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rien n'étoit plus fenfé & plus judicieux que ce confeil, & que dans les conjonctures préfentes il n'auroit qu'à fe montrer dans la Syrie, pour que tout le Roiaume fe rangéât fous fon obéiffance.

Là deffus Démétrius fait revenir Polybe, & le prie de lui fournir des expédiens pour s'évader. Celui-ci donna cette commiffion à un de ses amis, nommé Menithylle, qui fur le champ s'étant transporté à Oftie, & y aiant trouvé un vaiffeau Carthaginois prêt de mettre à la voile, le fréta comme pour lui-même. Le jour venu pour s'embarquer, & toutes les mesures prifes, pour que cette fuite ne vint à la connoiffance de perfonne, Polybe, qui quoique malade alors, étoit éxactement informé de tout ce qui fe paffoit, aiant appris que Démétrius donnoit un grand repas, & craignant que ce jeune Prince qui aimoit la table, ne laiffat échaper l'occafion, & ne rendit inutiles les précautions que l'on avoit eu foin de prendre, écrivit un petit billet, qu'il fit porter par un laquais à l'Echanfon de Démétrius, avec ordre de recommander à cet Echanfon de le faire lire au plutôt à fon Maître. Ce billet portoit: a force de différer, on court rifque de fe perdre, il vaut mieux éxécuter. Ofez quelque chofe, hazardez, réuffite ou non, tout plutôt que de vous manquer à vous-même: Joiez fobre, défiez-vous, ce font là les nerfs de la prudence.

Démétrius vit d'abord à quelle fin & de quelle part cet avis lui venoit. Il fait femblant de fe trouver mal, fort de la maifon avec ceux qui étoient du complot, donne fes derniers ordres, court à Oftie, s'embarque & fait route fi heureufemeut qu'au fixième jour il étoit au détroit de Sicile. On ne fut à Rome qu'il étoit échapé que quatre jours après qu'il en fut parti. C'eft ce même Démétrius, qui fit aux Juifs une guerre fi cruelle du tems des Macchabées, & qui donna lieu au Traité d'alliance, que cette nation fit avec le peuple Romain.

Ce fut auffi apparemment à Rome que Polybe compofa la plus grande partie de fon Hiftoire, ou du moins qu'il affembla des Mémoires pour la compofer. Où pouvoit-il mieux s'inftruire des événemens qui s'étoient paffés pendant tout le cours de la feconde guerre Punique, que dans la maifon des Scipions? C'étoit fous le Confalat de Publius Cornelius, bifaieul de celui qui avoit adopté fon éléve, que cette guerre avoit commencé; c'étoit lui qui commandant à la bataille du Tefin y avoit été bleffé dangereufement, bleffure qui fut en partie caufe de la perte de celle de Trébie, où il étoit encore, & qui fut donnée contre fon avis. Cn. Scipion fon frére, l'année fuivante, avoit gagné en Espagne la bataille de Ciffa, & pris prifonniers les deux Chefs des Carthaginois & des Espagnols, Hannon & Indibilis. Ces deux fréres joints ensemble en Espagne, & rendant aux villes les ôtages qu'Annibal en avoit tirés pour les mettre en dépôt à Sagonte, avoient mis la plupart des peuples de ce Roiaume dans le parti des Romains. Publius Cornelius Scipion, aieul de notre Publius, étoit Tribun militaire à la bataille du Tefin, & y fauva la vie à fon pére. C'est encore lui qui à la bataille de Zama contraignit Annibal d'avouer qu'il étoit vaincu, & qu'il n'y avoit plus d'autre reffource pour les Carthaginois que de demander au plutôt la paix. L. Emilius Paulus, aieul naturel de Scipion Emilien, commandoit l'aîle droite à la bataille de Cannes. Enfin il faudroit faire toute l'Hiftoire de la feconde guerre Punique, pour montrer toute la part qu'y eut la famille des Scipions.

