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prefque toujours unis & ferrés comme les Grecs. Cela fe voit pas Céfar dans la ba taille contre Arioviste. Leur phalange fe trouvoit quelquefois plus ferrée & plus épaiffe que celle des Grecs, & telle que la répréfente Homére au fiége de Troie, s'il eft vrai qu'il y en cût jamais un; car lorfque ceux-ci doubloient ou triploient les files de quelque corps d'infanterie péfamment armée, l'on emploioit le terme d'Embolon, & l'on fçavoit tout auffi-tôt ce que cela vouloit dire. Denys d'Halicarnaffe fe fert fouvent de ce mot dans fon Hiftoire, quoique les Romains ne fçûffent pas seulement file triangle avoit jamais éxisté.

J'ai remarqué que les Grecs, qui ont écrit des guerres des Romains, fe font fervis du terme d'Embolon, lorsque les Latins ont emploié celui de Cohors dans le détail des mêmes actions; Tite - Live, qui a copié Polybe prefque par tout, a pris fouvent l'Embolon pour un triangle, lorfque par ce mot l'Hiftorien Grec entendoit une cohorte. Patritius n'y a pas moins été trompé, car il a donné une armée rangée par Embolons vuidés ou en angles faillans & rentrans à l'infanterie. Elien, qui a fans doute tiré cet ordre de fa tête, l'a baptifé du nom de Peplegmenon, c'est-à-dire un ordre par lignes obliques de l'une à l'autre, ce qui me femble abfurde; fi Elien a entendu des Coins vuidés ou pleins, comme il l'entend ainfi, Patritius a donné dans cette vifion. J'ai lieu de m'en étonner. Dans quel Auteur de l'antiquité Elien & l'Empereur Léon ont-ils trouvé cet ordre de bataille ? Je fuis bien für qu'ils ne l'ont pris d'aucun. Ils ont très-mal imaginé.

Tout ce que je viens de dire du Coin ou du Roftrum d'Elien, me rend plus hardi à croire qu'il n'a jamais éxifté: ceci n'eft encore qu'une fimple efcarmouche, on va voir bientôt le combat en forme contre cet Auteur, & fon Coin renverfé & diffipé de telle forte, que j'efpére que les fçavans tacticiens n'en parleront plus que pour s'en moquer. Peut-il venir dans la tête d'un fantaffin, qui fait quelque ufage de fa raifon & de fon efprit, qu'une évolution fabriquée de la forte, foit capable de pénétrer une phalange, ou tout autre corps que ce foit? Je préférerois l'ordre quadrangulaire vuidé à une façon de combattre fi folle. Il s'eft pourtant trouvé des gens allez peureux pour le regarder comme très-redoutable. Il eft certain que le terme d'Embolon a trompé Elien: là-deffus il a bâti cette opinion ridicule, qu'Epaminondas avoit combattu en forme de Coin ou d'Embolon à la bataille de Leuctres. Patritius l'a crû tout bonnement; ce qui eft manifeftement faux par le témoignage même de Thucydide, que j'ai déja cité fur cette bataille.

Cette maniére de combattre a duré trop longtems chez les Grecs & chez les Latins même, pour croire qu'elle fût telle qu'Elien & l'Empereur Léon la repréfentent, & tant d'autres tactiques qui en ont été les échos. Ce font des Auteurs de la moienne antiquité, & par conféquent de très-moienne intelligence; car les Hiftoriens qui ont parlé de cette maniére de combattre, & qui ont emploié le terme d'Embolon, comme Thucydide, Xénophon, & Plutarque qui l'avoit tiré de ces deux premiers, ne parlent point d'une pointe fi fubtile; ils comparent le choc de ce corps à celui d'un bélier qui frape de fa tête contre ce qui lui eft oppofé.

Je n'ai remarqué qu'un feul endroit dans nos Hiftoriens modernes, où il foit parlé du Triangle. Il y en a deux qui en font mention, mais le dernier pourroit bien avoir copié le premier. Celui-ci pourroit s'être fervi de ce terme plutôt que de celui de bataillon quarré, ou de quarré long, pour donner du merveilleux à fon Hiftoire. Je le foupçonne très-fort, car les Italiens n'en font guéres chiches. Cet Auteur cite l'action d'un Capitaine d'infanterie Vénitienne, qui forma un Triangle & combattit dans cet ordre. Il prétend que le Triangle étoit en ce tems-là une évolution fort en ufage; ce qui eft conftamment faux, car aucun Hiftorien que je fçache depuis Jufti

nien n'en a parlé. Quoiqu'il en foit, l'éxemple me fem ble affez remarquable pour avoir place ici, quoique je n'aime guéres à parler de ce que je ne crois point.

