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les circonftances de cette tranflation à Conftantinople ne AN. 1484. contribuent pas à rendre cette histoire fort afsurée.

CXXXVII.

Comme l'ambition du défunt pape avoit été d'élever Je- Défordres du rôme Riario fon neveu aux plus grandes dignités, & qu'il peuple à Ros'étoit par-là rendu fort odieux, tout le monde lui donnoit me après la des malédictions, bien loin de dire du bien de fon gouvermort du pape. nement. Le lendemain de fa mort, dès le matin, plusieurs, jeunes gens prirent leurs armes, & allèrent dans le palais du comte Jerôme pour l'infulter; mais n'y ayant trouvé perfonne, & voyant les appartemens prefque tous démeublés, ils fe mirent à crier: Colonne, Colonne! & en même temps pillèrent le peu qu'on y avoit laiffé. Iis rompirent les fenêtres à coups de hache, & arrachèrent tous les arbres du jardin. Ils brifèrent ou emportèrent toutes les colonnes de marbre qui étoient dans ce fuperbe palais. Le jour fuivant ils allèrent dans le faubourg qui eft au-delà du Tibre, & pillèrent deux magasins qui étoient au bord de la rivière, & qui appartenoient à des marchands Génois: ils emmenèrent enfuite deux bateaux chargés de marchandifes, qu'un marchand de la même nation avoit fait venir. Delà étant revenus dans la ville, ils firent les mêmes défordres dans toutes les maifons des Génois qu'ils pillèrent. Quelques-uns allèrent au château du jubilé, dont Jerôme étoit feigneur, enlevèrent environ cent vaches, un grand nombre de chèvres, de mulets, de porcs, d'oies & de poules, & emportèrent beaucoup de viandes falées & de fromages de Parmefan. Il y en eut qui allèrent à l'église de faint Theodore, & enfoncèrent la porte des greniers de fainte Marie la Neuve, en enlevèrent tout le bled que le défunt pape y avoit fait porter, espérant de le vendre beaucoup plus chèrement cette année que la précédente. Les magiftrats, pour arrêter ces défordres, firent publier à fon de trompe des défenfes, fur peine de la vie, de piller aucune maifon; ils mirent des gardes aux portes & fur les ponts, & firent prendre les armes à tous les capitaines des quartiers, ce qui contint le peuple.

CXXXVIII. Les Colon nes s'emparent de quel-)

Les Colonnes voulant profiter de la fuite de Jerôme, reprirent le château de Cavarro, dont ils tuèrent le gouverneur & environ une douzaine de foldats, & jetèrent le reste de la garnifon par les fenêtres dans les foffès. Ils s'emparè- ques cha rent auffi du château de Capranique, après avoir maffacré teaux. tous ceux qui le gardoient. Le gouverneur de celui de Marini

demanda du fecours à ceux de Camerario, & n'ayant pu AN. 1484. rien obtenir, il se rendit à compofition. L'épouse du comte Jerôme s'étoit retirée dans le château Saint-Ange, & le comte retourna, avec Virginio, cardinal des Urfins, à l'île dont il étoit seigneur; ce qui facilita aux Colonnes leur retour à Rome. Le cardinal de ce nom y entra fuivi d'un grand concours de peuple, & fut mené comme en triomphe à fon palais. Dans le même temps Profper & Fabrice Colonne retournèrent dans les leurs, accompagnés de plufieurs perfonnes armées de moufquets. Tous ces troubles furent cause qu'il y eut peu de cardinaux aux obfèques du défunt pape; on craignoit d'être arrêté par ceux qui étoient dans le château Saint-Ange. Le peuple s'affembla au capitole, & réfolut de prier les cardinaux de pofer les armes, & de fe rendre tous dans un lieu affuré pour y commencer le conclave.

CXXXIX.

rend le châ

Le vingt-deuxième du mois d'Août le comte Jerôme Le comte rendit le château Saint-Ange, & les autres places fortes de teau S. Ange l'églife, après avoir reçu quatre mille ducats que le facré & les autres college lui fit compter. Les clefs en furent confiées à l'évêque places.

CXL. Promeffes

de Tivoli, qui promit de les rendre au pape futur, & d'y établir une garnifon en attendant, fuivant les ordres qu'il en avoit reçus du facré collége. Il fut arrêté auffi, qu'après qu'on auroit rendu le château, Virginio & tous ceux de la maifon des Urfins, de même que les Colonnes, fortiroient de la ville, & n'y reviendroient qu'après un mois; que Jacques Conti abandonneroit la garde du palais, & qu'il y auroit une trève pendant deux mois entre les Colonnes & les Urfins, à commencer du jour de l'exaltation du nouveau pape.