Polybe ne pouvoit non plus rien ignorer de ce qui s'étoit fait de part & d'autre dans la guerre de Perfée. Emilius Paulus, pére de fon difciple, en avoit eu tout l'honneur, & lui-même avoit été préfent à tout. Il en eft de même de toutes les affaires étrangères qui fe pafférent du tems qu'il étoit à Rome, ou qu'il accompagnoit Scipion. Toujours à portée de voir par lui-même, ou de recevoir les nouvelles de

Polyb.
T. II.

p. 1325.

Jd. P. 1331.

Plutarch.

la premiére main, il ne pouvoit manquer d'être informé de tout ce qu'il arrivoit de plus mémorable. Et combien arriva-t'il d'événénemens pendant dix-fept ans que dura fon éxil?

Ce tems parut bien long aux Achéens, auffi firent-ils tout leur poffible pour l'abréger. Il y cut de l'Achaic plufieurs Ambaffades pour demander le retour des éxilés, mais fur tout celui de Polybe & d'un autre appellé Stratius, car il n'en reftoit plus guéres des autres. La premiére trouva le Sénat inexorable; on écouta plus favorablement la feconde: mais Aulus Pofthumius, qui étoit alors Préteur, empêcha qu'elle n'eût tout le fuccès qu'on en efpéroit. Voiant les fentimens partagés fur les éxilés, que les uns vouloient qu'on les renvoiât, les autres qu'on les retînt, & un troifiéme parti qu'on les abfoût de la trahifon dont ils étoient accufés, fans leur accorder leur liberté; de ces trois bandes il n'en fit que deux: il fit paffer d'un côté tous ceux qui avoient opiné pour le renvoi, & de l'autre tous ceux qui étoient du fecond & du troifiéme avis. De cette maniére il fe trouva que ceux qui favorifoient le retour des éxilés étoient en plus petit nombre, que ceux qui leur étoient contraires. Quant les Achéens apprirent par leurs Députés qu'il ne s'en étoit prefque rien fallu, qu'ils n'euffent obtenu la grace qu'ils avoient demandée, ils envoiérent une troifiéme Ambassade, qui n'eut d'autre réponse du Sénat, finon que l'on ne changeroit rien de ce qui avoit été réglé.

Polybe, à ce dernier refus, pria Scipion de folliciter Caton en faveur des éxilés. in Cato L'affaire portée de nouveau au Sénat, comme les fentimens ne pouvoient encore s'acne Cenf. eorder, ce grave Sénateur fe levant: à nous voir, dit-il, difputer tout un jour pour savoir fi quelques petits méchans vieillards de Gréce feront plutôt enterrés par nos foffoieurs que par ceux de leur païs, ne croiroit-on pas que nous n'avons rien à faire ? Il ne falluţ que cette plaifanterie pour faire honte au Sénat de fa longue opiniâtreté, & pour le déterminer à renvoier les éxilés dans le Péloponéfe. Polybe auroit encore fouhaité qu'on les rétablit dans les honneurs & les dignités qu'ils avoient avant leur banniffement; mais avant que de préfenter fa requête au Sénat, il crut devoir preffentir Caton. Il va donc le trouver, & lui communique fon deffein. Caton lui dit en fouriant: vous n'imitez pas, Polybe, la fageffe d'Ulyffe; vous voulez rentrer dans l'antre du Cyclope pour quelques méchantes hardes que vous y avez oubliées.

Paufan.

in A chaic.

An de
Kome
DCI.

An de
Rome

DCIV.

Appian. in Libyco.

Amm.

