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XLVIII.

Le deflein

d'Anjou en occupoit une bonne partie, fondée fur les droits de Mainfroy dont Pierre d'Aragon avoit époufé la fille, s'en AN. 1493 empara entièrement,& s'étoit maintenue dans cette poffeffion jufqu'à Ferdinand qui régnoit, quoique bâtard, lorfque Charles VIII en entreprit la conquête. Ainfi le droit du roi de France étoit fondé fur ce que René en mourant avoit laiffé Charles d'Anjou comte du Maine fon neveu, héritier du comté de Provence & de fes prétentions aux royaumes de Naples & de Sicile ; & ce Charles mourant fans enfans, donna la Provence & tous fes droits aux mêmes royaumes à Louis XI, dont Charles VIII étoit le fucceffeur, & par conféquent héritier des droits de fon père fur les royaumes de Naples & de Sicile. Ce droit paroiffoit inconteftable au roi de France, & cependant fon entreprise n'étoit pas goûtée de tout le monde. On avoit déjà éprouvé par une fàcheuse expérience les de la conquê te du royaumauvais fuccès des armes Françoifes en Italie, depuis deux me de Nacents ans que la querelle duroit; on avoit à faire avec des ples défapprinces qui laiffoient fouvent à part la bonne foi quand il prouvé de quelquess'agiffoit de leurs intérêts, & qui ne pouvant fouffrir la domination de la France, ne manqueroient pas de fe liguer tous contre elle pour traverfer fes conquêtes. Mais Ludovic Sforce, qui avoit ufurpé le duché de Milan fur fon neveu, & qui vouloit s'y maintenir, fut fi bien tourner l'efprit des deux hommes dont on a déjà parlé, Etienne de Vers & Guillaume Briçonnet, qui gouvernoient abfolument Charles VIII, que ce prince fuccomba à la tentation de fe rendre maître d'un grand royaume, & de le joindre à fa couronne. Mais pour entendre clairement toute cette intrigue, il faut reprendre les chofes de plus haut.

uns.

XLIX.

Il y avoit près de cinq cents ans que le duché de Milan avoit toujours été poffédé par des princes d'Italie. Les Vif- Etat dans le conti en avoient joui jufqu'à Philippe-Marie dernier duc de quel étoit fa maison, qui n'ayant point d'enfans légitimes, avoit marié alors l'Italie. fa fille naturelle nommée Blanche à François Sforce bâtard de Jacques, connu fous le nom de Jacomufio, & qu'on furnommoit le grand. Ce François, choifi par les Milanois pour leur capitaine après la mort de Philippe, les força à le recevoir pour duc en 1450, malgré les droits légitimes de Charles duc d'Orléans fils de Valentine de Milan, laquelle avoit pour père le duc Galeas. François gouverna dans la fuite affez paifiblement; mais fon bonheur ne paffa pas tout

AN. 1493.

entier à fes deux fils. L'aîné Galeas-Marie lui fuccéda; mais fon cadet Ludovic, furnommé le More à caufe de fon teint bafané, en eut tant de chagrin, qu'il ne penfa plus qu'à le fupplanter les moyens feuls lui manquoient. Galeas ne régna donc paisiblement que parce que Ludovic ne pouvoit le traverfer; & ce ne fut que douze ans après, qu'il fe Guicchardin. préfenta une occafion favorable à fon ambition. Galeas s'éhift. Ital.l. 1. tant rendu odieux au peuple par fes débauches & fon extrême férocité, fut affaffiné dans l'églife le 26e. de Décembre 1476. Mais comme Jean Galeas fon fils unique étoit trop jeune pour gouverner, la tutelle en fut d'abord déférée à fa mère Bonne fille de Louis duc de Savoie, qui s'en démit en faveur de Ludovic oncle paternel du jeune duc, & lui donna fans y penfer le moyen d'ufurper le duché de Milan.

Mém de Co

prà, p. 409.

Jean Galeas étant parvenu à l'âge de se marier, époufa minee ut fu Ifabelle d'Aragon, fille d'Alphonfe duc de Calabre & de Blanche Sforce. Ludovic s'imagina qu'en donnant à fon neveu cette princeffe qui étoit fa nièce, elle obligeroit fon époux à paffer fa vie fous la tutelle de leur commun oncle ; mais il fe trompa. Ifabelle, ambitieufe jufqu'à l'excès, ne fut pas plutôt devenue ducheffe de Milan, qu'elle s'appliqua à gagner fon mari, & à lui infpirer le défir de gouverner par lui-même. Elle l'avoit rendu, en moins de deux ans, père d'un fils & d'une fille. Galeas, fur les inftances de fa femme, preffa fon oncle de fe défifter de l'administraBernardino tion du duché; mais Ludovic, perfuadé qu'il n'y avoit qu'ICorio parte 7. fabelle qui lui infpiroit ces fentimens, s'en vengea fur elle en la mortifiant dans toutes les occafions. Elle en écrivit au duc de Calabre fon père, & au roi de Naples fon aïeul; elle leur représenta fes malheurs en termes fort pathétiques, & menaçoit de fe donner la mort par fes propres mains, fi on ne la mettoit au plutôt en liberté.

