire pouvoient devenir facheufes, quoique la perte ne fût pas fort grande, il fonge à réparer fa faute par une réfolution digne de fon courage, & qui étoit peut-être un effet de l'extrémité où il fe trouvoit. Il n'y avoit pas un inftant à perdre, il falloit fortir du port, & attaquer avant que les forces d'Amilcar fe fuffent réunies. Se voiant en état d'agir il débouche & fe met au large. Le Conful étoit brave & réfolu, il étoit d'ailleurs affuré du courage & de la honne volonté de fes troupes: prévoiant ce que l'ennemi pouvoit faire, il vit bien de quelle conféquence il étoit de l'attaquer, féparé comme il étoit du refte de fon armée. En effet s'il eût tardé davantage, il étoit à craindre qu'Amilcar ne fe ravifat, tout au moins après la jonction de fon Vice-Amiral, & qu'il ne vint le brûler, ou l'enfermer dans le port, ou le combattre avec un très-grand avantage à meture qu'il en fortoit. On peut voir par ces réfléxions, que Regulus mit à profit fa disgrace, & que fi la témérité le porta d'abord trop-tôt aux ennemis, un courage éclairé lui fit enfuite faifir le moment précis, où il pouvoit réparer fon honneur.

Pour peu que le Conful cût tardé à fe déterminer, Amilcar avoit le tems de raf fembler toute fa flotte, & de profiter de la plus belle occafion du monde de terminer cette affaire. Il l'eût pû même fans cela, comme je le dirai bientôt; mais ce qui me fait douter de fon efprit & de fa hardieffe, c'est que la faute d'Annibal étoit encore › toute fraiche, il en avoit été le témoin: n'étoit-ce pas là une bonne leçon? I retombe pourtant dans la même faute que fon devancier. Voilà ce qu'on ne fauroit pardonner dans un homme de guerre.

Voiant que les Romains fe mettoient en mer avec toutes leurs forces, pour recommencer un nouveau combat; il avoit deux partis à prendre, tous deux excellens & très-capables de lui donner une très-grande fupériorité fur fon ennemi. Comme ces forces étoient enfermées dans un port, dont il pouvoit aisément empêcher la fortie, comment ne penfa-t-il pas à les arrêter? Pour un deflein de cette nature, il n'avoit befoin Tome I.

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que d'une partie des fiennes. Il en avoit beaucoup au-delà de ce qu'il lui en falloit. En s'approchant du port pour en fermer l'embouchure, les Romains euffent-ils ofé jamais en fortir & défiler à deux pas de l'ennemi? C'eût été s'expofer à une perte manifefte: les premiers fortis euffent été pris & coulés à fond, avant que ceux qui venoient après euffent pû les fécourir: on ne défile prefque jamais en préfence d'une armée fur mer ou fur terre fans témérité; car il est très-rare de trouver des ports d'où l'on puiffe fortir le boute-feu à la main, comme on dit. Ne négligeons pas un éxemple qui vient tout à propos ici, & que je pourrois peut-être oublier en quelque autre occafion. Plutarque me le fournit dans la bataille navale de Démétrius contre Ptolomée.

Ptolomée, dit l'Auteur, vint à pleines voiles avec une flotte de cent cinquante vaiffeaux. Il avoit donné ordre à Menelas, qui étoit à Salamine, tout proche de l'endroit où fe donna la bataille, qu'après que le combat feroit engagé & la mêlée la plus furieufe, il vint avec les vaiffeaux qu'il avoit, charger l'arriére-garde de Démétrius & la mettre en defordre; mais Démétrius avoit eu la précaution de laiffer dix vaiffeaux pour s'opposer à ces foixante de Menelas : car ce petit nombre étoit fuffifant pour garder l'entrée du port, qui étoit fort étroite, & pour empêcher Menelas d'en fortir; ce que celui-ci n'eut garde de faire.