Les éxilés retournérent donc dans leur patrie, mais de mille qu'ils étoient venus il n'en reftoit alors qu'environ trois cens. Notre Hiftorien n'ufa pas de cette permission pour revoir Mégalopolis, ou, s'il s'en fervit, il ne tarda pas à rejoindre Scipion, puifque trois ans après il étoit avec lui au fiége de Carthage. Après cette expédition, il eut la curiofité de connoître bien la Mer Atlantique, & Scipion lui fournit des vaiffeaux pour en faire tout le tour. Mais quelle fut fa douleur, lorfqu'en revenant dans le Péloponéfe il vit la deftruction & l'incendie de Corinthe, fa patrie réduite en Province de l'Empire Romain, & obligée de fubir les loix d'un Préfet, qui devoit y être envoié de Rome tous les ans ! y

Si quelque chofe fut capable de le confoler dans une conjoncture fi fimefte, ce fut l'occafion qu'il eut de défendre la mémoire de Philopoemen, fon Maître dans la fcience Marc. L. de la guerre. Un Romain s'étant mis en tête de faire abattre les ftatues qu'on avoit drefXXIV. fées à ce Héros, eut la hardieffe de le poursuivre criminellement comme s'il eût été en Plin. L. vie, & de l'accufer devant le Proconful Mummius d'avoir été l'ennemi des Romains, III. c. II. & d'avoir toujours traverfé leurs deffeins autant qu'il avoit pû. Polybe, qui étoit pré

An de

Rome

DCVIII.

fent, fut indigné d'un procédé fi atroce. Il fit voir qu'à la vérité Philopomen ne s'étoit pas quelquefois foumis d'abord aux ordres qui venoient de Rome, mais qu'il n'en avoit jamais défendu l'exécution, qu'en propofant fimplement ce qu'il croioit plus proT. II. pre à pacifier les différens que l'on ne pouvoit douter de fon attachement pour les

Polyb.

P. 1483.

Romains, après les preuves qu'il en avoit données pendant la guerre qu'ils avoient avec Philppe & Antiochus; que quelque credit qu'il eût parmi les Grecs, tant par lui-même, que par les forces de fa République, jamais il ne s'étoit départi de l'alliance faite avec les Romains; qu'enfin il avoit eu part au Decret, par lequel les Achéens, avant que les Romains paffaffent dans la Gréce, s'étoient engagés à déclarer pour eux la guerre à Antiochus & aux Etoliens, quoiqu'alors tous les peuples de la Gréce ne leur fuffent rien moins que favorables.

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Ce difcours fit impreffion fur les Députés, & confondit l'accufateur. Je ne le crois cependant que fpecieux. Philopomen étoit certainement très-oppofé aux Romains. Il n'y a qu'à voir ce paffage de Plutarque pour en être convaincu. Après que les Ro-Plutarch. mains eurent défait Antiochus, dit cet Auteur dans M. Dacier, ils s'appliquérent in Philop. ,, tout de bon à pouffer leurs affaires du côté de la Gréce, & avec toutes leurs forces Vide eils tenoient déja les Achéens comme envelopés. Ils avoient même un puiffant parti tiam Podans toutes les villes, par le moien des Orateurs & des Gouverneurs du peuple qu'ils lyb. T. II. avoient gagnés. De forte que par la faveur & par la protection des Dieux, leur puif

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,, fance, qui alloit toujours croiffant, étoit déja parvenue au faîte de la grandeur, où leur fortune devoit s'élever. Philopomen, attentif à toutes leurs démarches, faifoit comme un bon pilote qui combat contre les vagues & les vents; tantôt forcé par le tems il cédoit en quelque chofe, & fe laiffoit entraîner & tantôt fe roidiflant il réfiftoit de toutes fes forces, & n'oublioit rien ponr porter ceux qui avoient le plus d'autorité ou d'éloquence à embraffer le parti de la liberté. Un jour même qu'Arifténe avoit dit en plein Confeil, qu'il étoit d'avis que les Achéens ne devoient ", s'oppofer en rien aux Romains, ni fe montrer ingrats envers eux: Philopomen ne dit rien d'abord, quoiqu'il fupportât ce difcours avec peine; mais enfin voiant qu'il ,, continuoit, & n'étant plus maître de fa colére, il lui dit tout haut: Eh, mon ami, pourquoi as-tu tant d'impatience de voir la malheureufe fin des Grecs.