Ferdinand & le duc de Calabre voulurent d'abord essayer les voies de douceur & d'honnêteté, avant que d'en venir à la force; & prièrent Ludovic de remettre le gouvernement à fon neveu, pace qu'il avoit l'âge porté par les lois, & que fa famille étoit établie par la naiffance de deux enfans. Ludovic le promit, & ne demanda que deux ou trois mois de délai pour affembler les états du duché, & leur rendre compte de fon administration. Mais bien loin d'accomplir fa promeffe, il emprunta de l'argent, leva des troupes,

fortifia les places, & fit tous les préparatifs néceffaires pour AN. 1493 une longue défense. On jugea par-là de fa mauvaise foi. Mais Ferdinand ne fe fentoit pas affez fort pour le punir, il eut donc recours à d'autres puiffances. Alexandre VI venoit d'être élu pape. Il avoit trois fils naturels qu'il vouloit élever : comme l'aîné étoit déjà cardinal, le roi de Naples promit aux cadets les premiers fiefs qui vaqueroient dans fon royaume; & le faint père s'en contenta, parce qu'il n'étoit pas encore poffédé de l'ambition de les rendre fouverains. Après avoir mis le pape dans ses intérêts, Ferdinand tourna fes vues du côté de Pierre de Medicis qui venoit de fuccéder au crédit que fon père s'étoit établi dans Florence. Il parut d'abord difficile à ébranler ; c'est pourquoi le roi de Naples eut recours à Virginie des Urfins, de qui Pierre de Medicis avoit épousé une des filles. Virginie avoit de grandes obligations à Ferdinand, & il avoit acquis un grand afcendant fur l'efprit de fon gendre: il s'en fervit pour lui perfuader que la ligue qu'il venoit de faire avec Ludovic, contre les Vénitiens, ne devoit point l'empêcher d'en contracter une femblable avec le roi de Naples ; que celle-ci lui feroit plus avantageufe, & il l'y détermina fous promeffe que cette liaison feroit tenue fort fecrète.

L.

ples & les

Il étoit en effet auffi important pour le roi de Naples que pour Pierre de Medicis, que Ludovic ne fût rien de leur Ligue entre alliance, jusqu'à ce que les troupes de Naples fe fuffent join. le roi de Nates à celles des Florentins. De-là dépendoit principalement Florentins, le fuccès de l'entreprise qu'ils méditoient. Mais Ludovic pé- contre Lunétra bientôt ce qui fe paffoit à fon préjudice. Voici ce qui dovic Sforce. le lui fit foupçonner. C'étoit la coutume des princes chrétiens, à l'élection d'un nouveau pape, de lui envoyer leurs ambaffadeurs pour le féliciter fur fon exaltation ; & les princes d'Italie avoient encore plus d'intérêt que les autres à s'acquitter de ce devoir. Ils l'avoient fait jufqu'alors féparément. Ludovic s'imagina qu'il feroit plus à propos de n'envoyer qu'une ambaffade où les députés feroient enfemble, & de n'avoir qu'un feul orateur, afin de faire connoître à fa fainteté la liaison qui étoit entre eux; & que fi le nouveau pape fe propofoit de les divifer, comme avoit fait Innocent VIII, il en fût détourné en voyant l'union qui se trouvoit entre eux. Ferdinand accepta volontiers un expédient qui pouvoit le mettre à l'abri de l'orage dont il étoit

menacé, & Pierre de Medicis parut d'abord s'y rendre AN. 1493. mais dans la fuite il fit tout ce qu'il put pour traverser cette ambaffade générale.

pe.