Si le Carthaginois cût fait cela, il réduifoit le Romain à l'inaction, & dans cet état il avoit tout le tems qu'il lui falloit pour attendre le refte de fa flotte: après cette jonction il lui étoit libre de faire tout ce qu'il auroit voulu, revirer, fe remettre au large, & hazarder une bataille fi l'envie lui en cût pris. Ce parti étoit digne d'un homme de courage & entendu ; il en avoit pourtant un autre, fi celui-là lui eût femblé un peu trop délicat, quoiqu'il ne le fût qu'en apparence. Rien ne l'empêchoit de virer de bord, après le fuccès du premier combat, & de fe rapprocher du refte de fa flotte, qui accouroit au fecours, de la joindre & de revenir enfuite en bon ordre. Il avoit affez de tems pour cela, mais non pas affez d'efprit & de courage pour s'y déterminer. Il a été des Généraux qui ne manquoient ni de l'un ni de l'autre, à qui pourtant la tête tournoit dans les bons comme dans les mauvais fuccès; ils rendoient inutiles les uns, & ne voioient aucun reméde aux autres. Ils clochoient à chaque pas. Ceux qui les voioient ailleurs qu'à la guerre, ne favoient qu'en penfer. On auroit dit qu'en partant ils laiffoient leur efprit & leur raifon à la Ville & à la Cour, pour les reprendre au retour: ils en avoient alors très-grand befoin pour juftifier leur mauvaise conduite; aufli ne manquoient-ils pas de perfuader ceux qui ne s'étoient pas trouvés fur les lieux, & qui ne favoient ce que c'étoit que la guerre; leurs fophifines & leurs fubtilités militaires mettoient le Miniftre fur les dents, mais ils fe gardoient bien d'ouvrir la bouche devant des gens habiles & éclairés. On remarque cependant que ces fortes de Sophiftes, toujours battus & jamais battans, font ceux qui montent le plus vîte aux honneurs de la guerre. On diroit que la fortune les y fait monter, pour les confoler de leurs difgraces; ou pour perfuader à ceux qu'elle n'éléve point, que la valeur & l'intelligence font affez récompenfées par la gloire qu'on retire des belles actions. C'eft ce que répondit un jour un Miniftre à Milord Clar, qui fe plaignoit d'avoir été oublié dans une promotion d'Officiers Généraux, qui fe fit peu après la bataille d'Hockflet, où il avoit été fort bleffé. N'étoit-ce pas là un bel éloge pour ceux qui fe trouvoient fur lifte? Cette belle fentence ne demeura pas fans replique. Si cela eft, lui répondit l'homme, je vous obligerai à me rendre juftice: car je me ferai battre, & je fuirai auffi vîte & aufli loin que je pourrai. Il ne fe contenta pas de cette réponfe, il s'en plaignit au Roi. Ce grand Prince, qui chérifioit la valeur & le courage, le mit au nombre des Elûs. Reprenons maintenant notre fujet, d'où cette digreflion nous à un peu écarté.

Les Carthaginois n'entendoient point trop raillerie fur les fautes de leurs Généraux, qui alloient à la ruine de leurs affaires, & qui leur paroiffoient dignes de châtiment. Ils les faifoient bravement mettre en croix. Les Athéniens n'étoient pas fi cruels, ils se contentoient de l'éxil ou de la ciguë.

Amilcar n'éprouva rien de tout cela, non en confidération du fuccès du premier combat, mais parce que le fecond n'aboutit à rien, & que chacun s'attribua la victoire: on va le voir tout à l'heure.

S. II.

Après avoir été battu, une retraite honorable eft quelque chofe, mais un grand Général peut faire plus. Preuves de cette vérité.

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Endant que le Général Carthaginois demeure ainfi fufpendu, entre ce qu'il devoit faire, ou ce qu'il devoit éviter, & qu'il laiffe échaper ces momens qui font fi précieux à la guerre, les Romains, qui confidéroient moins la perte de dix vaiffeaux que la honte de les avoir perdus, débouchent diligemment du port, & voguent en bon ordre aux ennemis, bien réfolus de n'en pas faire à deux fois, & de réparer l'imprudence de leur Général.