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P. 1440.

Mais foit que les Députés ne fuffent pas bien inftruits de l'Hiftoire de Philopomen, foit qu'ils fuffent affez équitables pour reconnoître qu'il étoit naturel que Philopomen fût contraire à l'ambition démefurée des Romains, foit enfin qu'ils vouluffent gratifier Polybe, ou par égard pour fon mérite, ou en confidération de Scipion; ils décidérent que l'on ne toucheroit point aux ftatues de Philopomen, en quelques villes qu'elles fe trouvaffent. Polybe profitant de la bonne volonté de Mummius, lui demanda encore les ftatues d'Aratus & d'Achée, & elles lui furent accordées, quoiqu'elles euffent déja été transportées du Péloponéfe dans l'Acarnanie. Les Achéens fu- Polyb. rent fi charmés du zéle que Polybe avoit fait paroître en cette occafion pour l'honneur T. II. des grands hommes de fon païs, qu'ils lui érigérent à lui-même une ftatue de marbre. P. 1484. Dans le même tems il donna une preuve de fon défintéreffement, qui lui fit autant d'honneur parmi fes Citoiens, que fon Apologie de Philopomen. Diœus, Général des Achéens, étoit un de ces furieux qui par l'infulte qu'ils avoient faite à Corinthe aux Députés Romains, avoient porté le coup mortel à leur République. Corinthe réduite en cendres, & tout le Péloponéfe conquis, on penfa à punir les auteurs de l'infulte, & l'on mit leurs biens à l'encan. Lorsqu'on en vint à ceux de Dicus, qui après avoir égorgé fa femme, de peur qu'elle ne tombât en la puiffance des Romains, s'étoit empoifonné lui-même, les dix Députés ordonnérent au Quefteur, qui les mettoit en Id. ibid. vente, de laiffer prendre à Polybe parmi ces biens tout ce qu'il y trouveroit à fa bienséance, fans rien éxiger de lui & fans en rien recevoir. Mais non feulement il ne voulut rien accepter, il exhorta encore fes amis de ne rien fouhaiter de ce qui avoit appartenu à ce Général, & tous ceux qui fuivirent fon avis furent extrêmement loués. Cette action fit concevoir aux Députés une fi grande estime pour Polybe, qu'en for

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tant de la Gréce, ils le priérent de parcourir toutes les villes qui venoient d'être conquifes, & d'accommoder leurs différends, jufqu'à ce que l'on s'y fût accoûtumé au changement qui s'y étoit fait, & aux nouvelles loix qui leur avoient été données. Polybe s'acquita d'une commiflion fi honorable avec tant de douceur, de justice & de prudence, que, foit pour le gouvernement général, foit pour les affaires des particuliers, il ne pouvoit s'élever dans l'Achaïe aucune conteftation.

On ne peut s'imaginer avec quels applaudiffemens le Code des loix, qu'il compofa pour cela, fût reçû de toutes les villes du Péloponéfe. Pour en marquer leur reconnoiffance à la postérité, elles érigérent à fon Auteur plufieurs ftatues, une entr'autres dans Paufan. Alphće, dont l'infcription portoit, Que Polybe avoit fait de longs voiages par terre & in Arcad. par mer, qu'il avoit été ami & allié des Romains, & qu'il avoit appaifé leur colére en faveur des Grecs. Sur la bafe d'une autre élevée dans le veftibule d'un Temple d'Arcadie, on lifoit, que la Gréce n'auroit pas fait de fautes, fi dès le commencement elle eût été docile aux confeils de Polybe, mais qu'après fes fautes, il avoit été feul fon libérateur. Après avoir ainfi établi l'ordre & la tranquillité dans fa patrie, il retourna joindre. Scipion à Rome, d'où il le fuivit à Numance, au fiége de laquelle il étoit préfent. Scipion mort, il reprit la route de fon païs: (car quelle fûreté y avoit-il à Rome pour le Maître, après que le Difciple avoit été mis à mort par la faction des Gracques?) Et aiant joui là, pendant fix ans, de l'eftime, de la reconnoiffance & de DCXXIV. l'amitié de fes chers Citoiens, il mourut à l'âge de quatre-vingt-deux, d'une bleffure Lucian. qu'il s'étoit faite en tombant de cheval.