Le vingt-quatrième d'Août tous les cardinaux s'étant que les car- rendus à la tribune de S. Pierre, firent entendre au peuple dinaux font qu'ils étoient réfolus de lui accorder plufieurs grâces avanau peuple. tageufes, entre autres de ne conférer aucuns offices ni bé

néfices qu'à des Romains, conformément aux bulles des papes Nicolas, Calixte & Sixte; de faire obferver exactement celles qui avoient été faites pour les études; de n'accorder aucune furvivance pour les charges, & de faire obferver par tous les catholiques qui reconnoiffoient l'églife Romaine, l'abstinence des viandes défendues. Le même jour les cardinaux Colonne, Savelli, des Urfins & Conti, vinrent dans l'églife de S. Pierre recevoir les clefs du château Saint-Ange,

comme il avoit été arrêté, afin qu'on pût commencer le conclave fans aucune inquiétude. Le lendemain, qui étoit AN. 1484. le jour des obfèques du défunt pape, tous les cardinaux fe rendirent à l'église de S. Pierre, à l'exception de Savelli & de Colonne, parce qu'au préjudice des délibérations du facré college, ils avoient fait entrer cent cinquante hommes bien armés dans le château Saint-Ange; ce qui furprit & alarma beaucoup tous les autres cardinaux. Néanmoins la comteffe, époufe de Jerôme, en fortit le vingt-cinquième d'Août avec toute fa famille & la garnison, ce qui rétablit le calme dans les efprits.

CXLI.

Les cardi

naux entrent

au conclave.

Le vingt-fixième d'Août le facré collége fut averti que Diophèbes, fils du comte d'Averfa, étoit revenu dans fes terres, & qu'il avoit repris, fans tirer l'épée, Roncilione & Montigiovani. Le même jour les cardinaux, au nombre de Rec. Majon. vingt-cinq, entrèrent au conclave, qui fut tenu dans la grande in Inn. VIII. chapelle de S. Pierre, & y demeurèrent jufqu'au vingt-neuvième du même mois où l'élection fe fit en la manière fuivante. Le famedi fur le foir on alla aux fcrutins. Le cardinal de S. Pierre-aux-Liens dit à celui de S. Marc, qui avoit déjà onze voix, que s'il vouloit promettre de donner fon palais au cardinal d'Aragon, fils du roi de Naples, il lui feroit donner encore trois voix qui lui manquoient pour avoir le nombre de quatorze, néceffaires afin d'être pape. Mais le cardinal de S. Marc n'accepta pas la propofition: parce que, dit-il, étant élu de cette manière, il ne croiroit pas que fon élection fût canonique; & que d'ailleurs fon palais étant fort proche du château Saint-Ange, il cauferoit peut-être un mal Manière dont irréparable à l'église & à toute la chrétienté, parce qu'il tion. fourniroit par-là un moyen infaillible à ce prince & à fes fucceffeurs d'entrer quand ils voudroient dans le château, & de fe rendre maîtres de la ville. Le cardinal de S. Pierreaux-Liens n'ayant pas réuffi de ce côté-là, fe ligua avec le vice-chancelier, & lui promit, pour l'attirer dans fon parti, de traverser l'élection du cardinal de S. Marc, qui étoit le feul pour lequel ce cardinal avoit beaucoup d'éloignement. La nuit, lorfque tous les cardinaux étoient retirés dans leurs cellules, celui de S. Pierre-aux-Liens avec le vice-chancelier prirent ce temps pour former leurs brigues en faveur du cardinal de Melfe, noble Génois, Grec d'extraction, fils d'Aaron Cibo, chevalier, grand capitaine, lieutenant de

CXLII.

fe fait l'élec

Naples fous les rois René & Alphonfe, & fénateur de la ville AN. 1484. de Rome. Ils espéroient en l'élifant de gouverner fous fon pontificat. Il n'y eut que fix des plus anciens cardinaux auxquels ils n'ofèrent s'ouvrir; favoir, Conti, de faint Marc, de Gironne, de Lisbonne, de Sienne & de Naples, & peutêtre celui de fainte Marie in porticu. Le lendemain ceux de la faction allèrent trouver les autres cardinaux, & leur dirent qu'ils avoient fait un pape; & s'étant fait un peu preffer pour exciter leur curiofité, ils leur nommèrent le cardinal de Melfe, & ils leur dirent qu'ils s'étoient affemblés pendant la nuit, & avoient réfolu de lui donner leurs voix. Les anciens cardinaux voyant qu'ils ne pouvoient empêcher cette élection, puisqu'ils n'étoient que fix ou fept contre dix-huit, cédèrent au plus grand nombre.