Le Carthaginois ne s'attendoit à rien moins qu'à ce qui alloit arriver. Les idées agréables qu'il fe formoit de fon premier combat, le groffiffoient & l'embellissoient dans fa tête. Il n'attendoit que l'arrivée du refte de fa flotte, pour terminer une jour née qu'il croioit fi fort avancée: mais quelle dût être fa furprise, lorsqu'il fe vit lui- même attaqué? Il en dût être d'autant plus étonné, qu'il eft très-rare que le vaincu revienne un moment après, & foit le premier à attaquer & à affronter l'ennemi avec tant de hardieffe & de réfolution.

Le Conful arrive fur lui avec tout le courage poffible, lui prend & lui coule à fond une partie de fes vaiffeaux; & fi le refte de fa flotte ne fût arrivé dans le tems qu'il alloit tout perdre, fa retraite devenoit impoffible. Il fe retira: mais quoique l'on fe retire en bon ordre après avoir été battu, il est toujours honteux de retrograder, lorfque la caufe de notre défaite vient de notre imprudence, & de notre peu de hardieffe à profiter des premiers avantages d'un combat.

Cette action fauva Régulus du blâme qu'il s'étoit attiré par fa témérité, & lui acquit plus de réputation que n'en acquiérent les autres par les plus grandes victoires. C'est par de femblables réfolutions que les hommes véritablement courageux fe tirent des embarras les plus incommodes. Cette élévation d'ame, cette profonde connoiffance de la guerre, ne brillent jamais mieux que dans les infortunes les plus terraffantes; elles leur fourniffent des lumiéres & des reffources furprenantes, & aufquelles on ne fe feroit jamais attendu. La journée qui les perd, eft celle de leur falut & de leur gloire.

La victoire du Conful Romain me confirme dans la penfée où je fuis, que quelque battuë que foit une armée, tant qu'il refte du courage & de la bonne volonté dans les troupes, un Chef habile & de grande valeur ne doit défefperer de rien: car à la guerre le mal est toujours plus dans l'opinion que dans la chofe même. C'est cette opinion, jointe à l'ignorance & à notre peu de hardieffe, qui nous déconcerte & nous bouche le jugement: car dans le fond la perte d'une bataille eft le plus fouvent fort peu de chofe. Tout le monde ne pense pas ainfi, dira quelqu'un. Où trouver des Généraux qui ne foient ébranlés de la perte d'une bataille, ou de la déroute de leurs armées? Où font ceux qui trouvent des reffources au-delà de celles que les plus grands Capitaines, qui font tombés dans ces fortes d'infortunes, prennent ordinairement? Quel autre reméde,

finon de rallier les reftes d'une armée diffipée & battue, & de fe fauver par une retraite honorable? C'est tout ce qu'on peut raisonnablement attendre du fang froid, du courage, de l'habileté, de l'expérience du Général, & de la difcipline de fes troupes.

N'y auroit-il donc que cela dont un Général puifle être capable pour fe tirer d'un mauvais pas ? Ce feroit s'abufer bien groffiérement, que de croire que la fcience du Général d'armée foit réduite à une retraite. Il n'eft pas vrai qu'un grand Capitaine n'ait d'autre reffource, d'autre parti à prendre après la perte d'une bataille: quoique la chofe foit très-rare, ce n'eft pas pourtant ce qui l'élève le plus. Se retirer bravement & fiérement, c'eft quelque chofe: c'eft même beaucoup, mais ce n'eft pas le plus qu'on puiffe faire; la bataille n'eft pas moins perduë, fi l'on ne va plus loin; c'est ce que fera un Général du premier ordre. Il ne fe contentera pas de rallier les débris de fon armée, & de fe retirer en bon ordre, en préfence du victorieux; il méditera fa revanche, retournera fur fes pas, & couchera de fon refle avec d'autant plus d'efpérance de réuffir, que le coup fera moins attendu, & d'un tour nouveau; car qui peut s'imaginer qu'une armée battue & terraffée, foit capable de prendre une telle réfolution?