An de
Rome
DCXX.

An de
Rome

in Macrob.

An de

Rome
DCXXX.

Les ouvrages qu'il a compofés, font: la Vie de Philopamen, un Livre fur la Tactique, ou l'Art de ranger les armées en bataille, l'Hiftoire de la guerre de Numance, un Livre fur la fituation des Ifeméréniens, nation fous la Zone-Torride, & fon Hiftoire univerfelle. Il ne nous refte de tous ces ouvrages que le dernier, que Polybe appelle lui-même Hiftoire Univerfelle, parce qu'elle contenoit non feulement la feconde guerre Punique, mais tout ce qui s'étoit paffé dans le monde pendant l'efpace de cinquante-trois ans, c'eft-à-dire depuis le commencement de cette guerre jufqu'à la réduction du Roiaume de Macédoine en Province de l'Empire Romain.

On y voioit donc, outre les affaires qu'eurent les Romains avec Annibal, les déclarations de guerre, les batailles, les fiéges, les Traités de paix, les négociations, les Ambaffades, & tous les événemens qui arrivérent dans les guerres qu'eurent les Romains avec les Macédoniens, les Siciliens, les Ibériens, les Numides, les Achéens, les Gaulois, les Syriens, les Etoliens, les Gaulois d'Afie, les Candiots, les Dalmates, les Liguriens, les Illyriens, les Sardiens, les Celtibériens, les Corfes, les Bithyniens, les Cappadociens, les Afiatiques, les Egyptiens, & peut-être encore d'autres Puiffances. Tous ces faits rempliffoient trente-huit Livres, au-devant defquels il en avoit mis deux, pour fervir comme d'iutroduction aux autres, & de continuation à l'Hiftoire de Timée. Il y avoit donc en tout quarante-deux Livres, dont nous n'avons que les cinq premiers qui foient tels que Polybe les avoit laiffés, des fragmens quelquefois affez confidérables des douze Livres fuivans, avec les Ambassades & les Exemples de vertus & de vices, que l'Empereur Conftantin Porphyrogénére, au dixiéme fiécle, avoit fait extraire de l'Hiftoire de Polybe, pour les inférer dans fes Pandectes politiques, grande compilation, où l'on voioit rangé, fous certains titres, tout ce que les anciens Hiftoriens avoient écrit fur certaines matiéres, & où l'on pouvoit s'inftruire de ce qui s'étoit fait en certains cas, où l'on fe trouvoit foi-même, fans avoir la peine de lire ces Historiens. On ne peut difconvenir que ce deffein n'ait eu fon utilité du tems de Porphyrogénéte, mais il a été funefte à tous les fiécles fuivans. Dès qu'on eut pris l'habiuide, & notre pareffe nous y conduit bien, de ne confulter que ces abrégés, on

re

régarda les Originaux comme inutiles, & l'on ne fe donna plus la peine de les copier.

