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que les exemples de la poéfie Islandoise que j'ai cités, ne prouvent rien de ce qu'il prétend leur faire prouver. Les vers de Lopt Gutormfon ne se trouvent pas dans l'Edda; & quoique l'autre poëme faffe partie de l'édition que Resenius a donnée de l'Edda, il n'eft point dans notre manufcrit d'Upfal. On ignore donc le temps auquel il faut rapporter ce morceau ; & malà-propos voudroit - on s'en fervir pour faire douter que Snorre foit l'auteur de l'Edda. Avant de hafarder d'écrire, il eft effentiel d'être bien pénétré de fon fujet.

Je ne prétends point juftifier les tournures fingulières des paffages que j'ai cités. On fait que les phrafes en ufage dans différentes langues, rendues dans une autre, perdent nonfeulement la beauté qui leur eft propre, mais y ont fouvent très-mauvaise grace. On ne s'imagineroit point, par exemple, que de fouler les étoiles aux pieds, renferme l'idée d'un grand bonheur. Pour exprimer un doute, on fe rendroit fûrement inintelligible par une image d'eau fufpendue. Ces fortes de phrases, fans parler de quantité d'autres, étoient cependant très-familières aux Latins. Nos ancêtres, qui indubitablement defcendoient des orientaux, en ont auffi adopté les manières de parler allégoriques.

Le goût des anciens pour les énigmes, a dû, felon moi, contribuer beaucoup à mettre ces métaphores en vogue. Le mérite de ces énigmes confiftoit le plus fouvent dans les expreffions les plus détournées; & l'usage, par la fuite, les a introduites dans la langue, & les a fait regarder comme des beautés. On ne doit pas au furplus se permettre de décider fur des fujets qui appartiennent au génie & au goût, quelque différens qu'ils nous paroiffent de l'ufage reçu chez d'autres nations.

Le troifième & le dernier argument de M. Schloetzer, & peut-être le moins folide des trois, eft fondé fur la contradiction entre L'EDDA & le HEIMSKRINGLA de SNOrre. J'ai voulu faire voir dans ma lettre que les anciens entendoient par leur Afgard, la ville de Troye. Je fonde ma conjecture fur cette base. C'est que tout ce qui eft dit d'Afgard par les anciens du nord, a été dit de Troye par les Grecs. J'ai donc droit de penfer que Troye & Afgard font une même chofe, à moins qu'il ne soit prouvé que Sturlefon s'eft contredit lui-même. Il eft aifé de voir que ce que j'ai avancé, ne fait pas même naître l'idée de la moindre contradiction entre l'Edda & le Heimskringla, mais feulement que le livre en

queftion a été défigné par deux noms différens. M. Schloetzer entend fûrement ce que veut dire argumentationes ab abfurdo.

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Jufqu'ici je ne me fuis occupé que des raifons par lesquelles M. Schloetzer entend prouver que l'Edda n'eft pas de Sturlefon. Il faut à préfent que je démontre le contraire ; & pour cela, je me bornerai à un feul argument, mais qui aura la force de plufieurs. Le copiste du manufcrit de l'Edda que nous avons à Upfal, affirme expreffément fur le titre, que Sturlefon eft l'auteur de cet ouvragc. Ce témoignage est d'autant plus impofant, qu'il eft visible, par copie elle-même, qu'elle n'eft pas plus récente que le XIV. fiècle, & qu'elle a été faite fur le lieu par un Islandois, qui n'auroit pas voulu perdre fon temps à la copie d'un ouvrage dont il auroit ignoré l'auteur. Il me paroît même évident que c'étoit là l'opinion générale des Islandois, & voici ma raison. C'eft qu'il y a toujours diverses conjectures fur l'auteur d'un ouvrage anonyme, & que cependant il n'y guère que Sturlefon qui foit nommé comme l'auteur de l'Edda.

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A cette occafion, je ne puis paffer sous filence ce que j'ai vu dans le Journal Danois, publié par M. Lilie, 1756, page 326. C'eft

que

que le célèbre Arnas Magnaus, Iflandois, en parlant de Semunder Frode, déclare, ainfi que M. Schloetzer, que l'Edda ne pouvoit pas avoir Sturlefon pour auteur. Ses raisons ne font pas dénuées de vraisemblance. Il obferve que dans la dernière partie de l'Edda, appelée Liodsgreinir ou Skallda, Sturlefon eft non-feulement` cité, mais qu'il y eft même vanté comme un modèle pour les Poëtes; & que dans cette même partie, il eft fait mention des rois HAKAN HAKANSON, MAGNUS, ERIC & HAKAN MAGNUSON qui tous font postérieurs à SNORRE. Cet argument, qui paroît très-impofant d'abord, perd toute la force fi on l'examine de plus près. Voici le vrai.

L'auteur de l'Edda, dans le commencement du Liodsgreinir, dit qu'il va traiter trois différens points; savoir, dés règles fondamentales de la poéfie, des licences poétiques, licentia poetica) & des défauts de la poéfie, (vitia car minum) Settning, Leife & Syrerbodning. Les deux premiers fujets font difcutés à fond dans le Liodsgreinir, mais le dernier y manque. Un écrivain poftérieur a entrepris d'y fuppléer en faifant des additions à l'Edda de Sturlefon. Il est donc très-naturel qu'il y ait fait mention de Sturlefon, & qu'il ait rendu à fon mérite le

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tribut d'hommages qui lui étoit dû. Ce fupplément ne se trouvant point dans le manuscrit d'Upfal, c'eft bien une preuve qu'il ne fait point partie de l'Edda de Sturlefon.

C'eft de la même manière qu'on doit entendre ce qui eft dit des Rois poftérieurs à Sturlefon. Il n'en eft fait nulle mention dans notre Edda. Je foupçonne fort qu'Arnas Magnæus en a tiré la lifte du Skaldetal, (catalogue des Poëtes) où ils font nommés tous. Or, je vais prouver que ce Skaldetal n'a jamais fait partie de l'Edda, mais qu'il n'en eft que le fupplément. Si le célèbre Magnaus eût eu entre ses mains notre manufcrit, il n'auroit fûrement jamais avancé aucuns doutes de cette nature. *Quant aux fupplémens, je fuis pleinement convaincu que la lifte des Lagmen & le Landfedgatal, (généalogie) font l'ouvrage de Stur lefon. Tout leur contenu fe rapporte à Snorre, qui, non - feulement étoit Lagman, mais encore de la famille de Sturlunga l'Iaettartal (table généalogique) qui defcend en ligne droite de père ou de mère aux fils, s'étend, lorfqu'il arrive à Sturle, à tous les enfans & petits enfans ; & cependant en quelques cas, même dans ce catalogue, tous n'y font pas compris, mais feulement ceux qui vivoient

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