LI: Ambaffade

Comme il étoit le feul chef de la députation des Florendes princes tins, & qu'étant fort riche il n'épargnoit rien dans les ocd'Italie au casions d'éclat, il crut que fi fon train marchoit avec cenouveau pa- lui des autres ambaffadeurs, il feroit obscurci par le grand nombre; ainfi il réfolut d'aller feul à l'audience du pape. Il y fut encore déterminé par Scipion Gentile évêque d'Arezzo, qui avoit préparé un difcours pour haranguer fa fainteté, & qui fe croyant l'homme le plus éloquent de toute l'Italie, ne vouloit pas céder cet honneur à Sannazar que Ferdinand avoit choisi pour orateur au nom de tous. Pierre de Medicis ne fe contenta pas d'avoir pris ce parti, il engagea auffi le roi de Naples à le suivre. Celui-ci tenta la même chofe auprès de Ludovic, qui lui reprocha fon infidélité. Soit par inadvertance, foit dans le deffein de s'excufer, le roi de Naples fit entendre à Ludovic qu'il auroit fuivi le premier projet, fi Pierre de Medicis ne l'avoit porté à l'abandonner; mais qu'il n'avoit pu réfifter à fes importunités. Cet aveu fit foupçonner à Ludovic, prince d'ailleurs très-défiant, qu'il y avoit une union formée entre le roi de Naples & Pierre de Medicis, & il prit des mefures pour le découvrir plus particulièrement. Cependant chaque prince fit au pape fes foumiffions à part, de même que chaque république. Pierre de Medicis s'y diftingua par fa magnificence. Le difcours de l'évêque d'Arezzo fut fi bien reçu & fi applaudi, qu'on le fit imprimer à la tête de ces fortes d'ouvrages.

LII: Ludovic

Quoique Ludovic n'ignorât pas que le pape lui eût fu mauvais gré de ce qu'il avoit ouvert le deffein d'une déSforce aniputation générale, cependant comme ce projet n'avoit point me le pape contre le roi été exécuté, il crut que le mécontentement du pape ne poude Naples. voit pas l'empêcher de recourir à lui & de lui demander du fecours contre le roi de Naples & les Florentins. Il avoit dans fes intérêts le cardinal Afcagne qui étoit bien venu du faint Père, & il comptoit fur fon crédit. Il ne s'agiffoit que de faifir une occafion favorable pour fe faire écouter. La vente que François Cibo fils du défunt pape venoit de faire de quelques principautés, à Virginie des Urfins, commandant des armées de Naples, lui fournit cette occafion.

Cibo avoit fait cette vente fans la participation du pape, dont ces principautés relevoient comme fiefs du faint fiége; il ne les avoit vendues que quarante mille écus d'or, ce qui n'égaloit pas le revenu de deux années de ces principautés;c'étoit le roi de Naples qui avoit fourni cette fomme à Virginie: le pape devoit être indifpofé contre toute cette conduite.

AN. 1493

hift. ital. lib.

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Ludovic, qui n'en doutoit pas, profita de l'occafion. Il repréfenta au pape, que s'il fouffroit l'injure qu'on venoit de Guicchardin lui faire, le faint fiége perdroit & fon autorité & fa fureté; qu'il ne falloit pas tant s'en prendre à Virginie des Urfins, qui n'avoit fait que prêter fon nom, qu'au roi de Naples qui avoit fourni l'argent, que la haine de ce prince pour la maifon de Borgia étoit irréconciliable, qu'il en avoit donné des preuves dans toutes les occafions ; & que fi fa fainteté ne perdoit Ferdinand, elle devoit s'attendre que ce prince la perdroit. Le cardinal Ascagne fon frère appuyoit fortement toutes ces raifons, pour obliger le pape à oppofer une nouvelle ligue à celle des Florentins & du roi de Naples, l'affurant qu'il y feroit entrer les Vénitiens. L'affaire fut bientôt conclue: Ludovic prêta à Alexandre VI l'argent dont il avoit befoin, leva trois cents lances, & commença à agir pour former une ligue avec les Vénitiens; pendant que d'un autre côté il follicitoit Pierre de Medicis à demeurer neutre, afin d'être plus en état de pacifier les différents qui furviendroient entre les confédérés. Ludovic lui fit entendre que le pape traverferoit, quand il lui plairoit, la liaifon des Florentins avec les Napolitains, parce que fes états étoient justement au milieu d'eux; mais qu'il n'en étoit pas de même de la liaison des Florentins & des Milanois, dont les états étoient contigus.

LIII.

Il ne peut

Pierre de

Mais Pierre de Medicis étoit trop engagé pour rompre avec Ferdinand. Il renvoya l'argent de Ludovic, & ne penfa engager plus qu'à exécuter fon deffein. Son refus déconcerta un peu Medicis dans Ludovic, & lui fit tourner toutes fes vues du côté de la fes intérêts. république de Venife, plus capable de le protéger que celle de Florence. Il lui envoya fes ambaffadeurs, qui ayant été admis au confeil, repréfentèrent qu'il falloit oppofer une autre ligue à celle des Florentins & du roi de Napies; que le pape n'étoit pas éloigné d'y entrer, & que fi les Vénitiens vouloient faire la même chofe, ils conferveroient fûrement le repos de l'Italie, en mettant la ligue oppofée dans

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