S'il n'y avoit pas d'éxemples de ce que je viens de dire, je ne trouverois pas étrange de rencontrer ici des oppositions; mais ces éxemples font en foule, non feulement dans les anciens, mais encore chez nos modernes. Quand même je ne ferois pas muni de ces autorités, ma propofition ne feroit pas moins fondée fur la raifon, & fur ce que peut la honte d'une défaite fur le cœur des hommes véritablement courageux.

C'est une remarque que j'ai faite une infinité de fois, & que je fais tous les jours; (car dans ce que je vais dire ici, je fuis fondé fur ce que j'ai vû d'heureux ou de malheureux dans les combats & dans les batailles où je me fuis trouvé,) que le vaincu. bien informé de l'état du victorieux, de fa négligence & de fon peu de précaution, deux défauts affez ordinaires dans les grandes victoires, auroit pù facilement attaquer, après avoir rallié fes troupes, & les avoir remifes de leur trouble & de leur épouvante, marcher enfuite au vainqueur, & le combattre avec l'avantage qui naît toujours des furprises, pourvû qu'elles foient fubites, promptes & impétueues. Que Régulus, après avoir été battu, revienne enfuite à la tête de toutes fes forces, il n'y a rien là de fort extraordinaire, & que tout Général ne doive faire. Il n'avoit combattu qu'avec une efcadre, le refte de fon armée ne fe fentoit pas de cette difgrace: mais de rallier les reftes & les débris d'une défaite complette, remarcher au victorieux, l'attaquer & le furprendre, voilà le grand, le fublime & le merveilleux d'un Général d'armée, le plus fin & le plus profond du courage & de la fcience des armes. On a vû des armées bat-tuës & diffipées entiérement, & qu'on avoit cru hors d'état de fe relever jamais, après la perte de leur canon, de leur bagage & le pillage de leur camp, pourfuivies au loin, & très-longtems, fe rallier & remarcher à l'ennemi par une réfolution prompte, & fubite, par le courage & l'adreffe de leur Général, reconimencer un nouveau combat, & finir par la victoire & la ruine entiére du victorieux. L'Hiftorien des fucceffeurs d'Alexandre le Grand, me fournira un très-bel éxemple; il fait trop bien à notre fujet, pour ne pas l'inferer ici tel que l'Auteur le rapporte.

Caffander, averti du départ de Clite,& de fes fuccès, envoia Nicanor, Gouverneur de Murichie, avec une flotte de fix vingt voiles, pour combattre l'ennemi, quelque part où il pit le rencontrer. Les armées navales arrivées à la hauteur de Byfance, l'on commença de fe battre. Soit que les troupes de Nicanor cuffent moins de valeur que celles de Clite, ou que fes matelots euffent moins d'adreffe, il eut le malheur de perdre la victoire: les ennemis lui coulerent à fond dix-fept navires, lui en enlevérent quarante : le refte eut bien de la peine à gagner le port de Calcedoine. Comme il eft affez ordinaire aux vainqueurs de s'enfler de leur victoire, celle que Clite venoit de remporter lui aiant

fait préfumer que les ennemis n'oféroient plus paroître en mer, lui fit négliger des précautions qu'il devoit prendre, & cette négligence fut la caufe de la perte de fon armée & de fa vie.