CXLIII.

qu'on fait a

dipaux pour

On découvrit dans la fuite les moyens dont on s'étoit fervi Promettes pour gagner plufieurs voix, & on apprit que, pour y réuffir, on avoit donné au cardinal Savelli le château de Montiquelques carcelli dans l'île avec la légation de Boulogne; au cardinal de leurs voix. Colonne le château de Cepérani, avec la légation du patrimoine de S. Pierre, & vingt-cinq mille ducats pour le rembou fer des pertes qu'il avoit faites lorfqu'on avoit abattu & brulé fa maison, avec promeffe de lui conférer un bénéfice de fept mille ducats de rente lorfqu'il en vaqueroit un de pareil revenu, au cardinal des Urfins, le château de Serretterre, avec la légation de la Marche d'Ancône qu'on ôta au camerlingue. A Martinufius, le château de Capranique & l'évêché d'Avignon. Au fils du roi d'Aragon, Montecorvo ; & au cardinal de Parme le palais de S. Laurent in Lucina, qui étoit celui du cardinal de Melfe avant fon élection. A ces conditions ce cardinal fut élu, & eut le nombre de voix néceffaires.

CXLIV.

On élit Jean

Baptifte Cibo

cardinal de Melfe.

Auffitôt après fon élection, il fit le cardinal de Milan archiprêtre de l'église de faint Jean de Latran & légat d'Avignon. Il donna au cardinal de faint Pierre-aux-Liens & à fon frère qui étoit préfet de Rome, Fano avec cinq autres terres voifines, & promit de faire le dernier général des troupes eccléfiaftiques, & d'appeler le premier dans fes confeils les plus fecrets, & de ne réfoudre aucune affaire importante fans fa participation. On donna encore au cardinal des Urfins la garde du palais, avec des appointemens confidérables pour lui & la compagnie d'archers qu'il commandoit; mais il n'exerça cette charge qu'un jour,

& fortit de Rome fort en colère d'avoir été fi maltraité. Perfonne n'eut bonne opinion du gouvernement du nouveau pape, parce qu'il étoit jeune, n'ayant pas plus de cinquante ans, & Génois; qu'il avoit mené une vie peu réglée, ayant fept enfans de plufieurs femmes ; enfin parce qu'il n'étoit parvenu au pontificat que par des voies illicites. Cependant Onuphre en die affez de bien, il loue fa douceur & fa bonté, & ne blâme que fon avarice, quoiqu'il le reconnoiffe pour avoir été affez généreux envers les pauvres & les affligés.

AN. 1484. Innoc. VIII. Onuphr. in

CXLV.

innocentia

Ce pape prit le nom d'Innocent VIII, en mémoire d'InIl prend le nocent VI fon compatriote, & eut pour devife ces paroles le nom d'Indu pfeaume 25: j'ai marché dans mon innocence, appa- nocent VIII. remment pour marquer ce qu'il auroit dû être. Son premier Ego autem in foin fut de travailler à accorder les différents des princes mea ingrefd'Italie, & de réunir avec le faint fiége ceux que la trop fus fum. grande févérité de fon prédéceffeur en avoit éloignés. Il tà- Pfalmus 25. cha auffi d'unir les princes chrétiens contre les Turcs. Il exhortoit les ambaffadeurs des rois & des républiques qui étoient à Rome ou qui y venoient de toutes parts pour lui rendre obéiffance au nom de leurs maîtres, à porter à la paix ceux qui les avoient envoyés: il parloit beaucoup des dangers & des incommodités de la guerre, & ajoutoit que des chrétiens ne devoient la faire entre eux que lorsqu'ils y étoient contraints. Il envoya fes légats à tous les princes pour les engager à s'oppofer aux Turcs; mais fon zèle n'eut pas le fuccès qu'il en attendoit. Il fit la paix entre les Colonnes & les Urfins, & obligea ces deux feigneurs qui étoient puiffans à Rome & qui fe faifoient une rude guerre, de facrifier leurs querelles & leurs inimitiés à la tranquillité de l'églife & au repos de l'état. Cependant fa fainteté fut contrainte elle-même de faire la guerre à Ferdinand roi de Naples, tant parce que ce prince qui étoit vaffal & feudataire du faint fiége, traitoit avec tyrannie les principaux feigneurs de fon royaume, que parce qu'il refufoit de payer le tribut dont il étoit redevable à l'églife Romaine. Cette guerre ne dura que deux ans, après lefquels on fit la paix, à condition que le roi de Naples payeroit tous les cens dûs à l'églife, & qu'il accorderoit le pardon aux feigneurs CXLVI. d'Italie qui avoient pris les armes contre lui.

Mort du car

dinal de

L'églife fit une perte affez confidérable en cette année, Bourdeille.

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