Quel dommage cependant qu'une Hiftoire comme celle de Polybe soit perdue! Jamais Hiftorien ne s'eft plus étudié à fe mettre au fait de ce qu'il devoit rapporter. Il ne pouvoit fouffrir ces relations, qui après avoir paffé de bouche en bouche, ne s'écrivoient que longtems après les événemens. Il n'écrivoit que ceux dont il avoit été témoin oculaire, ou qu'il avoit appris de ceux qu l'avoient été. Pour ne pas fe tromper dans la description des lieux, chofe très-importante dans le récit militaire d'une attaque, d'un fiége, d'une bataille ou d'une marche, il s'y étoit transporté lui-même, & avoit fait dans cette feule vûe une infinité de voiages. La vérité étoit fon unique étude. C'eft de lui que l'on tient cette maxime célébre, que la vérité Polyb. eft à l'Hiftoire, ce que les yeux font aux animaux; que comme ceux-ci ne font. III. d'aucun ufage dès qu'on leur a crevé les yeux, de même l'Hiftoire fans la vérité P. 293. n'eft qu'une narration inutile & infructueufe. On le voit felon les occafions blâmer fes amis fans ménagement, & faire de grands éloges de fes ennemis. Quoiqu'il eût des obligations aux Romains, on ne s'apperçoit pas qu'il les flate beaucoup. Quelquefois à la vérité il fe contente de raconter une action injufte, fans s'arrêter à en éxaminer l'injustice, comme par éxemple l'invafion de la Sardaigne; mais en récompenfe il expofe fouvent au grand jour toute la fineffe & tout l'artifice de la politique. Romaine. Et comment eût-il trahi la vérité en faveur des Romains, lui qui facrifie à la vérité la réputation de fon propre pére? On ne fait que par lui l'imprudence T. II. qu'eut Lycortas de renouveller un Traité d'alliance avec Ptolémée Epiphanés, fans: 1182. & feq. faire diftinction des différentes alliances dont on avoit déja traité avec ce Prince.

Mais quelque vraie que fût cette Hiftoire, on peut dire que ce qu'il y a de moins à regréter, ce font les faits. Car enfin l'on trouve, à quelque chofe près, ces mêmes faits dans les autres Hiftoriens; & s'il manque dans ceux-ci quelques circonftances que le nôtre avoit fans doute plus dévelopées, ce n'eft peut-être pas une perte dont on ne doive pas fe confoler. Mais quelles régles de politique ne fourniffoit pas un homme, qui, naturellement porté au bien public, en avoit fait toute fon étude, qui pendant tant d'années s'étoit trouvé dans les plus grandes affaires, qui avoit gouverné lui-même, & du gouvernement duquel on avoit été fi fatisfait! Quelle foule d'inftructions pour les perfonnes destinées à commander les armées, que le détail, où cet Hiftorien entre, fur les actions militaires, détail non feulement hiftorique, mais accompagné de réfléxions folides fur ce que devoient faire ou éviter ceux qui étoient chargés de les conduire? Les Géographes ont bien raifon de partager avec les Politiques & les Généraux d'armées la douleur de cette perte. Si l'on doit juger de ce que nous n'avons pas par ce qui nous refte, les descriptions que Polybe faifoit des païs ou des villes qu'il avoit vûes, étoient des morceaux d'un prix ineftimable, & qu'aucun Hiftorien n'a remplacés. Pour les mœurs, outre les leçons qu'un Lecteur judicieux doit de lui-même tirer des faits & des éxemples, il eft peu d'endroits dans ce fage Hiftorien, où l'on ne trouve de quoi s'aider à combattre le vice, & à acquérir les vertus qui forment l'honnête homme.

On lui reproche fes digreffions, qui font fréquentes, & fouvent fort longues. Pour moi je les lui paffe en faveur de l'utilité qu'il a eu en vûe qu'on en tirât. En effet fur quoi roulent-elles ces digreffions? Ici l'on éxamine comment une République s'eft formée, & par quels moiens elle eft parvenue au dégré de puiffance où on la voit. Là on traite des connoiffances dont doit être pourvu tout homme qui eft honoré du commandement des armées. Dans un autre endroit on recherche pourquoi les légions Romaines l'ont emporté fur la phalange des Macédoniens, qui avoit touTome I. f

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