Antigone, qui ne manquoit point de reffource dans les plus grandes difgraces, n'eu pas plutôt appris la perte de la victoire que venoit de faire Nicanor, qu'il ne dout a point qu'il n'en put prévenir les fuites, en retournant à la charge fur les ennemis, affuré que Clite, enivré de fon bonheur, avoit quitté la mer, & qu'il campoit avec affez de négli gence à quelque diftance de la flotte. Après avoir obtenu des Citoiens de Byfance un certain nombre de petits navires, il y fit charger quantité d'arbalétriers, avec un détachement de fa meilleure infanterie, armée à la legére. Ces navires pafferent en Europe avec une extrême rapidité, & jetterent l'ancre allez proche du camp des ennemis : profitant de l'obfcurité de la nuit, ils vinrent fondre fur eux avec tant d'ardeur & de précipitation, qu'on les vit auffi-tôt en defordre, les uns courant à leurs navires, laiffant aux victorieux leurs bagages & leurs dépouilles: d'autres empreffès à les défendre,& contraints de fuccomber fous le nombre des attaquans, y laifoient la vie avec les biens. Durant cette action Antigone fit monter sur ses vaiffeaux fes meilleures troupes, avce un grand nombre de matelots: ordonna à Nicanor de remettre à la voile, & d'aller attaquer la flotte ennemie; qu'il lui répondoit du fuccès du combat, & que par avance il pouvoit s'en réjouir. L'on fit voile pendant la nuit avec tant de bonheur & de diligence, qu'à la pointe du jour l'on vint attaquer les ennemis; ce qu'on fit avec un courage fi impétueux, qu'après avoir mis plufieurs navires hors de combat, tous les autres, à la referve de l'Amiral, fur lequel Clite étoit monté, fe rendirent au vainqueur avec tous les gens d'équipage. Clite aiant gagné la terre, prétendoit fe fauver dans la Thrace; mais malheureusement pour lui, quelques foldats de Lyfimache le rencontrerent comme il fuioit, & le tuérent.

Ces fortes de deffeins ne font pas communs, la routine ne les conduit ni ne les apprend, & les Généraux qui n'ont qu'elle pour guide ne peuvent y réuffr. Il eft aité de voir que les plus grandes parties de la guerre y entrent. Le détail, les précautions & les mefures en font infinies; mais ces précautions & ces mefures ne font pas toutes à la portée des efprits & des courages communs. Il faut toute l'intelligence & l'expérience d'un grand Capitaine, une préfènce d'efprit & une activité furprenante à penfer & à agir, un profond fecret & gardé avec art. Mais cela ne fuffit pas, fi la marche n'eft tellement concertée, que l'ennemi n'en puiflè avoir la moindre connoiffance, quand il auroit pris toutes les mefures imaginables.

Avec ces précautions, ces deffeins manquent rarement de réuflir, parce qu'ils font peu communs, & d'un tour nouveau: mais il faut qu'un habile homme s'en mêle, & non pas un Neoptoléme, qui manqua fon coup contre Eumenes. Celui-ci l'avoit bien battu: après fa défaite, qui fut des plus complettes, il fe fauva vers Antigonus & Polypercon, aufquels il perfuada de marcher à fon ennemi, & de le furprendre dans cet état de fécurité & de relâchement, où se trouvent les armées après les grandes victoires. Mais comme les grands Capitaines ne font jamais furpris, Eumenes fut bientôt inftruit du deffein de fes ennemis, & qu'ils tiroient de fon côté. Il décampe tout auffi-tôt, &. leur vient au-devant à la faveur d'une nuit obfcure; il les trouve campés, & auffi peu fur leurs gardes, que s'ils eulent été à cent lieues de l'ennemis Il les furprend dans leur camp, les taille en piéces, & leur apprend par cette victoire, qu'il ne fuffit pas d'imaginer de grandes chofes, fi l'on manque d'intelligence & de conduite dans l'éxécution. C'eft la maxime que nous devons tirer de l'éxemple de Neoptoléme; mais la conduite de Régulus & d'Antigonus en fournit une autre: qu'il y a des entreprifes auffi fages dans le fond, qu'elles font téméraires en apparence.

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