En 1476. trente mille Spahis, dit l'Auteur, étant entrés dans le Frioul, y porté-P. Jufti rent tous les maux & toutes les horreurs de la guerre, & battirent tout ce qui ofa leur niani. réfifter; mais ils ne pûrent jamais rompre un corps d'infantenie Vénitienne commandé P. Jovio. par Carlo Montone, Capitaine très-intelligent dans les évolutions pratiquées dans ce fiécle-là. Il forma de fes troupes un bataillon de figure triangulaire, fraifé de piquiers & de pertuifannes qui faifoient front de tous côtés, & qui rendirent inutiles tous les efforts de la cavalerie Ottomane, & fe retirérent bravement dans cet ordre jusques dans un pofte où il fut impoffible de les forcer.

Si ce corps d'infanterie, rangé de la forte, avoit été triangulaire, & non pas un quarré long, ou une Colonne parfaite, il étoit impoffible qu'il résistât contre le choc des chevaux à fes angles trop émincés: d'ailleurs on ne peut pas dire qu'un triangle faffe front de tous côtés, fi les angles n'en font pas abattus, & qu'ils puiffent au moins préfenter dix hommes, & alors ce ne feroit pas un triangle, mais un éxagone très-irrégulier. On ne peut pas dire qu'une épée fafle front à fa pointe: outre que le triangle n'eft nullement propre pour une retraite, & ne fçauroit marcher fans fe rompre & fans fe confondre, il ne feroit pas befoin de l'ennemi pour cela. Mettons cet éxemple au nombre des imaginaires à l'égard de la figure de ce corps d'infanterie. Ne doutons pas un feul moment que cet Öfficier n'ait formé un ordre quarré plein qui étoit alors en ufage, ou un quarré long: or fi cette évolution eft capable de réfifter à trente mille chevaux de la meilleure cavalerie Turque, que peut-on attendre d'une Colonne, qui est un corps plus parfait & d'une figure plus fimple, & qui a toute la force du bataillon quarré fans en avoir les défauts?

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Suite du Chapitre précédent. Que la Tète de Porc, dont les Auteurs de la moienne antiquité font mention, peut étre le Cuneus des Grecs.

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Veget.

Marc.

Ous l'Empire de Juftinien le Coin changea de nom, on lui donna celui de Tete de Caput Porc. Plufieurs Auteurs de ce tems-là nous apprennent cela, entr'autres Végéce, PorciAmmien Marcellin & Agathias: celui-ci dans la bataille de Bucelin, Général Fran- num. çois, qui mit en œuvre cette évolution au centre de fon infanterie contre celle de Nar- 1. III. c. fés, un des plus grands Capitaines de fon tems. Le Pére Daniel dans fon Hiftoire de 19. France, & dans celle de la Milice Françoife, a pris tellement plaifir au détail de cette Amin. journée, qu'il l'accompagne d'un plan des deux ordres de bataille, qui fentent un peu XVII. la conjecture. Avec tout le refpect dû à cet Hiftorien célébre, je ne crois pas que Agath. 1. cette Tête de Porc fût ce qu'il nous repréfente: en rigueur c'étoit plutôt nn triangle 11. p. 24. plein, épointé, moins ouvert que le droit, & formé par fections débordées, mais fort peu de l'une à l'autre; en faifant trop déborder ces fections, comme dans la figure A, on rend cette évolution très-foible, & fujette à de grands défauts: car les angles des fections B, paffant trop au-delà de ceux des fections qui les précédent, fe trouvent trop en prife anx files de la phalange, qui ne font pas oppofées à la tête A, laquelle trouve une force & une profondeur égale à ce qui fe trouve à fon paffage:

& l'on peut dire qu'il n'y a que la tête A qui faffe effort, & qui s'ouvre un paffage pour l'ouvrir aux autres B, qui prêtent toutes le flanc. Car bien loin d'éviter les angles, qui font ce qu'il y a de plus foible, on a trouvé le fecret d'en produire huit, & de rendre facile à enlever tout ce qui déborde, & qui avance au-delà des fections qui précédent: ainfi cette maffe fe trouve fans force à fes côtés, & peu redoutable à fon extrémité A, qui ne fçauroit être foutenue, parce que le fecond corps qui lui fert d'appui fe trouve en même tems attaqué à fes ailes & à fes flancs, comme les autres qui font derriére; les ennemis pouvoient d'autant mieux les rompre, qu'en ce tems-là les François étoient très-mal armés, felon la coûtume de cette nation, qui n'avoit que la hache & l'épée, & aucune arme de jet, pas même des armes défenfives; au lieu que les Romains avoient de tout cela, tant la coûtume avoit de force & de puiffance fur cette nation, fans que leurs défaites, qui venoient toutes de la foibleffe de leurs armes, leur ferviffent de leçon: car les Gaulois de l'antiquité la plus reculée, comme les autres qui font venus après eux fous le nom de François, ont toujours été battus pour n'avoir pas imité leurs ennemis dans la maniére de s'armer. S'ils l'euffent fait, je ne fçai fi on parleroit aujourd'hui de ces anciens Grecs & Romains, fi admirés dans l'Hiftoire, & fi renommés par la grandeur de leurs victoires, & par celle de leurs conquêtes. Guftave-Adolphe, le plus grand Capitaine & le plus profond dans l'infanterie qu'on ait jamais vû depuis les Anciens, avoit cherché une évolution plus parfaite & plus propre à enfoncer que la ridicule Tête de Porc, qui ne fut jamais au monde telle qu'on nous la donne ici. La premiére idée de ce grand homme fut la portion de Croix A, qu'il entrelaffa entre les brigades de fon infanterie, comme il paroît dans le plan de la Merian, bataille de Léipzig en 1631, où les Impériaux furent totalement défaits. Dans cette bataille le Roi de Suéde inféra des Coins fimples, ou pour mieux dire des Colonnes entre les brigades de fon infanterie: la manche des piques A faifoit la premiére fection, & les deux manches des Moufquétaires B, C, derriére celle des piquiers fur une même ligne. La fection C, étoit alignée entre les bataillons D, de chaque brigade, les deux autres fections A, B, débordant fur tout le front de la ligne; ainfi chaque Colonne fe trouvoit flanquée du feu des Moufquétaires, & foutenue encore du centre des piques E, des bataillons D, des aîles des brigades, & les deux rentrans F, entre les corps D, & la Colonne, ne pouvoient être abordables, fi l'on ne commençoit par embraffer la Colonne & tous les corps; ce qu'on ne pouvoit que par un ordre & des armes femblables. L'ordonnance de Lutzen fut une fuite des réfléxions que Guftave avoit faites à celle de Léipzig; c'eft à cette maniére de combattre, auparavant inconnue, qu'il dut le fuccès de ces deux grandes journées.

Theat. Europ. tom.-II.

P. 433.

Ibid tom. III. p. 85. Ibid

Cette fçavante méthode de Guftave ne périt pas après la mort de ce grand Roi, elle trouva des gens qui la pratiquérent avec beaucoup de gloire. Les Suédois combattirent & vainquirent par Colonnes à la bataille d'Oldendorp en 1633. Cinq campagnes après les mêmes Suédois remportérent une grande victoire à Witte-Weyr. Et en 1642. tom. III. le Maréchal de Guébriand gagna celle de Hulft. On peut dire que dans celle ci comp. 963. me dans la précédente, les deux Généraux fe rangérent fur une ligne de Coins fimples, tom. IV. c'est-à-dire que les deux fections des Moufquétaires C flanquoient celles des Pip. 800. quiers B.

Ibid.

Pour revenir à l'ordre de bataille de Léipzig, bien que j'aie dit que Guflave fe rangea par Colonnes entre les brigades, je crois qu'en rigueur on ne peut pas le qualifier de ce nom, mais feulement de portions de croix, ou de Coins fimples; parce que les bataillons D faifoient corps avec elles, & que tous enfemble agiffoient du même branle & du même mouvement, fans s'en féparer. Cela les rendoit pefantes & difficiles à manier dans leurs différentes manoeuvres, & leur ôtoit la force & l'impétuofité du choc

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